Une réponse mesurée : comment construire un instrument européen contre la coercition économique

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  • L’Europe est plus que jamais exposée au risque de coercition économique de la part d’autres puissances.
  • Un nouveau rapport de l’ECFR offre des solutions concrètes pour la mise en place d’un nouvel instrument anticoercitif qui permettrait à l’Union européenne (UE) d’imposer des contremesures économiques en réponse à une agression.
  • L’UE travaille actuellement à une proposition concrète de contremesures. L’ECFR présente donc des idées aux décideurs politiques à travers l’Europe sur ce à quoi elles pourraient ressembler.
  • S’inspirant des visions d’experts en géopolitique et du milieu des affaires, le rapport de l’ECFR suggère des solutions politiques que les Etats membres de l’UE peuvent adopter pour repousser les agressions économiques de la Chine, de la Russie et d’autres puissances mondiales.
  • Le nouvel instrument devrait permettre des contremesures à la fois efficaces et crédibles. Dans le cas contraire, il pourrait engendrer davantage de risques que de bénéfices.
  • Les contremesures pourraient comprendre des restrictions commerciales et d’investissement, des contrôles aux exportations et des cessions dans certains secteurs, et un accès réduit aux marchés publics européens.
  • L’UE pourrait également inclure un mécanisme de flexibilité pour les contremesures prises à l’encontre des formes de coercition économique que l’instrument ne couvrirait pas explicitement.
  • Le nouvel instrument devrait être un outil de dépolitisation. Il devra être utilisé uniquement en dernier recours et inclure un mécanisme de désescalade pour permettre le dialogue et la négociation.

L’Europe a une solution à sa portée pour se renforcer face à la coercition économique. La Commission européenne travaille actuellement sur un instrument anticoercitif (qui doit être proposé cet automne), qui permettrait à l’Europe d’adopter des contremesures contre la coercition venant de pays tiers et d’avoir un effet dissuasif sur les pratiques coercitives.

Dans un nouveau rapport de l’ECFR, « Une réponse mesurée : comment construire un instrument européen contre la coercition économique », les experts Jonathan Hackenbroich et Pawel Zerka proposent plusieurs idées sur la façon dont l’UE peut aborder ce défi. Il est fondé sur les travaux de la Taskforce de l’ECFR pour renforcer l’Europe face à la coercition économique, qui rassemble des représentants de haut-niveau de six Etats membres de l’UE et du secteur privé.

L’Europe pourrait bien être exposée aujourd’hui comme elle ne l’avait jamais été auparavant à des mesures de coercition économiques de la part de la Chine et d’autres puissances mondiales.

Les principales menaces sont les suivantes :

  • La Chine est prête à utiliser des sanctions économiques pour influencer les politiques européennes. En mars 2021, la Chine a imposé des sanctions économiques à des entreprises européennes pour envoyer un message à l’UE. Plutôt que de faire preuve de réciprocité quand l’UE a imposé, en coordination avec les sanctions américaines, des sanctions pour des violations des droits humains à quatre représentants locaux chinois, Pékin a choisi une réponse largement asymétrique. Elle a dirigé son action contre des ambassadeurs, des députés et des experts de think tanks européens, mais aussi contre des entreprises européennes, telles que H&M et Adidas.
  • La mondialisation évolue. Un grand nombre de pays combinent volontairement et activement action de l’Etat, géopolitique et économie. Ils utilisent des outils économiques pour obtenir de la puissance géopolitique et la géopolitique pour des gains économiques.
  • Il existe de plus en plus de coercition sur le secteur privé et d’extraterritorialité. La coercition économique cible de plus en plus le comportement des entreprises plutôt que les gouvernements afin d’atteindre ses objectifs, et la Chine en premier lieu. Cela met souvent les entreprises dans une situation difficile et altère de facto la politique étrangère et commerciale européenne sans prendre pour cible directe des gouvernements européens.
  • La coercition économique officieuse est un défi important. La coercition économique dans des pays autoritaires est souvent officieuse et difficile à détecter. Mais elle a beaucoup de conséquences et, pour les rivaux de l’UE, elle deviendra une option encore davantage privilégiée si l’UE ne la prend pas en compte.

Le rapport affirme que le nouvel instrument anticoercitif, si l’UE l’adoptait, pourrait comprendre les contremesures suivantes :

  • Des droits de douane et des freins au commerce : avec cette option, l’UE imposerait des restrictions commerciales en représailles, ainsi qu’elle le fait déjà en matière de défense commerciale. Cela pourrait comprendre l’imposition de taxes sur la fourniture de services transfrontaliers ou un blocage de l’échange de services. Les avantages de cette option seraient : l’expérience solide de l’UE dans ce domaine, le fait que la Commission agirait dans un domaine de compétence centralisé au niveau européen, et le fait que les restrictions aux échanges sont l’un des outils puissants où l’UE est prise au sérieux par tous les Etats tiers.
  • Des restrictions aux investissements : avec cette option, l’UE pourrait renforcer les dispositions pour les investissements et même limiter la réaffectation des profits dans le pays d’origine de la société. Cette dernière action serait une mesure puissante et crédible.
  • Des cessions sectorielles et des contrôles aux exportations : les contrôles aux exportations pourraient être l’un des moyens les plus stratégiques et efficaces pour l’UE de se protéger contre la coercition économique. L’UE pourrait restreindre les investissements dans certains secteurs, tels que les transferts de technologies en Chine, ou éloigner un Etats tiers d’un produit hautement spécialisé que celui-ci ne peut pas remplacer facilement.
  • Un accès restreint aux marchés publics : des pays tels que la Chine, la Russie ou la Turquie ont bénéficié d’un accès aux marchés publics européens. Mais s’ils font preuve de coercition économique contre l’UE, cette mesure pourrait restreindre cet accès en réponse.

Le rapport propose également des solutions concrètes concernant l’étendue de ce nouvel instrument – pour qu’il couvre également les cas où des entreprises européennes, et non plus seulement des autorités publiques, sont les cibles de coercition économique par exemple – ainsi que concernant la procédure de prise de décision nécessaire pour que l’UE s’assure que l’instrument soit efficace et crédible.

Jonathan Hackenbroich, co-auteur du rapport, affirme que « l’option préférée par l’UE, face à une menace extérieure, sera toujours un engagement multilatéral. Toutefois, ce n’est pas toujours viable. Sans une dissuasion efficace, l’Europe risque d’encourager le chantage : l’UE compte sur le fait que les pays tiers la traitent de manière juste et ne peut pas toujours agir si ce n’est pas le cas.

Etablir un instrument de dissuasion est une tâche intimidante. La vraie question est de savoir si l’Europe peut réellement prendre des contremesures qui soient à la fois efficaces et crédibles. Nos travaux avec la taskforce de haut niveau nous amènent à croire qu’il y a une possibilité. Mais l’UE doit aussi prendre en considération les évolutions de la mondialisation : l’instrument doit répondre aux cas de coercition grave à l’encontre d’entreprises. »

Pawel Zerka, co-auteur du rapport, déclare également qu’« il existe des risques liés au développement d’un nouvel instrument anticoercitif. Mais ne pas posséder d’instrument est également risqué, comme le prouve l’actuelle vulnérabilité de l’UE face au chantage économique venant de l’étranger.

Les risques liés au nouvel instrument pourraient être réduits. Ainsi, l’UE pourrait par exemple le doter d’un mécanisme de désescalade qui clarifierait la façon dont les contremesures pourraient être abolies. En même temps, elle pourrait accompagner l’outil d’un engagement politique soutenu pour le commerce ouvert et le multilatéralisme, répondant ainsi à toute accusation de protectionnisme.

Si les Européens choisissent d’adopter un tel instrument, leur objectif devrait être d’envoyer un signal puissant au reste du monde que l’UE est déterminée à défendre les règles internationales – pas seulement en rhétorique mais aussi en s’opposant aux pratiques coercitives d’autres Etats. »

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