Avantage à domicile : comment le marché protégé de la Chine menace la puissance économique européenne

An investor watches an electric screen displaying stock price figures at a stock exchange hall on February 2021 in Shanghai
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Principales conclusions :

  • Le vaste marché domestique protégé de la Chine a permis à certaines entreprises chinoises d’atteindre une échelle qui leur fournit des avantages compétitifs conséquents sur d’autres marchés.
  • Ces entreprises sont capables de pratiquer des tarifs plus bas que ceux des entreprises européennes, à la fois sur le marché européen et dans le reste du monde, y compris dans des secteurs clés pour l’avenir économique et sécuritaire de l’Europe, allant de l’énergie à la télécommunication.
  • L’Union européenne (UE) doit d’urgence intégrer le concept et la réalité de cet « avantage de marché domestique protégé » dans sa réflexion sur la Chine.
  • L’Europe peut défendre ses industries en adoptant une approche de politique intégrée, en travaillant avec des partenaires mondiaux ayant le même raisonnement, et même en forçant l’ouverture de parts du marché domestique chinois jusqu’ici fermées. 
  • L’UE devrait aussi réfléchir à la manière d’améliorer son marché unique – à la fois comme une mesure défensive et comme un moyen d’améliorer sa souveraineté stratégique.

Dans un nouveau rapport « Avantage à domicile : comment le marché protégé de la Chine menace la puissance économique européenne », Agatha Kratz (directrice associée du Rhodium Group) et Janka Oertel (directrice du programme Asie de l’ECFR)

  • donnent un bref aperçu des caractéristiques clés de l’avantage du marché domestique protégé chinois,
  • soulignent comment cet avantage joue un rôle dans trois industries en Chine et
  • expliquent de quelle façon l’UE pourrait répondre à ce défi.

Le marché domestique chinois protégé est un avantage dans plusieurs secteurs et pourrait exercer une contrainte compétitive sur les concurrents européens ainsi que diminuer leurs prévisions de recettes et leurs parts de marché mondial. Trois secteurs permettent d’illustrer les potentielles implications critiques du marché domestique protégé de la Chine pour les concurrents européens et les entreprises chinoises :

  • L’énergie solaire : la Chine encourage officiellement la participation étrangère dans le secteur du solaire photovoltaïque. Cependant, la participation étrangère est contrainte par une préférence officieuse pour les entreprises locales lors des commandes publiques, résultant en l’acquisition de presque 100%des parts du marché par les entreprises domestiques. De grandes entreprises chinoises ont été capables de produire à très bas coût et de s’emparer rapidement des parts du marché international, avec des conséquences drastiques pour les entreprises européennes de ce secteur.
  • L’équipement de télécommunications : le marché chinois d’équipement de télécommunications est le plus grand du monde. Pourtant, la Chine n’autorise qu’une participation limitée des acteurs étrangers : le gouvernement a publié un guide informel pour les opérateurs télécom possédés par l’Etat chinois afin d’allouer pas moins de 70%des commandes de 4G à Huawei et ZTE. Cela crée des avantages pour les leaders de l’équipement de télécommunications chinois, non seulement dans les pays émergents mais également sur le marché européen.  
  • Le matériel ferroviaire : le marché du rail chinois demeure largement fermé à la participation étrangère. Les entreprises étrangères sont officiellement autorisées à opérer en Chine. Cependant, le principal producteur ferroviaire chinois, CRRC, contrôle 86%du marché boursier ferroviaire de la Chine et presque 100%de son marché boursier de rails à haute vitesse. Cela s’explique par une forte préférence informelle pour les entreprises locales par le principal opérateur du rail et acheteur d’équipement chinois, China Railway. Bien que loin d’être aussi drastique que pour les secteurs de l’énergie solaire et des télécommunications, l’effet du marché protégé sur les acteurs européens pourrait être significatif sur le long terme, spécialement dans les marchés tiers.

Le marché domestique protégé de la Chine a le potentiel de déplacer artificiellement les revenus et les profits depuis l’Europe vers la Chine, avec d’importants risques pour les entreprises européennes. Le rapport propose plusieurs façons de faire face à ce problème :  

  • Faire pression pour une plus grande et plus complète ouverture du marché chinois : dans ses négociations pour l’accord d’investissement (CAI), la Commission européenne s’est assurée de l’ouverture d’une série de secteurs, y compris certaines industries dans lesquelles un « avantage de marché domestique protégé » est susceptible d’émerger, telle que l’industrie des véhicules nouvelles énergies. Si le CAI résiste aux actuelles tensions dans les relations bilatérales, la Commission devra surveiller de près la mise en œuvre des engagements de la Chine pour s’assurer que les entreprises européennes en récoltent les bénéfices.
  • Protéger et faire progresser la compétitivité européenne et le pouvoir de marché : l’UE a au cours de ces cinq dernières années investit dans le développement d’une boîte à outils pour traiter les distorsions liées à la Chine qui se propagent dans le marché européen. Aucun de ces outils n’est spécialement adapté à « l’avantagé de marché domestique » chinois. Cependant, l’UE pourrait facilement mobiliser certains d’entre eux pour répondre à ses effets sur le marché européen et les entreprises européennes.  
  • Jouer l’offensive : dans les secteurs qui ont le plus d’importance stratégique pour la résilience économique européenne (et seulement dans ceux-là), les décideurs politiques pourraient aussi décider de compenser temporairement le coût induit par l’avantage domestique du marché chinois protégé pour les entreprises européennes. Un tel projet devrait être mené en coordination étroite avec les alliés et partenaires de l’autre côté de l’Atlantique et dans la région Indopacifique.
  • Perfectionner le marché unique : de nombreuses barrières au marché intra-européen – telles que les régulations, les standards, la fragmentation du marché ou la langue – rendent difficile ou impossible pour les entreprises européennes d’atteindre l’échelle de production que leurs concurrents chinois possèdent. S’occuper de ces barrières est crucial pour que les entreprises européennes demeurent compétitives. Améliorer le marché unique européen constituerait donc une contribution majeure à la résolution de ce problème. Ce serait une étape proactive pour améliorer les leviers européens et l’autonomie stratégique.

« Mieux comprendre l’impact sur l’industrie européenne des barrières chinoises à la concurrence étrangère est essentiel pour établir une politique efficace et pour préserver la compétitivité européenne dans les secteurs du futur », affirme Agatha Kratz.

« Au fil des années, l’Europe a beaucoup travaillé à s’assurer l’accès au marché chinois, mais il ne semble pas que les conditions du marché s’améliorent pour les entreprises européennes. Il ne s’agit plus désormais d’égalité d’opportunités entre les deux, mais d’assurer la capacité à concurrencer les entreprises chinoises à l’échelle mondiale – comprendre l’avantage du marché domestique protégé est une part de la réponse appropriée », dit Janka Oertel.

L'ECFR ne prend pas de position collective. Les publications de l'ECFR ne représentent que les opinions de leurs auteurs.