Comment la technologie influence la puissance européenne

The outside of a google data center in the Netherlands
A Google data center in the Netherlands
Image par picture alliance / Robert Utrecht
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  • Si l’Union européenne (UE) désire être plus qu’une médiatrice entre les deux véritables puissances technologiques, les Etats-Unis et la Chine, elle va devoir changer d’état d’esprit.
  • Des batailles technologiques sont menées dans un nombre croissant de domaines et créent des vulnérabilités dont des pays tiers peuvent tirer profit.
  • L’UE et ses Etats membres doivent s’intéresser de plus près aux implications et aux éléments de puissance géopolitique de la technologie.
  • La technologie représente à la fois un enjeu externe : établir des liens avec des partenaires ; et interne : s’assurer de l’étroite coopération entre l’UE et ses Etats membres.

La technologie s’est frayé un chemin vers le champ de bataille géopolitique. De nouvelles technologies numériques peuvent stimuler grandement la croissance économique d’un pays et par conséquent son influence économique mondiale. Si l’UE ne se met pas à traiter la technologie autrement que comme un problème de régulation de marché, elle risque de perdre la bataille la plus importante du 21e siècle : la compétition entre puissances géopolitiques pour les technologies numériques émergentes. 

Dans un nouveau rapport de l’ECFR – « Comment la technologie influence la puissance européenne » – Ulrike Franke et José Ignacio Torreblanca expliquent pourquoi les décideurs européens doivent d’urgence changer d’état d’esprit pour aider l’Europe à s’équiper pour les nouveaux champs de batailles techno-géopolitiques du 21e siècle.

Les pays européens et leurs partenaires risquent de devenir les terrains de jeu d’une compétition technologique entre grandes puissances. Des batailles technologiques sont menées dans un nombre croissant de domaines et créent des vulnérabilités dont des pays tiers peuvent tirer profit. Pour l’UE et ses partenaires, ces vulnérabilités se divisent en deux catégories : de nouvelles dépendances et la vulnérabilité à l’ingérence étrangère.

  • Le choix de l’Europe en ce qui concerne les fournisseurs pour le déploiement de la 5G a été au centre de la première controverse géopolitique autour du développement d’une technologie depuis la fin de la guerre froide. Certains Etats membres refusent toujours de faire un choix définitif sur la 5G, ou continuent même à se plier aux stratégies et initiatives chinoises pour la connectivité. 
  • Les câbles sous-marins sont essentiels pour le fonctionnement de tout le secteur numérique. 97% du trafic internet passe par ces câbles. Ces dernières années, des entreprises chinoises et américaines telles que Huawei, Amazon, Microsoft, Google et Facebook ont accru leur présence au sein du marché des câbles sous-marins.
  • Le processus de mise en place de standards technologiques est un moyen subtil pour créer des dépendances. Il y a actuellement une course pour établir les standards que les infrastructures numériques devront respecter. Alors que la mondialisation engendre de la fragmentation et que la Chine et les Etats-Unis se dissocient, la bataille sur les standards techniques est devenue critique.
  • Les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle en particulier, permettent des usages militaires qui pourraient changer  l’équilibre des pouvoirs dans le monde en donnant à de nouveaux acteurs des capacités militaires cruciales. L’intelligence artificielle militaire émerge comme un nouveau domaine pour la rivalité entre grandes puissances.
  • Les gouvernements autoritaires ont maîtrisé avec succès les technologies numériques pour accroître leur pouvoir et leur contrôle sur leurs citoyens, et fragiliser les démocraties. Ces gouvernements ont transformé les réseaux sociaux et les technologies numériques en instruments efficaces de surveillance et de contrôle social, en supprimant l’opposition démocratique.
  • Le modèle économique des entreprises de réseaux sociaux, basé sur la publicité pour captiver l’audience et obtenir les données des utilisateurs, a mené à une économie de l’attention qui privilégie l’émotionnel, accroît la polarisation politique, et érode la confiance dans les institutions. A cause du manque de régulation adéquate, ces entreprises sont vulnérables aux opérations d’influence étrangères et aux ingérences électorales.

Les auteurs proposent les actions suivantes pour renforcer l’engagement européen en matière de géopolitique des technologies :

  • L’UE et ses Etats membres doivent changer d’état d’esprit et reconnaître qu’ignorer les enjeux de puissance géopolitique liées aux nouvelles technologies n’est pas une stratégie gagnante.
  • Le défi pour l’UE est de travailler avec des pays et des organisations multilatérales ayant le même état d’esprit – telle que l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE), mais aussi par des arrangements régionaux comme avec l’Amérique latine, l’Afrique et l’Indopacifique – pour développer des standards technologiques justes, ouverts et respectant certaines valeurs.
  • L’UE devrait utiliser l’attrait pour l’accès à son marché numérique pour renforcer ses alliances. Le bloc devrait utiliser ses institutions financières pour inciter les entreprises européennes à investir dans des pays qui cherchent à adopter ces technologies essentielles, mais qui cherchent en même temps à réduire leur dépendance technologique à la Chine.
  • A travers des institutions multilatérales telles que l’OCDE et le Fonds monétaire international (FMI), ou à travers des groupements tels que le G20, l’UE devrait établir un régime international de protection des données dont les standards seraient valides pour la plupart des démocraties. 

« Si l’UE et ses Etats membres coopèrent étroitement sur les problématiques technologiques, le bloc sera renforcé – et mènera en montrant que ses règles et régulations, telles que celles sur la vie privée ou l’intelligence artificielle fiable, fonctionnent à domicile. En cela, l’UE peut bénéficier des relations diplomatiques de ses Etats membres dans de nombreuses régions », affirme Ulrike Franke, co-autrice du rapport.

« Au 21eme siècle, le champ de bataille sur lequel s’affrontent les superpuissances est numérique. Nous parlons de compétition pour l’hégémonie mondiale entre les Etats-Unis et la Chine. Le grand défi pour l’UE est d’innover autant que les Etats-Unis et la Chine le font. C’est là que sa souveraineté numérique sera gagnée ou perdue », énonce José Ignacio Torreblanca, co-auteur du rapport.

L'ECFR ne prend pas de position collective. Les publications de l'ECFR ne représentent que les opinions de leurs auteurs.