Qu’attendent les Européens de l’Allemagne post-Angela Merkel ?
- Le nouveau rapport de l’ECFR, étayé par des sondages réalisés dans 12 États membres de l’Union européenne (UE) et rédigé par Piotr Buras et Jana Puglierin, révèle que les Européens considèrent l’Allemagne comme un leader important et apprécié au sein de l’UE, alors que les Allemands émettent des réserves quant à leur engagement dans le bloc.
- Les sondages suggèrent que l’ère d’Angela Merkel a renforcé le soutien au leadership allemand au sein de l’UE – une pluralité d’Européens indiquent qu’ils font confiance à l’Allemagne en matière de politique économique et financière (36 %), et pour défendre la démocratie et les droits humains (35 %) au nom du bloc.
- Sur le plan intérieur, il règne cependant un certain pessimisme à propos de l’Allemagne et de son statut dans le monde. L’ECFR a constaté qu’une majorité d’Allemands (52 %) pense désormais que « l’âge d’or » de leur pays appartient au passé.
- Compte tenu de ce pessimisme et de l’évolution rapide de la scène internationale, Jana Puglierin et Piotr Buras estiment qu’après Merkel, les dirigeants politiques allemands n’auront d’autre choix que de modifier leur rôle dans l’UE et leur relation avec celle-ci.
- L’Allemagne devra prendre la tête de la lutte contre les deux menaces les plus dangereuses auxquelles l’UE sera confrontée dans les années à venir : un effondrement de l’État de droit dans l’UE et la marginalisation géopolitique du bloc.
Les Européens considèrent toujours Angela Merkel, qui quittera bientôt son poste de Chancelière allemande, comme une force unificatrice et attendent de l’Allemagne qu’elle continue à faire preuve de leadership au sein de l’UE, selon un nouveau sondage publié aujourd’hui par l’ECFR.
Dans « Qu’attendent les Européens de l’Allemagne post-Angela Merkel ? » les auteurs Piotr Buras et Jana Puglierin affirment que les dirigeants politiques allemands devront changer leur façon de collaborer avec l’UE s’ils veulent maintenir la bonne réputation et la confiance que l’Allemagne a acquises au cours des deux dernières décennies. Le nouveau leadership allemand devra proposer des idées claires sur le rôle géopolitique de l’UE dans un environnement de plus en plus compétitif et lutter contre l’effondrement de l’État de droit dans l’UE, écrivent les auteurs.
L’enquête menée par l’ECFR auprès de 12 États membres de l’UE – qui comptent collectivement 300 millions de citoyens et représentent 80 % du PIB de l’Union – a révélé que, bien qu’elle soit en poste depuis plus de 15 ans, la Chancelière allemande sortante, Angela Merkel, bénéficie d’un soutien durable en Europe. De nombreux citoyens la désignent comme leur candidate préférée pour la présidence de l’UE, plutôt que le Président français, Emmanuel Macron. Dans l’ensemble, une majorité relative – 41 % des personnes interrogées – aimerait la voir dans ce rôle, tandis que seulement 14 % opteraient pour son homologue français.
La popularité d’Angela Merkel l’emporte sur celle d’Emmanuel Macron dans différents pays de l’UE, notamment aux Pays-Bas (58 %), en Espagne (57 %), au Portugal (52 %) et au Danemark (46 %), ce qui montre qu’elle a réussi à positionner l’Allemagne comme une force fédératrice. Cependant, l’ECFR a également constaté un certain pessimisme au niveau national quant à l’avenir de l’Allemagne après Angela Merkel. En effet, une majorité d’Allemands (52 %) estiment que leur pays a dépassé son « âge d’or ». Dans l’ensemble des pays sondés, un tiers des Européens (34 %) partagent ce point de vue, tandis que 31 % affirment qu’ils sont actuellement dans leur « âge d’or » ou que cette période reste à venir.
L’ensemble des données de l’ECFR a révélé un soutien fort et continu au leadership allemand au sein de l’UE. Les Européens font confiance à l’Allemagne pour défendre leurs intérêts dans toute une série de domaines, y compris la politique économique et financière (36 %), malgré les critiques formulées à l’encontre du programme d’austérité d’Angela Merkel pendant la crise de la dette européenne et de la règle d’équilibre budgétaire « schwarze Null » (« zéro noir ») du pays. Les personnes interrogées dans des pays aux philosophies économiques diverses ont témoigné une confiance considérable dans le leadership allemand dans ce domaine, notamment la moitié (50 %) des personnes interrogées en Hongrie (qui n’est pas membre de la zone euro), ainsi que des majorités relatives en Espagne (45 %) et aux Pays-Bas (43 %).
De même, 35 % des Européens seraient heureux de voir Berlin prendre l’initiative de la défense de la démocratie et des droits humains, au nom de l’Union européenne, y compris parmi les personnes interrogées en Hongrie (49 %) et en Pologne (23 %), toutes deux engagées dans un conflit avec la Commission européenne sur l’Etat de droit. Le sondage a révélé un décalage entre la façon dont les Européens voient l’Allemagne et la façon dont l’Allemagne se voit elle-même. Ce n’est que lorsqu’il s’agit de défendre la démocratie et les droits humains que plus d’un tiers des Allemands interrogés estiment que Berlin peut défendre avec succès les intérêts de l’UE. Un Allemand sur cinq a déclaré que son pays serait incapable de diriger l’UE sur quelconque problématique couverte par l’enquête.
La crédibilité de Berlin, en tant que leader potentiel dans le domaine géopolitique, est très faible en Europe. Seul un citoyen sur cinq dans les États membres interrogés pense que l’Allemagne peut diriger le bloc dans ses relations avec la Russie, et un nombre encore plus faible (17 %) pense que Berlin peut défendre les intérêts de l’UE face à la Chine. Seul un quart (25 %) des personnes interrogées font confiance à l’Allemagne pour gérer les relations de Bruxelles avec Washington. Toutefois, on observe des variations considérables entre les douze pays étudiés.
Ces résultats suggèrent que même si Angela Merkel a renforcé la position de l’Allemagne en tant que grande puissance européenne, les pierres angulaires de son héritage – la neutralité et la recherche de consensus – ne suffiront pas à défendre l’unité de l’UE, et sa place dans le monde, dans les années à venir.
Les principales conclusions de l’enquête paneuropéenne de l’ECFR sont les suivantes :
- Il existe un soutien durable en Europe pour Angela Merkel et ses ambitions pour l’UE. De nombreux citoyens la considérent comme leur candidate préférée pour la présidence du bloc. Lorsqu’on leur a demandé, hypothétiquement, pour qui ils voteraient dans une élection entre l’Allemande Angela Merkel et le Français Emmanuel Macron pour la présidence de l’UE, l’ECFR rapporte un soutien pluriel pour Angela Merkel dans la plupart des pays, et par une majorité aux Pays-Bas (58 %), en Espagne (57 %) et au Portugal (52 %).
- La plupart des Européens pensent que sans Angela Merkel, il y aurait eu davantage de conflits dans le monde. Ce point de vue est le plus marqué chez les personnes interrogées en Espagne (33 %), aux Pays-Bas (30 %) et au Portugal (28 %).
- Malgré la poursuite d’un programme d’austérité pendant la crise de la dette européenne et une règle d’équilibre budgétaire « schwarze Null » (« zéro noir »), le leadership allemand en matière de politique économique au sein de l’UE bénéficie d’un soutien considérable. Ce soutien est le plus marqué en Hongrie, où la moitié des personnes interrogées (50 %) se disent favorables au leadership allemand – bien que la Hongrie ne fasse pas partie de la zone euro – et en Espagne, où un peu moins de la moitié des personnes interrogées sont de cet avis (45 %). Les Pays-Bas, qui font partie des pays dits « frugaux » de l’UE, suivent de près avec 43 %. C’est en Italie que le soutien est le plus faible, avec 24 %, mais cette réponse reste la plus forte parmi ceux qui ont exprimé une opinion.
- Dans certaines parties de l’Europe, des appels sont lancés pour un plus grand leadership allemand dans les rapports de l’UE avec les États-Unis, la Chine et la Russie. Par exemple, en Hongrie (44 %), aux Pays-Bas (33 %), au Danemark (30 %) et en Suède (28 %), des pluralités aimeraient voir l’Allemagne diriger le bloc dans les relations avec les États-Unis. Dans ces pays, on observe également une certaine appétence pour une plus grande implication de l’Allemagne dans les relations avec la Russie et la Chine.
- La crédibilité de Berlin est cependant limitée sur les questions géopolitiques. L’ECFR a trouvé que peu de personnes confieraient à Berlin les rênes des relations du bloc avec la Chine (17 %), la Russie (20 %) ou les États-Unis (25 %). Les personnes interrogées en France, en Pologne, en Italie et en Bulgarie étaient les plus sceptiques à l’égard de ces propositions.
- Les citoyens allemands ont encore besoin d’être persuadés que leur pays devrait jouer un rôle plus important au sein de l’UE. Ce n’est que sur la défense de la démocratie et des droits humains que plus d’un tiers des personnes interrogées (38 %) pensent que Berlin peut défendre les intérêts européens.
- lls sont également pessimistes quant à l’avenir de leur pays, avec une majorité estimant qu’il a dépassé son « âge d’or ». Avec 52 %, les Allemands sont de loin les plus pessimistes quant à l’avenir de leur pays (hormis les personnes interrogées en Autriche, qui sont tout aussi pessimistes). 24 % des personnes interrogées en Allemagne pensent que leur pays connaît son « âge d’or » actuellement ou que celui-ci reste à venir.
- Ce point de vue est partagé par une minorité significative en Europe – plus d’un tiers s’accordant à dire que l’étoile politique de l’Allemagne commence à pâlir. Dans les 12 pays sondés, 34 % des personnes interrogées affirment que l’Allemagne a dépassé son « âge d’or », et seulement 10 % pensent qu’il est encore à venir.
- Pourtant, malgré cela, très peu de personnes craignent une résurgence du nationalisme dans le pays. Seuls 19 % des personnes interrogées en Allemagne imaginent un tel risque se développer – contre 27% dans les autres pays interrogés. 36 % des Allemands, quant à eux, s’attendent à ce que les dirigeants de leur pays se concentrent davantage sur l’aide apportée aux autres Européens. Une personne sur quatre, dans les 11 autres États membres interrogés, pense également que ce sera le cas.
Selon les auteurs du rapport, Piotr Buras et Jana Puglierin, pour que l’Allemagne réponde aux attentes des citoyens de l’UE et défende l’ordre européen, ses nouveaux dirigeants devront repenser ses politiques étrangère et européenne, et aller au-delà de la politique d’Angela Merkel. Le continent étant de plus en plus divisé avec des clivages « démocratiques contre autocratiques » et « cosmopolites contre nationalistes », Berlin devra peut-être adopter une position plus ferme à l’encontre des pays qui violent les valeurs européennes.
Les auteurs soulignent que la « marginalisation géopolitique » de l’UE constitue une menace supplémentaire pour la politique « à la Angela Merkel ». L’époque où l’Europe pouvait se tourner vers les États-Unis pour son leadership et sa protection est désormais révolue, selon Jana Puglierin et Piotr Buras. Ils affirment que l’Allemagne a un rôle crucial à jouer dans la défense des principes et des intérêts de l’UE et qu’elle devrait utiliser son poids économique et politique pour travailler en étroite collaboration avec l’administration Biden sur une approche transatlantique de la Chine. Ils écrivent qu’une partie de l’héritage de Mme Merkel aura été de montrer aux Européens que « la puissance de l’Allemagne peut être utilisée dans l’intérêt de l’Europe » et que Berlin doit désormais trouver un moyen d’exercer ce pouvoir à l’avenir.
Le principal défi pour l’Allemagne, au-delà des élections de la semaine prochaine, sera de convaincre ses citoyens qu’un changement de vitesse en matière de politiques européenne et étrangère peut servir l’intérêt national et européen. Jana Puglierin et Piotr Buras notent que, ces dernières années, empêcher l’UE de s’effondrer est devenu le mantra pour défendre le statu quo au sein de l’UE, et que cette attitude ne tiendra pas face aux défis géopolitiques existants et à venir. En conclusion, ils appellent Berlin à adopter une position plus ferme sur les valeurs européennes et à développer une stratégie pour les défendre sur la scène mondiale. Ce serait, selon eux, « la meilleure façon de s’assurer que l’héritage d’Angela Merkel survive à la politique “à la Merkel” ».
Jana Puglierin, co-autrice et directrice du bureau de Berlin à l’ECFR, déclare que :
« Le principal défi, quel que soit le vainqueur des élections de la semaine prochaine, sera de convaincre les Allemands qu’un important changement est nécessaire dans la façon dont leur pays collabore avec l’UE. L’approche consistant à placer la cohésion de l’UE au-dessus de tout, qui a façonné une grande partie de l’agenda politique de l’UE sous l’ère d’Angela Merkel, pourrait s’avérer être une voie tentante et aisée pour son successeur. Toutefois, face aux crises internationales et aux préoccupations nationales concernant le rôle de l’Allemagne au sein de l’UE, il est peu probable qu’une stratégie consistant à poursuivre dans la même lancée fonctionne.
Pour que l’Allemagne conserve son statut de principal moteur de la politique européenne, elle devra s’engager sur les questions qui sont importantes pour ses citoyens et fournir à ses partenaires européens des idées claires sur la manière dont l’UE peut être compétitive dans un monde divisé et secoué par les crises. Les successeurs d’Angela Merkel devront démontrer pourquoi une approche post-atlantiste de la politique étrangère est désormais essentielle, tout en vendant à leurs électeurs l’importance du leadership allemand au sein du bloc. Ils ne peuvent plus se permettre de rester neutres ou de maintenir le statu quo. Il est temps pour Berlin de prendre parti. »
Piotr Buras, co–auteur et directeur du bureau de Varsovie à l’ECFR, ajoute :
« Angela Merkel en est venue à incarner une Allemagne forte et stable, en se positionnant comme l’ancre de l’Europe à travers plus d’une décennie de crises. Tout au long de son mandat, elle a renforcé le rôle de l’Allemagne au sein de l’UE. Mais si les citoyens européens placent leurs espoirs dans Berlin pour diriger l’Union, les Allemands eux-mêmes ne sont pas tout à fait à l’aise avec cet héritage.
La politique « à la Angela Merkel » n’est plus viable et la personne qui succédera à la Chancelière devra trouver une autre voie. Angela Merkel a peut-être habilement maintenu le statu quo sur le continent au cours des quinze dernières années, mais les défis auxquels l’Europe est confrontée aujourd’hui – la pandémie, le changement climatique et la concurrence géopolitique – exigent des solutions radicales, et non des changements superficiels. Ce dont l’UE a besoin aujourd’hui, c’est d’une Allemagne visionnaire qui défendra les valeurs du bloc et sa place dans le monde. »
Ce rapport et ses recommandations font partie d’un projet plus large de l’ECFR visant à comprendre les souhaits des Européens en matière de politique étrangère. Les publications antérieures de son programme « Unlock Europe’s majority » comprennent l’examen de la manière dont la crise du COVID-19 a réorganisé les opinions et les identités politiques au cours des 18 derniers mois, ainsi que des recherches fondées sur des sondages concernant les attitudes et les attentes des Européens à l’égard des États-Unis pendant les présidences de Donald Trump et de Joe Biden.
Vous trouverez de plus amples informations, ainsi que des détails sur les résultats dans le cadre de ce programme, à l’adresse suivante : https://www.ecfr.eu/europeanpower/unlock.
L'ECFR ne prend pas de position collective. Les publications de l'ECFR ne représentent que les opinions de leurs auteurs.