Une vue d’ensemble : Les arguments en faveur d’un accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur

epa11015722 Brazilian President Luiz Inacio Lula da Silva (C-rear) presides the 63rd Mercosur Summit in Rio de Janeiro, Brazil, 07 December 2023. During the 63rd Summit of Presidents of Mercosur (Argentina, Brazil, Paraguay and Uruguay) the ratification of the incorporation of Bolivia, signing a free trade agreement with Singapore and debate the negotiations with the European Union (EU) are planned. Photo: picture alliance/EPA/Antonio Lacerda
Le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva (à gauche) préside le 63e sommet du Mercosur à Rio de Janeiro (Brésil), le 7 décembre 2023
Image par picture alliance / EPA | Antonio Lacerda ©
©
Également disponible en

Le renforcement des liens avec les pays du Mercosur s’inscrit parfaitement dans le cadre des efforts déployés par l’UE pour diversifier ses relations économiques en s’éloignant de la Chine. Tout retard supplémentaire dans la signature d’un accord de libre-échange rapprocherait l’Amérique latine de l’orbite de la Chine – pour de bon.

Tout semblait prêt pour le 7 décembre 2023 : après près d’un quart de siècle de négociations, l’Union européenne et les quatre membres de l’union douanière du Mercosur – l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay – devaient signer un accord de libre-échange à Rio de Janeiro. Pourtant, comme plusieurs fois auparavant, tout ne s’est pas déroulé comme prévu pour cet accord apparemment voué à l’échec. Quelques jours avant le sommet de Rio, le président français Emmanuel Macron a déclaré que l’accord n’offrait pas suffisamment de garanties environnementales, réduisant ainsi à néant les espoirs de signature.

L’accord de libre-échange proposé entre l’UE et le Mercosur n’est pas idéal. Une recherche rapide sur Google donne des résultats alarmants sur l’impact négatif potentiel de l’accord sur les questions environnementales, les droits des travailleurs, le bien-être des animaux, les normes de sécurité et les procédures de passation des marchés. Les réserves de M. Macron s’expliquent également par les difficultés de la politique intérieure française. Le président français ne dispose pas de la majorité au Parlement, ce qui rend la ratification de l’accord peu probable. En outre, M. Macron craint que les partis d’extrême droite n’utilisent les inconvénients perçus de l’accord sur les secteurs français du bœuf et de la volaille pour s’attirer les votes des agriculteurs lors des élections européennes de juin. Ces préoccupations, ainsi que celles d’une poignée d’autres États membres de l’UE comme l’Autriche, sont valables. Mais le plus important est que la non-signature de l’accord serait un manque de vision et nuirait aux intérêts de l’Europe.

L’argument économique habituel en faveur de l’accord UE-Mercosur tourne autour du fait que la zone de libre-échange serait énorme, couvrant environ 750 millions de personnes et environ un cinquième de l’économie mondiale. Malgré ces chiffres impressionnants, l’impact économique de l’accord serait faible pour l’UE ; l’accord n’entraînerait qu’une augmentation du PIB de l’ordre de 0,1 à 0,3 %. En effet, les échanges entre l’Europe et les économies du Mercosur sont faibles, l’union douanière latino-américaine n’absorbant que 2 % des exportations mondiales de l’UE.

La valeur économique de l’accord est ailleurs. Elle est double : premièrement, les pays du Mercosur détiennent de vastes réserves de matières premières essentielles qui seront cruciales pour la transition énergétique verte de l’UE. C’est une excellente nouvelle pour Bruxelles, étant donné l’objectif de l’Union européenne de réduire sa dépendance à l’égard de la Chine pour ces matières premières. Le Brésil, par exemple, possède environ 20 % des réserves mondiales de graphite, de nickel, de manganèse et de terres rares (autant d’éléments cruciaux pour les équipements de technologie propre). Le pays détient également 94 % des réserves mondiales de niobium, un métal utilisé dans le secteur aérospatial et figurant sur la liste des matières premières critiques de l’UE. Le Brésil n’est pas le seul pays du Mercosur à posséder des gisements aussi importants de matières premières essentielles : L’Argentine possède les troisièmes réserves mondiales de lithium, un élément essentiel des batteries des véhicules électriques.

Deuxièmement, un accord de libre-échange avec le Mercosur soutiendrait les efforts de l’Europe en matière de réduction des risques. Les institutions européennes travaillent d’arrache-pied pour trouver des moyens de convaincre les entreprises de l’UE de délocaliser leurs chaînes d’approvisionnement loin de la Chine, idéalement dans des pays aux vues similaires (lire : des démocraties). L’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur y contribuerait. En abaissant les droits de douane sur les exportations européennes vers les économies du Mercosur, notamment pour les produits chimiques (actuellement soumis à des droits de douane de 18 %) et les machines (frappées par des droits de douane de 14 à 20 %), l’accord pourrait contribuer à convaincre les entreprises européennes de développer des chaînes de production en Amérique latine. Les pays du Mercosur ne sont pas des territoires inexploités pour les entreprises européennes ; l’UE est déjà la principale source d’investissements directs étrangers dans l’union douanière. Le moment choisi pour conclure l’accord semble également idéal pour les pays du Mercosur : ces dernières années, ils se sont lancés dans des réformes politiques ambitieuses afin de développer leurs secteurs industriels locaux.

Au-delà de l’aspect économique, l’accord entre l’UE et le Mercosur a également une valeur géopolitique plus large. L’Amérique latine est une région où les pays occidentaux et la Chine se livrent à une intense compétition pour l’influence. Ce n’est pas nouveau : au plus fort de la pandémie du Covid-19, la diplomatie chinoise en matière de vaccins s’est concentrée sur l’Amérique latine. L’échec de la signature de l’accord de libre-échange UE-Mercosur risque de rapprocher les économies latino-américaines de l’orbite de Pékin. L’Uruguay, en particulier, exprime depuis longtemps sa préférence pour un accord de libre-échange avec la Chine plutôt qu’avec l’UE. Le gouvernement uruguayen dispose d’arguments solides : La Chine est la première destination des exportations du Mercosur et Pékin a prévu d’investir 250 milliards de dollars dans la région d’ici à 2025 (un montant cinq fois supérieur à celui du programme « Global Gateway » de l’UE). Jusqu’à présent, les autres pays du Mercosur privilégient un accord de libre-échange avec l’UE plutôt qu’avec la Chine, mais leur patience s’épuise.

D’autres économies émergentes suivent de près l’état des négociations entre l’UE et le Mercosur. Les listes de souhaits maximalistes de l’UE concernant les exigences des économies en développement désireuses de signer des accords de libre-échange sont de plus en plus perçues comme condescendantes. Dans les conversations privées, les fonctionnaires indiens peinent à cacher leur frustration lorsqu’ils évoquent l’état des négociations en vue d’un accord de libre-échange avec l’UE. Cette situation ne contribue pas à améliorer la cote de popularité de l’Union européenne à l’heure où les économies émergentes privilégient de plus en plus les approches transactionnelles et à la carte dans leurs relations économiques et diplomatiques. Comme l’a déclaré le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva en juillet, après que l’UE a envoyé aux pays du Mercosur une lettre sévère leur demandant de se conformer à l’accord de Paris ou d’oublier l’accord de libre-échange UE-Mercosur, « deux partenaires stratégiques ne discutent pas de menaces, ils discutent de propositions ». Nous discutons de propositions ».

La Chine est la première destination des exportations du Mercosur et Pékin a prévu d’investir 250 milliards de dollars dans la région d’ici 2025.

Suggérer que les pays du Mercosur seront privés d’un accord de libre-échange avec l’UE s’ils ne répondent pas aux exigences de Bruxelles est contre-productif. La négociation est l’art de parvenir à un compromis. L’une des parties peut toujours demander plus, mais à un moment donné, l’autre partie peut choisir de se retirer si elle a l’impression de ne pas être traitée comme un égal, mais comme un vairon. Les pays du Mercosur sont proches de ce point de basculement et savent que si les choses tournent mal avec l’UE, la Chine les accueillera à bras ouverts. En outre, le meilleur moyen pour l’UE d’imposer des normes environnementales plus strictes dans les pays du Mercosur pourrait bien être de renforcer son influence dans la région. L’accord proposé comprend un chapitre entier sur les normes environnementales – une base utile sur laquelle s’appuyer à l’avenir. Là encore, l’alternative est de rapprocher l’Amérique latine de la Chine, qui ne demandera probablement jamais de garanties que le Brésil mettra fin à la déforestation.

Le temps presse pour l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur. Les partis populistes d’extrême droite pourraient obtenir une part importante des voix lors des élections européennes de juin. Ces partis anti-mondialisation et protectionnistes pourraient être réticents à ratifier l’accord à Strasbourg. Six mois plus tard, l’ancien président américain Donald Trump pourrait bien revenir à la Maison Blanche et relancer les guerres commerciales qu’il avait déclenchées. Si cela se produit, l’accord de libre-échange avec le Mercosur servirait de police d’assurance à l’UE pour montrer son engagement envers l’ordre multilatéral fondé sur des règles. La priorité économique actuelle de l’Europe est de développer des partenariats avec les économies émergentes afin de réduire les risques face à la Chine. Si l’Union européenne prend ce projet au sérieux, la signature d’un accord de libre-échange avec le Mercosur serait la première étape la plus logique.

L'ECFR ne prend pas de position collective. Les publications de l'ECFR ne représentent que les opinions de leurs auteurs.