Au-delà de Global Britain : une politique étrangère réaliste pour le Royaume-Uni

Photo de la boutique de souvenir « Glorious Britain » à l’aéroport Heathrow à Londres
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  • Un nouveau sondage de l’ECFR révèle que le peuple britannique n’a pas d’animosité particulière envers l’Union européenne (UE). Si le peuple valorise la souveraineté et l’indépendance britanniques, il serait en faveur d’une politique étrangère qui soit en coopération avec le bloc.
  • Le projet du gouvernement du Royaume-Uni de « Global Britain » vise à restaurer la grandeur de la Grande-Bretagne comme puissance sur la scène internationale. Mais cette vision ne reflète pas les réalités géostratégiques d’aujourd’hui et néglige l’importance que l’UE continue d’avoir pour la politique étrangère britannique.
  • Le gouvernement Johnson semble avoir besoin des éternels combats liés à un Brexit permanent, mais cette approche érode la capacité du Royaume-Uni à coopérer avec l’UE sur les questions de politique étrangère et de sécurité.
  • La Grande-Bretagne possède toujours des atouts majeurs et peut forger une politique étrangère efficace. Pour cela, elle doit se concentrer sur ses forces, éviter les aventures militaires sur des terres lointaines, et mettre en oeuvre des relations de travail équilibrées et efficaces avec l’UE et les Etats-Unis. 
  • La sécurité et la prospérité de la Grande-Bretagne va de plus en plus dépendre de problématiques non-romantiques, telles que les taxes carbones et les règles d’investissement – pour lesquelles la meilleure façon de protéger l’intérêt britannique est de trianguler avec la position de l’UE et des Etats-Unis. 

Le Royaume-Uni a peut-être quitté l’UE, mais il ne peut pas quitter l’Europe. D’un point de vue géographique, il semble clair que l’UE demeure un partenaire essentiel pour la Grande-Bretagne. Dans un monde de compétition géopolitique croissante, où l’autoritarisme progresse, et de coercition économique, un pays démocrate de taille moyenne au large de la Côte Ouest de l’Eurasie peut seulement espérer promouvoir ses intérêts en s’alliant avec des partenaires libéraux aux idées similaires. Avec les Etats-Unis de plus en plus autocentrés et concentrés sur l’Indopacifique et la Chine, l’UE est le partenaire géopolitique nécessaire pour le Royaume-Uni.

La Grande-Bretagne post-Brexit a de nombreux atouts à apporter à ce partenariat. Contrairement à sa « relation spéciale » avec les Etats-Unis, elle n’aura pas à prendre le rôle de partenaire junior et à suivre son leader dans quelque aventure hasardeuse que la politique domestique des Etats-Unis recommanderait. Mais elle doit aller au-delà des actuelles querelles au sujet de nourriture et de poisson, arrêter de jongler de façon irresponsable avec la fragile paix en Irlande du Nord, et chercher à créer une relation de travail qui reflète la vulnérabilité géopolitique de la Grande-Bretagne.

Comme le montre un récent sondage de l’ECFR, le peuple britannique dans son ensemble est, au mieux, indifférent à la restauration de la Grande-Bretagne comme une puissance militaire mondiale et, à la suite du Brexit, n’a pas d’animosité particulière contre l’UE.

Les conclusions du rapport Au-delà de Global Britain : une politique étrangère réaliste pour le Royaume-Uni co-écrit par le directeur de recherche de l’ECFR, Jeremy Shapiro, et le chercheur Nick Witney, soutenues par les résultats du sondage, suggèrent qu’une Grande-Bretagne indépendante pourrait profiter de ses atouts uniques, de sa position géographique et – le plus important – d’un partenariat stratégique étroit avec l’UE pour à la fois protéger sa souveraineté dans un monde de compétitivité géopolitique accru et devenir une puissance dans les affaires mondiales.

La Grande-Bretagne post-Brexit a besoin d’une politique étrangère qui reflète son nouveau statut en dehors de l’UE. La première étape est de comprendre ce que le pays souhaite et ce dont il a besoin pour sa politique étrangère, et quelle politique étrangère le peuple britannique peut soutenir, d’après les auteurs.

Les principales conclusions du sondage de l’ECFR au Royaume-Uni UK sont :

  • Le public n’est pas très intéressé par la politique étrangère et est plutôt également divisé sur la plupart des questions difficiles aujourd’hui. « Je ne sais pas » est la réponse la plus donnée à la plupart des questions. Presque la moitié des sondés (46 %) n’ont exprimé aucun point de vue sur la poussée de la Revue intégrée en faveur d’un plus grand engagement dans l’Indopacifique.
  • Le peuple britannique a un désir général d’indépendance et de souveraineté. La décision britannique de quitter l’UE a des origines complexes mais, clairement, l’une des grandes motivations était un désir de permettre à la Grande-Bretagne de trancher des problématiques controversées par elle-même. Une pluralité de citoyens du Royaume-Uni voit les pays les plus souvent désignées comme interlocuteurs clés du Royaume-Uni – les Etats-Unis, la France, l’Allemagne et l’Inde – comme des « partenaires nécessaires » plus que comme des alliés qui partagent ses valeurs. Du point de vue du peuple, le Royaume-Uni ne semble pas avoir une relation spéciale avec un autre pays. Un précédent sondage de l’ECFR concluait que les citoyens de l’UE adoptaient un point de vue instrumental similaire sur les relations internationales.
  • Le public ne semble pas partager le désir du gouvernement d’un conflit politique permanent avec l’UE. La réaction du public face au Brexit n’a pas été aussi nationaliste que ce à quoi le gouvernement pouvait s’attendre. En général, les réponses sont également réparties sur qui est à blâmer pour l’impasse actuelle dans laquelle se trouvent le Royaume-Uni et l’UE (39 % mettent en cause le premier, 38 % le dernier). Sans surprise, il y a une division partisane sur le sujet – 71 % des soutiens actuels des Conservateurs mettent en cause l’UE, contre 67 % des votants des Travaillistes et 70 % des électeurs Libéraux démocrates qui mettent en cause le Royaume-Uni.
  • L’Union européenne est un partenaire clé. 39 % du public britannique, une majorité parmi les répondants ayant une opinion, voient l’UE comme un partenaire clé dans le futur. Seul 22 % des sondés ont une vision similaire vis-à-vis des Etats-Unis.
  • La plupart des citoyens du Royaume-Uni croient qu’il y a une guerre froide entre les Etats-Unis et la Chine. 55 % des sondés pensent qu’il y a déjà une guerre froide entre les Etats-Unis et la Chine. De plus, 45 % croit qu’il y a un besoin de « contenir » la Chine – mais parmi eux seuls 39 % pensent que le Royaume-Uni devrait faire partie de cette démarche. 46 % – et une majorité de ceux ayant une opinion sur la question – préférerait rester neutre s’il y avait une guerre entre les Etats-Unis et la Chine.
  • Cette préférence pour la neutralité reflète un souhait général d’éviter les dépenses militaires et les solutions militaires à des questions de politique étrangère. Seul 6 % des répondants sont en faveur d’une politique étrangère qui priorise la force militaire britannique. Par contraste, 40 % souhaitent que la politique étrangère britannique se concentre sur le renforcement de l’économie domestique. Seuls 7 % aimeraient voir une importance militaire britannique plus importante dans l’Indopacifique, et seulement 13 % souhaitent plus d’investissement militaire au détriment des efforts pour réduire l’inégalité régionale au sein du Royaume-Uni. La fierté du gouvernement à voir les forces navales britanniques mouiller dans l’Océan Pacifique ne semble pas inspirer le public.

Jeremy Shapiro et Nick Witney pensent que « la politique étrangère du Royaume-Uni ne doit pas seulement se plier à la volonté du public mais également protéger les intérêts clés de la Grande-Bretagne qui échappent pour le moment à l’œil du public ». Pour ce faire « et pour éviter un retour public de flamme » le gouvernement doit, selon les auteurs, suivre les  étapes suivantes :

  • Préserver et moderniser les organisations multilatérales, internationales et régionales. En tant que puissance de taille moyenne avec un fort héritage dans diverses organisations internationales, particulièrement au conseil de sécurité de l’ONU, le Royaume-Uni a un fort intérêt dans le maintien et la réforme du système international de gouvernance basé autour des organisations.
  • Promouvoir le libre-échange équitable. Le Royaume-Uni a toujours prospéré comme nation commerçante. Mais, pour en faire autant dans le monde moderne, il lui faut œuvrer dans un système d’échange libre et équitable qui consiste à la fois en un réseau d’accords commerciaux et en un fort système multilatéral centré autour d’un Organisation Mondiale du Commerce réformée.
  • Améliorer la résilience des chaînes d’approvisionnement. La pandémie a démontré l’importance d’assurer que le Royaume-Uni ait une diversité suffisante d’approvisionnement et une capacité nationale à maintenir une chaîne d’approvisionnement résiliente. C’est seulement grâce à cela qu’il pourra minimiser les perturbations causées par des crises politiques ou des catastrophes naturelles.
  • Protéger la politique économique domestique des influences malignes. Le gouvernement du Royaume-Uni devra protéger sa politique économique contre des menaces telles que la désinformation, la corruption et les investissements stratégiques à travers des efforts comme le contrôle d’investissement, des programmes contre la corruption, des opérations contre la désinformation et la régulation des réseaux sociaux.
  • Mitiger les effets du changement climatique. Le changement climatique est désormais un danger clair et présent. Pour le gouvernement du Royaume-Uni, cela implique des efforts continus pour travailler avec ses partenaires internationaux afin de minimiser les changements climatiques à venir, mais aussi pour adapter la société britannique à ceux qu’il ne peut pas éviter.
  • Promouvoir une stabilité européenne. Même après le Brexit, le Royaume-Uni a un intérêt clair dans la promotion de la stabilité et la protection des valeurs démocratiques en Europe, en particulier contre les efforts de la Russie pour déstabiliser l’Europe de l’Est, y compris les Balkans et même certains Etats membres de l’UE.
  • Renforcer les partenariats scientifiques et technologiques. Comme souligné par la Revue intégrée, la collaboration internationale avec des partenaires clés, en particulier les Etats-Unis et l’UE, est essentielle pour l’innovation et donc vitale pour les futurs succès du pays. Le secteur de la défense est une préoccupation particulière, étant donné le refus de longue-date de Washington de partager ses technologies de défense avec quiconque, et les efforts renouvelés des pays de l’UE pour booster leur collaboration tout en tenant la Grande-Bretagne à l’écart.
  • S’adapter à l’émergence de la Chine. Evidemment, le plus grand défi de politique étrangère pour les années à venir tournera probablement autour de comment réagir et même influencer l’émergence de la Chine. Pour le lointain Royaume-Uni, le défi est moins celui de la dissuasion militaire que de la résistance à la domination économique ou technologie et du recul général de la démocratie.

« Global Britain » est une illusion. Mais il y a une politique étrangère qui puisse obtenir le soutien du public britannique et tracer un futur sûr et influent pour le Royaume-Uni. La vraie question est de savoir si le peuple britannique trouvera un gouvernement ayant l’intelligence et la volonté de s’emparer de ce futur.  

A ce propos, l’auteur et directeur de recherche de l’ECFR, Jeremy Shapiro, dit :

« Plutôt que de regarder en arrière vers un XIXe siècle dont on se souvient à peine et de l’autre côté du monde vers l’Indopacifique lointain, le Royaume-Uni peut gagner la prospérité et le respect qu’il souhaite en se concentrant sur sa capacité unique à travailler avec une variété de partenaires, en particulier l’UE et les Etats-Unis, et en comptant sur sa position privilégiée au sein des institutions internationales, sur son corps diplomatique de rang mondial, et sur un effort précautionneux pour alimenter son toujours considérable soft power. Comme le montre le nouveau sondage de l’ECFR, c’est une politique étrangère qui pourrait obtenir le soutien du public britannique qui valorise sa souveraineté. »

L’auteur Nick Witney ajoute :

« Le gouvernement britannique actuel s’est défini et a défini son idéologie en opposition à l’UE, se coupant ce-faisant d’une approche plus flexible et indépendante. Le sondage de l’ECFR démontre que l’idéologie du gouvernement reflète la vision anti UE de ses votants Conservateurs, mais pas celle d’une population plus large du Royaume-Uni. Plus précisément, il montre que le public – y compris les électeurs Conservateurs – n’ont pas d’opinions fortes sur l’UE ou sur de nombreux autres aspects de la politique étrangère. Un type de politique étrangère très différent serait une option politique viable pour un futur gouvernement britannique, même un mené par un autre Conservateur. »

Ce rapport et ses recommandations font partie d’un projet plus large de l’ECFR pour comprendre les aspirations des Européens quant à  leur politique étrangère. Des publications précédentes de son programme ‘Unlock Europe’s Majority’ comprennent des études sur comment la crise du Covid-19 a réorganisé les visions politiques et les identités au cours des 18 derniers mois, ainsi que des recherches s’appuyant sur des sondages sur les attitudes des Européens et leurs attentes envers les Etats-Unis durant les présidences de Donald Trump et de Joe Biden.

Vous trouverez davantage d’information et de détails sur les travaux du think tank pour ce programme à https://www.ecfr.eu/europeanpower/unlock.

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