Une bouée de sauvetage pour les relations nord-sud : Ce qu’Emmanuel Macron espère accomplir avec le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial

La France cherche à donner une impulsion politique à la réforme de l’architecture financière mondiale. D’autres devraient se rallier à son projet.

December 15, 2022, Brussels, Brussels, Belgium: Arrival of the heads of state at the EU summit. Arrival of French President Emmanuel Macron (Credit Image: © Nicolas Landemard/Le Pictorium Agency via ZUMA Press
15 décembre 2022, Bruxelles, Belgique : Arrivée des chefs d’État au sommet de l’UE. Arrivée du président français Emmanuel Macron.
Image par picture alliance / ZUMAPRESS.com | Nicolas Landemard
©
Également disponible en

Près de 500 jours après le début de la guerre en Ukraine, Européens et Américains s’inquiètent de leurs relations avec le Sud. Si les alliés transatlantiques sont unis, la réaction souvent tiède des pays tiers à l’agression de la Russie les a laissé perplexes. Et le fossé entre le Nord et le Sud semble se creuser. 

Les crises mondiales de ces cinq dernières années – covid-19, guerre de la Russie contre l’Ukraine, inflation, changement climatique – ont poussé les Européens à se replier sur eux-mêmes, alors que ces défis ont plongé une grande partie du monde en développement en récession économique, tout en exacerbant l’insécurité énergétique et alimentaire. Pire encore, certaines des solutions mises en place pour surmonter ces crises – fermeture des frontières, sanctions, relocalisations – ont eu des répercussions négatives majeures sur les pays en développements. Entre-temps, le système multilatéral s’est enfoncé dans la crise, accélérée par les effets de la rivalité entre les États-Unis et la Chine, et s’est montré impuissant à aider les pays en développement et les pays vulnérables. Davantage touchés par cette « polycrise » que les pays du Nord, ces derniers disposent de bien moins de ressources pour s’attaquer à ses conséquences : des dizaines de pays à faible et moyen revenu sont aujourd’hui confrontés à une dette écrasante. 

Pour commencer à s’attaquer à ces problèmes, le président Emmanuel Macron organise un événement ambitieux qui vise à attirer l’attention politique sur les injustices et les inégalités de l’architecture financière mondiale actuelle. Décidé à la hâte après la COP27 de l’année dernière en Égypte, son Sommet pour un nouveau pacte financier mondial réunit à Paris les 22 et 23 juin des dirigeants, des défenseurs de la société civile, des acteurs privés et des institutions financières internationales. L’objectif de cette rencontre est de trouver les moyens de construire un système financier plus inclusif et plus équitable, qui permette la transition climatique et favorise la biodiversité sans mettre en péril le développement. 

De par son histoire coloniale et post-coloniale, et grâce à son siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, la France entretient de nombreuses relations étroites sur d’autres continents. Conscient du mécontentement et du désespoir qui montent, M. Macron a souvent insisté sur la nécessité de répondre aux griefs du Sud, en prononçant de nombreux discours à cet effet, que ce soit à New York, à Washington ou à Bratislava. Le voilà nouveau engagé dans une entreprise ambitieuse mais précipitée : inspiré par la COP21 qui s’est tenue à Paris en 2015, le président estime que l’huile de coude diplomatique permet de mobiliser largement autour des questions mondiales, et il en a fait bon usage. Dès 2018, il lance le Forum de Paris sur la Paix, un événement annuel réunissant dirigeants et société civile pour travailler à un ordre multilatéral revivifié et innovant. Après la sortie des Etats-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, Macron a lancé sommet après sommet sur le changement climatique (One Planet, One Ocean et One Forest). Pour faire face à l’impact du covid-19 sur l’Afrique, la France a accueilli en mai 2021 le Sommet sur le financement des économies africaines

Cette fois, l’objectif est de réinventer l’architecture financière mondiale. Depuis le changement de paradigme provoqué par la pandémie, M. Macron plaide en faveur d’une nouvelle approche – un « consensus de Paris », en référence à l’Accord de Paris sur le climat – pour remplacer le consensus de Washington, axé sur le marché, par des objectifs de développement économique durable. Selon lui, les mesures utilisées par le passé ne sont « plus valables pour lutter contre la pauvreté, pour la décarbonisation de notre économie et pour la biodiversité ». Il fait donc pression pour réformer l’architecture mondiale afin d’encourager les investissements neutres en carbone pour un avenir durable. 

L’idée de M. Macron derrière ce nouveau sommet est de donner un élan politique à une question trop souvent discutée au niveau technique et en vase clos. Personne ne s’attend à ce qu’un véritable « pacte » soit signé, mais la France, ainsi que le comité de pilotage du sommet, composé d’États et d’organisations internationales, espère obtenir une déclaration politique qui susciterait des engagements fermes de la part des dirigeants mondiaux et aurait des conséquences à long terme. Et les dirigeants du monde entier sont au rendez-vous : le secrétaire général des Nations unies, le nouveau président de la Banque mondiale, la présidente de la Commission européenne, la secrétaire au Trésor américaine, le président du Brésil, le chancelier allemand et le premier ministre chinois sont tous attendus, ainsi que 40 chefs d’État, dont un tiers d’Africains. 

Comme il l’a souvent fait par le passé, Emmanuel Macron espère opérer des transformations profondes en un temps record. La planification du sommet a débuté avec de grandes ambitions, mais celles-ci ont être modérées faute de temps et d’implication. Initialement lancé autour de l’initiative Bridgetown de la première ministre de la Barbade, Mia Mottley, la France avait pour objectif d’inclure des sujets autres que le climat, tels que la santé et la pauvreté, et cherchait à obtenir le soutien de la présidence indienne du G20. Malheureusement, le premier ministre indien Narendra Modi sera à Washington pendant le sommet et, malgré le fait que l’Inde copréside le comité de pilotage et malgré la présence attendue de Lula et de Li Qiang, l’événement pourrait finalement ne pas être une démonstration de force pour le Sud. En privé, les ONG ont critiqué le manque d’inclusivité et de transparence des groupes de travail, et un sentiment de désillusion transparait. 

Si les négociations aboutissent, certains résultats concrets pourraient tout de même émerger des quatre groupes de travail. Parmi les ambitions affichées figurent des clauses de suspension de la dette en cas de catastrophe naturelle, la réallocation des droits de tirage spéciaux, l’augmentation de flux de capitaux privés grâce à de meilleurs instruments de réduction des risques, davantage de ressources concessionnelles des banques multilatérales de développement et de nouvelles taxes internationales (telles qu’une taxe carbone sur le transport maritime). Dans un monde de plus en plus fragmenté, une déclaration politique unie en faveur de ces changements à l’issue du sommet serait une victoire pour tous. 

Toutefois, un objectif plus modeste mais réalisable du sommet serait l’émergence d’une « coalition de l’ambition », dans laquelle un certain nombre de pays engagés, ou « champions », soutiendraient l’effort diplomatique au-delà du sommet de Paris.

Toutefois, un objectif plus modeste mais réalisable du sommet serait l’émergence d’une « coalition de l’ambition », dans laquelle un certain nombre de pays engagés, ou « champions », soutiendraient l’effort diplomatique au-delà du sommet de Paris. De nombreuses autres occasions de tirer parti de la dynamique créée à Paris suivront bientôt : le Sommet africain pour l’action climat, le Sommet ODD, le Sommet des dirigeants du G20 à New Delhi et la COP28 à Dubaï. Le sommet de Paris n’ayant pas de mandat, il ne sera efficace que s’il est suivi d’actions dans la durée. Pour les pays du Sud, il viendra appuyer leurs demandes dans tous les forums à venir. 

Le succès du sommet de Paris dépendra également de la capacité des acteurs internationaux majeurs à relever le défi, y compris les Européens. L’Allemagne soutient la France dans son effort, mais la plupart des Européens n’ont pas encore montré leur engagement dans le processus. Treize dirigeants mondiaux ont rédigé une déclaration de bonne volonté dans une tribune avant le sommet, sans toutefois proposer d’engagements spécifiques ni de calendrier de résultats. Malheureusement, le président américain ne participera pas au sommet, pas plus que les premiers ministres italien, canadien et britannique. Leur choix de rester à l’écart du sommet s’explique peut-être par leur irritation face à un énième sommet français. Mais les pays riches et industrialisés n’ont aucune excuse pour leur désintérêt face à la situation désastreuse des pays en développement et des pays vulnérables. Il incombe également à la France de continuer à faire avancer les choses après le sommet – et de ne pas se contenter du sentiment d’avoir essayé. 

Même si la France se laisse aller à sa manie des sommets, et même si les résultats seront inévitablement imparfaits, Européens et Américains doivent se rendre compte que l’acte solitaire de la France mérite d’être soutenu. Avec des mesures claires prises avant le sommet, telles que la réallocation de 30 % de ses droits de tirage spéciaux (environ 7,8 milliards d’euros), M. Macron défend son concept d’un multilatéralisme efficace, un multilatéralisme qui tient ses promesses. Alors que la Russie cherche à éloigner les États du Sud de l’Occident, l’Europe et les États-Unis doivent prendre des mesures concrètes pour corriger les déséquilibres du système actuel et offrir aux pays en développement une voix et un pouvoir accrus. En acceptant enfin que les institutions mises en place après la Seconde Guerre mondiale doivent changer, ils renforceraient leur propre crédibilité auprès des pays du Sud tout en ravivant le multilatéralisme. La seule façon de sauver la coopération internationale – et de s’opposer à l’idée d’une inévitable polarisation nord-sud – est de démontrer qu’elle porte ses fruits, pour tous. 

L'ECFR ne prend pas de position collective. Les publications de l'ECFR ne représentent que les opinions de leurs auteurs.