Perspective 2030 : quatre étapes vers un nouvel élargissement de l’UE

Le prochain cycle d’élargissement représente une occasion pour l’UE de devenir un acteur de politique étrangère, si elle met en place des plans concrets dans ce sens

Drapeaux de l’UE en berne devant les bâtiments du Parlement européen à Strasbourg, 14 juin 2023. Union européenne 2023.
Image par Alain ROLLAND
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Suite à la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, l’ambition d’accepter de nouveaux membres de l’Union européenne, longtemps restée en suspens, a connu un renouveau remarquable. En juin 2022, l’UE a accordé le statut de candidat à l’Ukraine et à la Moldavie et, en mai 2023, le président Emmanuel Macron a déclaré qu’il souhaitait que l’élargissement ait lieu « le plus vite possible ». Il s’agit d’un changement majeur : par le passé, Paris considérait l’adhésion de nouveaux membres comme une menace pour la cohésion de l’UE. Aujourd’hui, il le voit comme une condition préalable à la souveraineté européenne.

Il y a des raisons d’espérer que cette fois-ci les choses seront différentes. Cependant, les partisans de l’élargissement ne doivent pas se faire d’illusions. L’enthousiasme en faveur de l’accueil de nouveaux membres pourrait disparaître aussi rapidement qu’il est né des cendres de Boutcha et de Kramatorsk. Le scepticisme et les inquiétudes concernant les perspectives d’une union élargie sont encore répandus, et ces puissants courants resurgiront inévitablement. C’est ce qu’a montré le récent conflit sur l’exportation de céréales, au cours duquel même les plus fervents défenseurs de Kiev, tel que Varsovie, ont cherché à empêcher l’entrée des produits agricoles ukrainiens dans le marché unique. Des actions rapides et ambitieuses de la part de l’UE sont donc nécessaires, alors que l’énergie politique en faveur de l’élargissement reste puissante.

Le sommet de l’UE en décembre 2023, sous présidence espagnole, est l’occasion pour l’Union de définir ce qu’elle fera pour concrétiser cette perspective. Elle devra mettre en place un plan réaliste qui rende possible l’entrée dans l’UE des pays des Balkans occidentaux et du trio d’anciens États soviétiques, à savoir l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie. L’UE doit prendre quatre mesures : fixer l’élargissement à l’horizon 2030; convenir d’un plan d’adaptation des politiques de l’UE afin d’accepter de nouveaux membres; formuler un « critère de Madrid » d’alignement de la politique étrangère pour les pays candidats; et accorder le statut de candidat au Kosovo.

Fixer 2030 comme date cible pour l’élargissement

Tout d’abord, l’UE devrait fixer une date cible pour son prochain cycle d’élargissement. Cela ne signifie pas que l’UE s’oblige à admettre des pays qui ne sont pas prêts. Le processus d’élargissement devrait rester – ou plutôt devenir – véritablement fondé sur le mérite. Cet engagement serait plutôt une promesse (géo)politique du Conseil européen (et non de la Commission européenne) d’ouvrir la porte à l’adhésion à ceux qui sont capables et désireux de rejoindre l’UE. La date de 2030 – au moins pour les États qui souhaitent participer au marché unique, adhérer au plan d’action pour le climat de l’Union et recevoir des fonds européens – serait ambitieuse mais réaliste, et conforme aux stratégies d’adhésion de certains États candidats, tels que la Macédoine du Nord. La date est suffisamment proche pour sembler réalisable et valoir l’investissement politique des élus des pays candidats.

Accepter « l’agenda de Varsovie » de réformes internes pour se préparer à l’élargissement

Deuxièmement, l’acceptation de nouveaux membres d’ici 2030 – que l’on envisage ou non leur adhésion complète à cette date, ou seulement l’accès au marché unique et aux fonds européens – exigera de l’UE de mettre de l’ordre dans ses affaires. Les leçons tirées du précédent élargissement à l’Est, en 2004, sont instructives à cet égard. En 1999, l’UE a adopté « l’agenda de Berlin 2000 » afin de s’assurer que les politiques de l’Union étaient adaptées à la réalité d’une Union élargie. Elle a entrepris une série de réformes importantes et profondes de son cadre financier et de sa politique agricole. Celles-ci ont été précédées d’une évaluation d’impact et de recommandations politiques présentées deux ans plus tôt par la Commission européenne. Aujourd’hui, ce nouvel élargissement, et l’adhésion de l’Ukraine en particulier, avec son important secteur agricole, nécessiteront une révision substantielle du budget de l’UE et de la politique agricole commune. Cela est encore plus urgent et tout aussi difficile que la réforme institutionnelle de l’UE, qui tend pourtant à attirer beaucoup plus l’attention.

La prochaine adhésion aura lieu au cours du prochain cadre financier pluriannuel 2028-2034, dont la négociation budgétaire débutera prochainement. Sous présidence polonaise au premier semestre 2025, l’UE devrait donc adopter « l’agenda de Varsovie 2030 », un plan global visant à adapter les politiques et les finances de l’UE à l’élargissement. Les chefs d’État et de gouvernement de l’UE devraient définir la voie à suivre pour l’agenda de Varsovie 2030 dans les mois à venir et annoncer le plan lors du sommet de l’UE en décembre. Après les élection au Parlement européen l’année prochaine, la nouvelle Commission européenne devrait fournir une évaluation d’impact et des recommandations politiques pour soutenir cette démarche. Parallèlement, un processus de réforme institutionnelle doit être mis en place dans le but d’être achevée d’ici 2030.

Adopter le « critère de Madrid » d’alignement en politique étrangère

Troisièmement, l’UE devrait veiller à ce que la raison du prochain élargissement soit parfaitement claire : la nécessité géopolitique de protéger les intérêts et la sécurité de l’UE. C’est pourquoi l’UE devra mettre davantage l’accent sur l’alignement en matière de politique étrangère et de sécurité des pays candidats et conditionner la perspective d’adhésion à cet alignement.

L’UE doit faire savoir que l’alignement en politique étrangère n’est pas une simple case à cocher, mais l’un des éléments fondamentaux. Il y a trente ans, l’UE a adopté les critères de Copenhague pour préparer son élargissement à l’Europe centrale et orientale. Ces critères comprennent la démocratie, l’État de droit, l’économie de marché et la protection des droits de l’homme. Les définir était nécessaire afin d’affirmer l’UE comme une communauté démocratique et fondée sur des règles communes, compte tenu du fait qu’elle s’élargissait à des anciens pays communistes. Ces critères restent la boussole de la politique d’élargissement de l’UE.

L’UE doit désormais veiller à ce que l’alignement en politique étrangère et de sécurité revête un poids politique comparable. (Formellement, il fait déjà partie de la méthodologie d’élargissement.) Elle devrait donc adopter un « critère de Madrid » lors du sommet de décembre en Espagne et déclarer qu’elle soutiendra les pays qui font des efforts pour parvenir à cet alignement et qu’elle n’hésitera pas à punir ceux qui échouent à faire de même.

Accorder au Kosovo le statut de candidat

Enfin, l’UE doit revoir son approche des questions bilatérales qui opposent des potentiels États membres. Le différend entre le Kosovo et la Serbie est d’une importance capitale et constitue un test pour la capacité de l’UE à utiliser son influence dans son voisinage immédiat. L’approche de l’UE dans ce domaine a échoué jusqu’à présent, notamment parce qu’elle n’a jamais accordé de perspectives d’adhésion concrètes à la fois au Kosovo et à la Serbie. L’UE peut changer cette situation en accordant au Kosovo le statut de candidat, idéalement lors du même sommet européen en décembre.

Cela peut sembler un rêve lointain, car certains États membres, dont l’Espagne, ne reconnaissent même pas l’indépendance du Kosovo. Mais l’UE pourrait utiliser le même principe que celui qui lui a permis de signer l’accord de stabilité et d’association en 2015 avec le Kosovo : divergence de reconnaissance, unité dans l’adhésion. Surtout, cela montrerait que l’UE prend au sérieux le caractère géopolitique de l’élargissement. Cela permettrait également à l’UE de retrouver l’influence nécessaire pour surmonter d’autres obstacles sur la voie d’un élargissement réussi : les menaces pesant sur l’intégrité de l’État de la Bosnie, les problèmes bilatéraux entre la Macédoine du Nord et la Bulgarie, et les conflits politiques potentiels, par exemple entre la Hongrie et l’Ukraine.

Faire de ce nouvel élargissement une réalité réussie – et terminer le travail, dans le cas des États des Balkans occidentaux qui attendent depuis longtemps – est le défi de l’époque pour l’UE, ses dirigeants politiques et ses partisans. Cela exigera davantage d’engagement que des discours du cœur ou l’ouverture de nouvelles négociations. Il faudra des engagements fermes, assortis de plans pour les mettre en œuvre, et la volonté politique de les mener à bien.

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