Après les émeutes : L’avenir de la politique étrangère d’Emmanuel Macron
Le soutien de la France à un élargissement de l’UE et de l’OTAN a un effet transformateur sur la sécurité européenne. Cependant, les violences que le France a connu ces derniers temps pourraient compromettre sa ténacité sur ces grandes problématiques
Un an après sa réélection, Emmanuel Macron fait face à des difficultés qui nuisent à son agenda national et à sa réputation internationale. Alors que les observateurs extérieurs l’interrogent sur les raisons d’une nouvelle révolte française, les Européens favorables à l’élargissement de l’UE et de l’OTAN, à l’Ukraine et à l’action climatique doivent prendre conscience de l’importance du soutien de la France dans chacun de ces domaines – et réfléchir à ce qu’ils peuvent faire pour s’assurer que Paris maintienne une voix forte sur ces questions vitales.
Au cours de l’année écoulée, le gouvernement du président Macron a dû se battre pour faire adopter son programme législatif à l’Assemblée nationale ; il a recouru à des dispositions spéciales, ou réuni des majorités ad hoc au sein d’un parlement divisé. Pendant ce temps, des manifestations violentes ont paralysé le pays à plusieurs reprises, y compris des émeutes récentes après la mort d’un jeune homme tué par la police : en quatre jours seulement, le niveau de violence a dépassé celui des émeutes des banlieues de 2005, qui avaient duré plusieurs semaines.
D’une certaine manière, la situation n’est pas nouvelle. Des manifestations périodiques, telles que le mouvement des gilets jaunes en 2018, ont rythmé la présidence d’Emmanuel Macron, mais cela n’a guère calmé son hyperactivité sur la scène internationale. En effet, la grande marge de manœuvre des présidents français en matière de politique étrangère a toujours permis aux présidents, même affaiblis, de remporter des succès dans ce domaine. Jacques Chirac a mené une opposition vigoureuse à l’intervention américaine en Irak en 2003 ; François Hollande a rassemblé les pays du monde entier autour de l’accord de Paris sur le climat en 2015.
Pour le moment, les ambitions d’Emmanuel Macron en matière de politique étrangère restent inchangées. Après s’être lancé début 2021 dans une médiation ratée de plusieurs mois avec la Russie, le président français a depuis revu son approche pour apporter un soutien clair à l’Ukraine. Cela a placé la France au cœur du soutien militaire et politique de l’Occident à Kiev pour contrer les assauts de Moscou. M. Macron a également initié de nombreuses discussions européennes clés, telles que l’élaboration d’un nouveau format diplomatique – la Communauté politique européenne – et le début d’une réflexion à l’élargissement de l’UE et de l’OTAN à l’Ukraine.
En outre, la France d’Emmanuel Macron est depuis quelque temps l’une des principales voix européennes à s’exprimer en faveur des relations avec le Sud global, et en particulier avec la région indopacifique. Le président a récemment accueilli un sommet pour un nouveau pacte financier mondial. Ce mois-ci, il a reçu le premier ministre indien, Narendra Modi, à l’occasion du traditionnel défilé militaire du 14 juillet.
Les dirigeants démocratiques en fin de mandat trouvent souvent un certain réconfort à se concentrer sur la politique étrangère, ce qui pourrait inciter Macron à poursuivre cette voie.
Ce serait toutefois une erreur. Avec quatre années supplémentaires à l’Élysée, Emmanuel Macron a le temps de s’attaquer enfin aux problèmes très réels de la France en matière d’inégalités, de violence et de racisme – des défis qui méritent d’être relevés à leur juste mesure.
En outre, les agitations intérieures affectent la capacité des présidents à mener une politique étrangère. Elles nuisent à l’image d’un pays, affaiblissant son dirigeant et sa capacité à définir un programme international. Lors des manifestations contre la réforme des retraites et des dernières émeutes, les médias européens ont fait part de leur étonnement face à l’apparente résistance de la France aux réformes, aux niveaux élevés de violence de la part de la police et des manifestants, et au nombre grandissant d’agressions contre les élus.
Outre le fait d’alimenter le sentiment d’un président en perte de contrôle, les problèmes internes de la France ont eu pour effet d’empêcher la visite d’État du roi Charles III en mars et la visite d’État du président Macron en Allemagne en juin. Il s’agissait peut-être de visites protocolaires, mais elles étaient aussi destinées à relancer les relations tendues avec Londres et Berlin. Plusieurs dirigeants européens, qui partagent pourtant en grande partie la position du président français sur les questions fondamentales liées à la sécurité européenne, ont remué le couteau dans la plaie. En réponse aux récents événements, le premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a posté un tweet opposant une France en flammes à une Pologne en paix, suggérant avec insistance que la cause des maux français était l’immigration.
La réaction d’Emmanuel Macron aux émeutes place en opposition son programme international et les intérêts électoraux de son parti. Jusqu’à présent, sa réponse a été de virer à droite, en proposant une réforme sévère des lois sur l’immigration et en restant ferme sur les émeutes. Le gouvernement est sous la pression de l’extrême droite, à un moment où 41 % de la population estiment que Marine Le Pen, leader de l’extrême droite française, a eu la bonne attitude pendant les émeutes – c’est nettement plus que les 28 % qui pensent la même chose du président. Le parti de Marine Le Pen, le Rassemblement national, est en tête des sondages pour les élections européennes de l’année prochaine, avec 26 % d’opinions favorables, contre 20 % pour Renaissance, le parti du président.
Ce contexte pourrait entraîner une pression considérable sur des éléments majeurs du programme de politique étrangère d’Emmanuel Macron, tels que sa position sur l’élargissement de l’UE, le soutien à l’Ukraine et même son action en faveur du climat. Le Rassemblement National pourrait essayer de marquer des points sur chacun de ces sujets, confrontant Macron à des choix difficiles. Marine Le Pen a déclaré son opposition « à tous les élargissements de l’UE » et exploitera la réticence des Français sur cette question. (En 2020, 59 % des Français avaient une opinion négative de l’élargissement de l’UE aux Balkans occidentaux). En ce qui concerne l’Ukraine, le consensus semble se maintenir. Néanmoins, Marine Le Pen a toujours critiqué les sanctions économiques contre la Russie et la livraison d’armes lourdes à Kiev. Son parti tente également de mettre en avant le coût de la transition climatique en parlant d’« une écologie punitive ». Avec la pression politique croissante de la droite – y compris dans son propre camp où les ministres se battent pour devenir son héritier et définir leur propre version du macronisme sans Macron – les contradictions deviennent plus apparentes entre une politique étrangère progressiste-centriste (sur le climat, l’Europe et l’Afrique) et une politique intérieure de plus en plus conservatrice et de centre-droit.
Qu’est-ce que tout cela signifie pour l’Europe ? Beaucoup de choses restent du ressort d’Emmanuel Macron, et de lui seul, mais les dirigeants européens devraient résister à tout sentiment de Schadenfreude et à la tentation de marquer des points politiques en exploitant les problèmes intérieurs de la France. La Pologne est un exemple particulier de cette tendance à dénigrer la France. Il est vrai que Paris et Varsovie divergent sur la politique européenne d’immigration, et Morawiecki a longtemps sympathisé avec Le Pen. Néanmoins, la Pologne a beaucoup à gagner en gardant Macron à bord pour garantir l’adhésion éventuelle de l’Ukraine à l’Union européenne et à l’OTAN, ainsi que pour soutenir l’ambitieuse politique française de développement de l’industrie européenne de défense.
L’objectif principal des dirigeants européens dans leurs relations avec la France devrait être de s’assurer que le pays continue à soutenir une politique européenne de fermeté vis-à-vis la Russie, à la fois dans la période précédant et suivant 2027. Ils ne devraient pas prendre de mesures qui renforcent l’opposition d’extrême droite (tant en France que dans le reste de l’Europe), dont l’alignement sur le discours politique russe a été récemment dévoilé. Malgré l’agacement ou l’acceptation tacite des autres, Emmanuel Macron est un premier violon utile pour la transformation de l’Europe. À moins que les dirigeants européens ne soient prêts à déployer les mêmes efforts, ils feraient mieux de cultiver les liens avec le président en place et de ne pas jouer sur l’avenir.
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