Un nouveau coup dur pour la maîtrise des armements : La « dératification » du traité d’interdiction des essais nucléaires par la Russie

Dans cette image tirée d’une vidéo publiée par le service de presse du ministère russe de la défense le 26 octobre 2022, un missile balistique intercontinental Yars est testé dans le cadre d’exercices
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Le 18 octobre, la Douma russe a voté en faveur de la révocation de la ratification du traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) de 1996, qui interdit les essais d’armes nucléaires et autres explosions nucléaires. La Russie reste signataire du TICE et donc liée à ses conditions, et prétend s’aligner sur les autres signataires qui n’ont pas ratifié le traité, notamment les États-Unis, la Chine, l’Iran, Israël et l’Égypte. Moscou n’a pas fait part de son intention de se retirer du traité et reste membre de la commission préparatoire de l’Organisation du traité d’interdiction complète des essais nucléaires (OTICE), qui surveille les essais nucléaires dans le monde entier. Néanmoins, la décision de « dératifier » le TICE envoie un signal inquiétant au reste du monde.

  • Tout d’abord, et de la manière la plus immédiate, elle affaiblit un autre accord majeur de contrôle des armements. La Russie s’est déjà retirée du traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE) de 1989 et a violé le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire de 1987, ce qui a entraîné sa disparition. Le régime START et la convention sur les armes chimiques restent intacts pour l’instant, malgré l’utilisation d’armes chimiques en Syrie. Ce démantèlement sans précédent d’accords majeurs menace de déstabiliser davantage la paix et la sécurité mondiales.

  • Deuxièmement, le retrait de la Russie du traité FCE (qui a commencé par un « gel », puis une violation, et enfin un retrait) suggère que la « dératification » du TICE pourrait ouvrir la voie à des mesures beaucoup plus radicales. La Russie pourrait notamment retirer sa signature du traité, préparer un essai nucléaire, menacer d’en effectuer un ou reprendre complètement les essais nucléaires. Étant donné que la Russie a fortement modernisé sa force de dissuasion nucléaire, l’une ou l’autre de ces mesures altérerait la stabilité nucléaire et pourrait déclencher des décisions similaires de la part d’autres États nucléaires.

  • Troisièmement, il s’agit d’une nouvelle étape dans la longue liste des signaux nucléaires qui constituent la stratégie d’intimidation nucléaire de Moscou depuis février 2022. Moscou continuera d’exhiber ses armes nucléaires comme un élément central de son dispositif de défense et de sécurité.

Montrer l’exemple
Les pays européens doivent affirmer clairement dans les forums internationaux, à commencer par l’Assemblée générale des Nations unies, que cette décision porte atteinte à un traité multilatéral majeur signé par 187 pays, dont de nombreux pays du Sud. Les Européens sont mieux placés que Washington pour le faire, car tous les pays européens ont ratifié le TICE et soutiennent activement l’OTICE. La France et le Royaume-Uni sont aujourd’hui les deux seuls États dotés de l’arme nucléaire dans cette position.

Aux côtés des pays de l’UE et de l’OTAN, les trois États occidentaux détenteurs de l’arme nucléaire – les États-Unis, la France et le Royaume-Uni – devraient indiquer clairement qu’ils croient en la vertu de la dissuasion et qu’ils continueront à mener les politiques nucléaires responsables dont la Russie s’éloigne de plus en plus. Ils devraient souligner que la décision de la Russie ne repose sur aucune base politique ou stratégique solide, étant donné que la politique américaine est restée inchangée depuis 25 ans et qu’aucune des 178 parties au traité n’a fait un geste qui pourrait justifier une telle démarche.

Enfin, l’UE devrait s’engager auprès des partisans du TICE et du désarmement pour garantir la préservation du traité et l’avenir du contrôle des armements. Suite aux plaintes récurrentes sur l’absence de progrès, c’est l’occasion pour les partisans du désarmement nucléaire d’agir sur une question immédiate qui fait reculer les engagements pris précédemment en condamnant fermement l’action de la Russie et en appelant à l’entrée en vigueur du TICE, qui reste l’outil le plus efficace pour empêcher une reprise des essais nucléaires.

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