Relancer la coopération avec la Biélorussie : un défi pour l’Europe

L'Union européenne a raison de se méfier du régime biélorusse mais elle devrait voir la libération des prisonniers politiques comme une opportunité de renouer le dialogue avec le régime de Loukachenko

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Le 22 août, sept semaines avant les élections présidentielles en Biélorussie, le président Loukachenko a accédé à une demande clé de l’Occident et libéré tous les prisonniers politiques encore présents dans les geôles biélorusses : Mikalai Dzyadok, Ihar Alinevich, Yauhen Vaskovich, Artsyom Prakapenka, Yury Rubtsou et, de manière évidente, Mikalai Statkevitch, ancien candidat à la présidentielle ayant été détenu pendant 5 ans. Pour un pays fréquemment présenté comme la dernière dictature d’Europe, c’est une nouvelle importante. Mais cette nouvelle soulève trois questions : qu’est-ce que cela signifie ? Pourquoi maintenant ? Quelle devrait être la réaction de l’Union européenne (UE) ?

Tout d’abord, il faut comprendre exactement ce que cette nouvelle n’est pas. Ce n’est pas, de quelque manière que ce soit, le signe d’un changement fondamental ou d’une libéralisation du régime de Minsk. Loukachenko a toujours utilisé les prisonniers politiques comme un levier vis-à-vis de l’Occident et ce dernier geste n’est, malheureusement, pas différent des autres. Les prisonniers politiques, qui ont, par le passé, regroupés des protestataires, des militants des droits de l’Homme, et des candidats aux élections présidentielles, ont été emprisonnés sur la base de fausses accusations, mis en prison grâce à des sentences arbitraires et libérés au gré des envies du président. Cette libération n’est donc pas le signe avant-coureur de concessions faites par le régime ou encore de changement de politique plus favorables aux occidentaux. Ce n’est pas non plus une indication de l’efficacité des sanctions prises contre le pays. Les premières sanctions sont apparues en 2004 avec la mise en place d’une liste noire des personnalités interdites de voyage et le gel des avoirs de ceux-ci. Cette liste n’a fait que s’allonger au fil du temps, particulièrement avec la répression post-électorale de 2010, mais, malgré la sévérité des sanctions, un lien n’a jamais pu être établi entre celles-ci et le nombre de prisonniers présents dans les prisons russes. En annonçant une « amnistie », le président a, en réalité, simplement voulu souligner le contrôle qu’il exerce en montrant qu’il se comportera, et maintiendra sa mainmise sur toute forme d’opposition, selon son propre agenda.

Cette nouvelle n’indique pas non plus que la prochaine élection sera plus libre et juste que les précédentes : « l’amnistie » a été annoncée un jour après la fermeture des inscriptions des candidats à l’élection présidentielle, les médias ne sont pas plus libres qu’avant et les autres candidats à l’élection, appartenant déjà à une opposition très faible, ne sont pas plus visibles. Alors que l’OCDE s’apprête à ouvrir sa mission d’observation des élections à Minsk ce mois-ci, il est difficile de les imaginer la mener d’une manière différente de celle de 2010, date à laquelle ils ont écrit qu’ « il y avait un manque flagrant d’indépendance et d’impartialité au sein de l’administration électorale, un terrain inégal selon les candidats et un espace médiatique restreint, tout comme une absence continue de transparence aux étapes clés du processus électoral ».

A l’inverse, cette nouvelle est plutôt l’expression des manœuvres de Loukachenko pour se rapprocher de l’Occident dans le jeu d’équilibre avec la Russie, jeu dans lequel il a maintenant une longue expérience. A la suite de la crise en Ukraine, Moscou apparait, en effet, comme un partenaire moins fiable et, certainement, moins stable financièrement. L’intervention éhontée de la Russie en Ukraine a semé la panique chez le peuple biélorusse mais aussi au sein du gouvernement. Toutefois, la Biélorussie reste dans le même temps dépendante des subventions et du commerce avec la Russie. De plus, les sanctions occidentales ont entraîné une chute vertigineuse des prix du pétrole et les problèmes structurels de long-terme ont causé de sérieux problèmes pour l’économie russe, ce qui, en retour, a eu un fort impact sur ses voisins occidentaux. La Banque mondiale prévoit à présent que 2015 et, potentiellement, 2016 marqueront la première contraction de l’économie biélorusse depuis 1995. Loukachenko doit donc envisager d’autres options.

En essayant, durant toute l’année dernière, de renforcer la Biélorussie afin qu’elle apparaisse comme étant détachée de la Russie, Loukachenko a, de manière assez inhabituelle, soutenu la langue et la culture biélorusse, plutôt que russe, et, de manière encore plus improbable, est devenu un partisan des pourparlers de paix en Ukraine. A présent, il y voit l’opportunité de remplir les conditions imposées par l’Occident pour la reprise de la coopération en parvenant à redorer son image et celle de son gouvernement avant les élections du 30 octobre, date à laquelle les sanctions doivent être renouvelée, tout en ouvrant la porte à de nouveaux financements en provenance de l’Ouest.

Les gestes de bonne volonté de Loukachenko peuvent être des éléments d’une stratégie cynique, mais ils restent, pour l’UE, une occasion de rouvrir le dialogue qui a manqué avec la Biélorussie. Durant les cinq dernières années, marquées par l’application de sanctions à l’encontre du pays et d’un engagement limité de l’Europe, le soutien à l’UE parmi la population biélorusse a considérablement diminué : actuellement, plus de 50% de la population est en  faveur d’une intégration plus poussée avec la Russie contre seulement 30% avec l’UE. Dans le même temps, la guerre en Ukraine a entamé la crédibilité des protestations politiques populaires à cause de la peur d’une intervention et d’instabilité qu’elles véhiculent. Ainsi, l’Europe doit être de nouveau plus présente dans le pays.

Comme il a été dit par Yaroslau Kryvoi et Andrew Wilson plus tôt cette année, nous devrions trouver un moyen de « renouer avec la politique d’engagement mais sans les espoirs irréalistes de 2009-2010 ». C’est à cette période que les ministres des affaires étrangères Guido Westerwelle et Radek Sikorski ont entamé leur réputation lorsqu’il s’agit de parvenir à des progrès démocratiques en offrant des financements occidentaux pour permettre la tenue d’élections plus libres quelques semaines avant le choc de la répression. Cette fois-ci, en échange de la libération des prisonniers, si longtemps attendue, et après la tenue dans le calme des élections, un geste de bon vouloir serait de retirer le président de la liste noire tout en mettant en place rapidement des mesures ayant un impact pratique sur la vie des biélorusse comme, par exemple, la facilitation de l’octroi des visas, qui a fait de grands progrès depuis le début des négociations en janvier. A partir de là, un approfondissement de la coopération entre l’UE et la Biélorussie pourrait suivre avec la mise en place de nouveaux critères de référence. Il est donc juste de se méfier du régime biélorusse, mais l’UE devrait tout de même essayer de tourner ces nouveaux développements en sa faveur.

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