Virage à droite : Prévisions des élections du Parlement européen de 2024

Description The seat of the European Parliament in Strasbourg, France, on October 4, 2023
Le siège du Parlement européen à Strasbourg, France, le 4 octobre 2023. (CTK Photo/Katerina Sulova)
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  • Un nouveau rapport étayé par des sondages et une modélisation statistique prédit un « virage à droite serré » lors des prochaines élections du Parlement européen – avec le groupe de partis d’extrême droite Identité et Démocratie (ID) et celui des Conservateurs et Réformistes européens (CRE) qui devraient enregistrer des gains importants.
  • L’étude révèle que les partis de la droite populiste « anti-européenne » arriveront en tête dans au moins neuf États membres de l’UE et en deuxième ou troisième position dans neuf autres pays du bloc – une situation qui pourrait voir une coalition de droite composée de démocrates-chrétiens, de conservateurs et d’eurodéputés de la droite radicale émerger avec une majorité au Parlement européen pour la première fois.
  • Les résultats montrent que les deux principaux groupes politiques – le Parti populaire européen (PPE) et l’Alliance progressiste des Socialistes et Démocrates (S&D) – verront leur représentation continuer à décliner. Cependant, le PPE restera le plus grand bloc dans le prochain parlement, conservera le pouvoir de fixer l’ordre du jour et aura son mot à dire sur le choix du prochain président de la Commission.
  • Les coauteurs Simon Hix et Kevin Cunningham estiment que ce changement devrait servir de « signal d’alarme » aux décideurs politiques, étant donné la menace possible qu’il représente pour les engagements actuels de l’UE, notamment en ce qui concerne le soutien à l’Ukraine et le Green Deal européen.

Les partis « populistes » anti-européens sont en passe de devenir les grands gagnants des prochaines élections européennes. En effet, les projections montrent qu’ils arriveront en tête des scrutins dans des pays comme l’Autriche, la France et la Pologne, et qu’ils obtiendront de bons résultats en Allemagne, en Espagne, au Portugal et en Suède en juin 2024. Selon un nouveau rapport publié par le Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), le déclin attendu du soutien aux partis du courant politique dominant, ainsi que la montée en puissance des partis extrémistes et des petits partis, sont susceptibles de faire peser des menaces importantes sur des piliers essentiels de l’agenda européen, notamment le Green Deal européen, le soutien à l’Ukraine et l’avenir de l’élargissement de l’UE.

La nouvelle étude de l’ECFR intitulée « A sharp right turn: A forecast for the 2024 European Parliament elections » (Virage à droite : Prévisions des élections du Parlement européen de 2024), est étayée par de récents sondages d’opinion menés dans les 27 États membres de l’UE et façonnée par un modèle statistique de la performance des partis nationaux lors des précédentes élections du Parlement européen, comprenant les scrutins de 2009, 2014 et 2019. Sur la base de ce modèle, les auteurs et éminents politologues Simon Hix et Kevin Cunningham, prévoient que les deux principaux groupes politiques du Parlement européen – le Parti populaire européen (PPE) et le groupe des Socialistes et Démocrates (S&D) – continueront à perdre des sièges, comme lors des deux dernières élections. Ils prévoient que le parti centriste Renew Europe (RE) et la coalition verte Verts/Alliance libre européenne (Verts/ALE) perdront également des sièges, tandis que La Gauche et la droite populiste, dont le groupe des Conservateurs et Réformistes européens (CRE) et Identité et Démocratie (ID), sortiront vainqueurs des élections, avec une réelle possibilité d’entrer dans une coalition majoritaire pour la première fois de l’histoire.

Bien que le PPE devrait rester le groupe le plus important de la législature, conserver le pouvoir de fixer l’ordre du jour et avoir son mot à dire sur le choix du prochain président de la Commission, Simon Hix et Kevin Cunningham s’attendent à ce que les voix populistes, en particulier celles de la droite radicale, soient plus prononcées et plus impliquées dans la prise de décision que jamais depuis que le Parlement européen a été élu au suffrage universel direct pour la première fois, en 1979. Les voix d’extrême droite seront particulièrement prononcées dans les États membres fondateurs clés, notamment en Italie, où Fratelli d’Italia devrait voir son nombre de sièges augmenter jusqu’à potentiellement atteindre un maximum de 27 eurodéputés ; en France, où le parti Renaissance d’Emmanuel Macron devrait céder du terrain de manière significative au Rassemblement national de Marine Le Pen, qui obtiendrait un total de 25 eurodéputés ; en Autriche, où le Parti de la liberté (FPÖ), de droite radicale, devrait doubler son nombre d’eurodéputés et passer de 3 à 6, à quelques mois d’élections nationales cruciales ; et, en Allemagne, l’Alternative für Deutschland (AfD), d’extrême droite, devrait presque doubler sa représentation pour potentiellement atteindre un total de 19 sièges dans l’hémicycle. Cette dynamique ne fera pas que déplacer le discours politique vers la droite dans l’UE, avant le retour possible de Donald Trump à la Maison Blanche plus tard cette année. Elle est également susceptible d’avoir une influence et de servir de précurseur aux élections nationales dans les principaux États membres, notamment en Autriche, en Allemagne et en France, au cours de la période à venir.

Les principales conclusions de l’étude de Simon Hix et Kevin Cunningham sont les suivantes :

  • Les partis populistes anti-européens arriveront en tête des scrutins dans neuf États membres de l’UE et en deuxième ou troisième position dans neuf autres pays. Le rapport note que les partis populistes dont l’euroscepticisme est bien enraciné émergeront en tête en Autriche, en Belgique, en République tchèque, en France, en Hongrie, en Italie, aux Pays-Bas, en Pologne et en Slovaquie, et arriveront en deuxième ou troisième place en Bulgarie, en Estonie, en Finlande, en Allemagne, en Lettonie, au Portugal, en Roumanie, en Espagne et en Suède. Le groupe d’extrême droite, ID, devrait gagner plus de 30 sièges et, avec 98 sièges au total, devenir la troisième force politique de la prochaine législature.
  • L’équilibre gauche-droite au sein du Parlement européen se déplacera radicalement vers la droite. La modélisation statistique de l’ECFR suggère que l’actuelle coalition de centre-gauche – composée de S&D, de Vert/ALE et de La Gauche – verra ses parts de vote et sa représentation diminuer de manière significative, avec 33 % du total, contre 36 % actuellement. En revanche, la taille des coalitions de droite devrait augmenter. La principale coalition de centre-droit – composée de PPE, de RE et de CRE – perdra probablement quelques sièges, avec 48 % au lieu des 49 % actuels. Cependant, une « coalition de droite populiste » – composée de PPE, de CRE et d’ID – augmentera sa part des sièges en passant de 43 % à 49 %.
  • Une coalition comprenant la « droite populiste » pourrait émerger avec une majorité pour la première fois. Une coalition d’eurodéputés chrétiens-démocrates, de conservateurs et de droite radicale se disputera la majorité au Parlement européen pour la première fois. Le rôle du Fidesz en Hongrie (qui devrait remporter 14 sièges) sera décisif, car s’il décide de rejoindre CRE plutôt que de siéger en tant que parti indépendant, CRE pourrait non seulement dépasser RE et ID et devenir le troisième groupe le plus important, mais pourrait, conjointement avec ID, atteindre près de 25 % des eurodéputés et disposer pour la première fois de plus de sièges que le PPE ou le S&D.
  • Par conséquent, près de la moitié des sièges détenus par les députés européens se situeraient en dehors de la « super grande coalition » des groupes centristes PPE, S&D et Renew Europe (RE). Les sièges détenus par ces derniers diminueront pour passer de 60 % à 54 %. Cette baisse de représentation pourrait signifier que la coalition n’aura pas assez de sièges pour garantir une majorité gagnante lors des votes clés.
  • Une certaine incertitude règne quant aux groupes politiques que quelques partis finiront par rejoindre. Au total, 28 partis indécis pourraient remporter plus de 120 sièges en juin, et bien que le Mouvement 5 étoiles en Italie (qui devrait remporter 13 sièges) puisse choisir de rejoindre le groupe Vert/ALE ou La Gauche, c’est la droite qui devrait bénéficier le plus de la répartition des partis encore non alignés. Les 27 sièges prévus pour Fratelli D’Italia et les 14 sièges prévus pour Fidesz seront décisifs pour déterminer une majorité sans précédent pour la droite, si elle s’aligne sur le CRE. Entre-temps, le parti de la Confédération en Pologne et Revival en Bulgarie pourraient renforcer le côté droit de la plénière de 7 sièges supplémentaires, s’ils décident de rejoindre le CRE.
  • Les résultats pourraient avoir des conséquences importantes sur l’agenda politique de l’UE et l’orientation de la législation future, notamment en ce qui concerne le Green Deal européen. Les implications les plus importantes concerneront probablement la politique environnementale. Dans le parlement actuel, une coalition de centre-gauche (S&D, RE, Vert/ALE et La Gauche) a eu tendance à gagner sur les questions de politique environnementale, mais beaucoup de ces votes ont été remportés par des marges très faibles. Avec un glissement significatif vers la droite, il est probable qu’une coalition « anti action climatique » domine au-delà de juin 2024. Cela nuirait considérablement au cadre du Green Deal de l’UE ainsi qu’à l’adoption et à l’application de politiques communes visant à atteindre les objectifs de l’UE en matière de zéro émission nette.
  • Les résultats pourraient également avoir des conséquences sur les efforts de l’UE pour faire respecter l’État de droit. Au cours de la législature actuelle, une étroite majorité s’est dégagée en faveur de l’imposition par l’UE de sanctions, notamment la retenue des paiements budgétaires, lorsque l’on estime que les États membres font marche arrière sur leurs engagements de respect de l’Etat de droit, notamment dans les cas de la Hongrie et de la Pologne. Mais après juin 2024, il sera probablement plus difficile pour les eurodéputés centristes et de centre-gauche (au sein de RE, S&D, Vert/ALE, La Gauche et d’une partie du PPE) de résister à l’érosion continue de la démocratie, de l’État de droit et des libertés civiles en Hongrie et dans tout autre État membre qui pourrait s’engager dans cette voie.
  • Il existe une forte possibilité que les partis pro-russes soient représentés dans la prochaine législature. Le parti pro-russe Revival, de Bulgarie, devrait remporter trois sièges lors des élections européennes, ce qui lui permettrait d’entrer au Parlement européen pour la première fois, gagnant ainsi une légitimité institutionnelle avant les prochaines élections nationales bulgares, prévues le 9 juin 2024. Cela ferait suite à cinq élections législatives dans le pays depuis le début de l’année 2021, et à l’accélération rapide de la campagne de mobilisation des électeurs « antisystème », qui a bénéficié à des partis tels que Revival.
  • Les résultats en Europe peuvent servir de précurseur à d’autres scrutins dans les États membres, notamment en Autriche, en Allemagne et en France. En Autriche, tout sursaut de soutien au FPÖ pourrait se prolonger jusqu’aux élections nationales, prévues pour octobre 2024, tandis que l’influence anticipée de l’AfD en Allemagne pourrait façonner le paysage et le discours politiques avant les élections législatives du pays en 2025. Parallèlement, la France se trouve à un tournant décisif. Alors que la côte de désapprobation du gouvernement d’Emmanuel Macron s’élève à 70 % et que le parti de droite radicale de Marine Le Pen bénéficie d’un soutien croissant, le président français a récemment remanié son cabinet, opérant ainsi un net virage à droite. Cette décision stratégique, associée aux résultats des élections paneuropéennes de juin, pourrait donner le ton des élections présidentielles du pays en 2027.

Dans leurs conclusions, Simon Hix et Kevin Cunningham avertissent que la montée imminente de l’influence et de la représentation de la droite au Parlement européen devrait servir de « signal d’alarme » pour les décideurs politiques européens sur ce qui est en jeu pour l’UE. Ils affirment que les implications des élections de juin pourraient avoir une portée considérable, allant du blocage de la législation nécessaire à la mise en œuvre de la prochaine phase du Green Deal, à une ligne plus dure sur d’autres domaines de la souveraineté de l’UE, y compris l’immigration, l’élargissement et le soutien à l’Ukraine au-delà de juin 2024. Avec la possibilité d’un retour de Donald Trump à la Maison Blanche, l’Europe risque également de devoir compter sur des États-Unis moins engagés à l’échelle mondiale. Cette situation, associée à une coalition de droite et tournée vers l’intérieur au sein du Parlement européen, pourrait accroître la propension des partis anti-establishment et eurosceptiques à rejeter l’interdépendance stratégique et un large éventail de partenariats internationaux pour défendre les intérêts et les valeurs de l’Europe.

Afin d’éviter ou d’atténuer les effets d’une telle évolution en faveur d’une politique populiste, Simon Hix et Kevin Cunningham appellent les décideurs politiques à examiner les tendances qui déterminent les schémas de vote actuels et, à leur tour, à développer des arguments soulignant la nécessité d’une Europe mondiale dans le climat géopolitique actuel, de plus en plus tendu et dangereux.

Le professeur Simon Hix, coauteur et titulaire de la chaire Stein Rokkan de politique comparée à l’Institut universitaire européen de Florence, a commenté cette nouvelle étude :

« Dans un contexte de populisme exacerbé, qui pourrait atteindre de nouveaux sommets avec le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis cette année, les partis du courant politique dominant doivent se réveiller et dresser un bilan clair des demandes des électeurs, tout en reconnaissant la nécessité d’une Europe plus interventionniste et plus puissante sur la scène mondiale.

Les élections de juin, pour ceux qui souhaitent une Europe plus ouverte sur le monde, devraient avoir pour but de sauvegarder et de renforcer la position de l’UE. Leurs campagnes devraient donner aux citoyens des raisons d’être optimistes en évoquant les avantages du multilatéralisme. Enfin, sur les questions clés liées à la démocratie et à l’État de droit, ils doivent montrer clairement que ce sont eux, et non les marginaux, qui sont les mieux placés pour protéger les droits fondamentaux de l’Europe. »

Kevin Cunningham, coauteur de l’étude, enquêteur et stratège politique, ajoute :

« Les résultats de notre nouvelle étude indiquent que la composition du Parlement européen évoluera nettement vers la droite lors des élections de cette année, ce qui pourrait avoir des conséquences importantes sur la capacité de la Commission européenne et du Conseil à respecter les engagements en matière d’environnement et de politique étrangère, y compris la prochaine phase du Green Deal européen. »

MÉTHODOLOGIE DE L’ENQUÊTE :

La méthodologie qui sous-tend nos prévisions est basée sur un modèle statistique permettant de prédire les performances des partis nationaux lors des élections au Parlement européen.

Le modèle fait appel à quatre sources d’information concernant chaque parti national dans l’UE :

1. La position actuelle du parti dans les sondages d’opinion sur les élections nationales ;

2. La part de voix remportée par le parti lors des dernières élections parlementaires nationales ; 

3. Si le parti est ou non au gouvernement au moment des élections de 2024 ; 

4. La famille politique à laquelle le parti appartient.

L’ECFR s’attend à ce qu’il y ait des différences systématiques entre les sondages d’opinion actuels et la façon dont les partis se comporteront en juin 2024.

Pour identifier et prendre en compte ces différences, ils ont examiné le nombre de voix obtenues par chaque parti lors des élections au Parlement européen de 2014 et 2019 par rapport à leur position dans les sondages d’opinion en novembre-décembre 2013 et 2018, respectivement. L’ECFR a ensuite adapté son modèle en utilisant une modélisation statistique pour identifier l’ampleur des facteurs spécifiques qui expliquent les différences entre les sondages d’opinion 6-7 mois avant les élections et les résultats réels des élections.

Cette analyse a produit les résultats suivants :

1. Les sondages d’opinion réalisés en novembre-décembre avant les élections (qui sont tous basés sur des questions relatives aux « intentions de vote pour les élections nationales ») prédisent environ 79 % de la part de voix d’un parti lors de l’élection suivante du Parlement européen ;

2. Les résultats obtenus lors des élections nationales précédentes permettent de prédire 12 % supplémentaires de la part de voix lors des élections européennes suivantes, ce qui signifie qu’après la période de campagne, certains électeurs reviennent au parti pour lequel ils ont voté lors des élections nationales précédentes ;  

3. Les partis de coalition mineures ont tendance à obtenir des résultats légèrement inférieurs aux élections européennes par rapport à leur position dans les sondages d’opinion 6-7 mois plus tôt ; et 

4. Les partis verts et les partis eurosceptiques ont tendance à obtenir des résultats légèrement supérieurs lors des élections au Parlement européen que ceux qu’ils obtiennent dans les sondages d’opinion 6-7 mois plus tôt, tandis que les partis sociaux-démocrates ont tendance à obtenir des résultats légèrement moins bons.  

Il est important de noter que dans de nombreux pays, les systèmes de partis et la position des partis changeront d’ici aux élections du Parlement européen. Les partis de gouvernement et d’opposition changeront invariablement dans certains pays. Plus important encore, certains partis émergeront, tandis que d’autres disparaîtront. Cette incertitude supplémentaire affaiblit certains de ces effets à une date aussi éloignée des élections. À mesure que nous nous rapprocherons des élections, ces incertitudes se réduiront et les estimations du modèle changeront en conséquence.

L'ECFR ne prend pas de position collective. Les publications de l'ECFR ne représentent que les opinions de leurs auteurs.