La Chine et le terrorisme international : vers une rupture majeure

Pékin s’embarque à son tour dans une militarisation croissante de sa stratégie anti-terroriste à l’étranger

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Depuis le 11 septembre, la Chine a centré son approche du terrorisme international sur une critique de la militarisation excessive de la réponse des Etats-Unis. Or Pékin s’embarque à son tour dans une militarisation croissante de sa stratégie anti-terroriste à l’étranger. Selon un nouveau rapport du Conseil Européens des Relations Internationales, cette tendance rend possibles de futures opérations militaires internationales chinoises contre le terrorisme.

Deux facteurs expliquent ce changement d’approche. Tout d’abord, la présence toujours plus grande de ressortissants chinois à l’étranger accroit leur exposition aux risques d’actions terroristes. En 2015, 128 millions de Chinois ont voyagé à l’étranger – on n’en comptait que 280 000 en 1982. En outre, un grand nombre de citoyens chinois résident dans des pays à risque : on compte 3 000 Chinois au Mali, 65 000 au Nigéria, et plus de 10 000 en Irak et au Pakistan. Près de 4 000 compagnies chinoises sont situées dans ce que les analystes chinois appellent « l’arc d’instabilité » – la région géographique qui s’étend de l’Afghanistan et du Pakistan jusqu’au Sahel.

Par ailleurs, les tensions et les violences au Xinjiang ont attiré l’attention de certains groupes terroristes islamistes. Dans son premier discours en tant que prétendu Calife de l’Etat Islamique, Abu Bakr Al-Baghdadi a fait figurer la Chine dans sa liste des États où les « droits des musulmans sont bafoués », appelant les soldats du califat à « se venger ».

En réaction, la Chine a adopté sa première loi anti-terroriste qui a pris effet en janvier 2016. Le texte prévoit que « Les forces de l’Armée Populaire de Libération (APL) et de la Police armée du peuple (PAP) peuvent envoyer du personnel en mission contre-terroriste en dehors des frontières, avec l’approbation de la Commission Militaire centrale ».

L’auteur du rapport de l’ECFR, Mathieu Duchâtel, explique :

« Cette formulation volontairement vague laisse à la Chine une marge de manœuvre importante pour faire usage de sa puissance militaire dans des opérations internationales de contre-terrorisme. « Envoyer du personnel » inclut de nombreuses options, de la mission diplomatique d’information au déploiement d’unités dans des opérations ».

Si l’on en juge par le programme de modernisation de l’APL, la Chine semble se préparer à la seconde éventualité. Sa Marine est présente dans le Golfe d’Aden dans des opérations de lutte contre la piraterie et bénéficiera bientôt d’infrastructures logistiques permanentes à Djibouti. L’armée de l’air a reçu le premier de ses nouveaux avions de transport militaire de longue portée Y-20 en juin 2016, ce qui lui ouvre de nouvelles options pour des opérations loin des côtes de la Chine.

 L’industrie d’armement chinoise poursuit un immense programme de fabrication de drones, dont de nombreux modèles de drones de combat, qui en raison de leur précision de tir, sont le système clef de la guerre américaine contre le terrorisme.  Le Département de la défense des Etats-Unis estime que d’ici 2023, l’APL aura des milliers de drones déployés, dont certains pour des opérations anti-terroristes.

Dans le même temps, les freins traditionnels à l’implication de la Chine dans les affaires internationales de sécurité – le principe de non-ingérence, l’exercice de la retenue et de la prudence en toute circonstance, le mot d’ordre de Deng Xiaoping enjoignant la Chine de « ne jamais se positionner comme leader » (决不当头) – ont tous été grandement affaiblis sous la présidence de Xi Jinping. Celui-ci prône un plus grand engagement à l’international et a tendance à percevoir la puissance militaire comme un outil de politique étrangère.

Néanmoins, bien que la Chine soit déjà prête à employer son outil militaire pour des opérations autres que la guerre – évacuations de civils, patrouilles de protection et escortes, opérations de maintien de la paix, soutien à l'aide humanitaire et participation aux efforts de secours en cas de catastrophe -, elle n’en est pas pour autant prête à prendre part à une coalition multinationale contre le terrorisme. Il reste que la militarisation de la lutte chinoise contre le terrorisme est déjà lancée et risque de s’accélérer si ses ressortissants sont victimes de nouvelles attaques. En retour, cette militarisation pourrait faire encourir de nouveaux risques aux Chinois expatriés.  

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