Opération réciprocité : L’évolution des relations de la France avec l’Afrique

Une présence militaire réduite de la France en Afrique devrait permettre de révéler la véritable profondeur de ses relations avec le continent – et pourrait servir de modèle à une approche européenne plus large

French President Emmanuel Macron, left, is welcomed by Benin President Patrice Talon at the presidency in Cotonou Wednesday July 27, 2022. Macron is on a three-country tour to improve relations with the nations of west and central Africa. Benin is his second leg of the journey after visiting Cameroon. (AP Photo/David Gnaha)
Le président français Emmanuel Macron, à gauche, est accueilli par le président béninois Patrice Talon à la présidence à Cotonou mercredi 27 juillet 2022
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En 2017, le président français Emmanuel Macron a fait des vagues avec son discours devant un amphithéâtre rempli d’étudiants à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Légèrement chahuté, il a appelé à rompre avec le passé dans les relations entre la France et l’Afrique et à la fin des liens opaques de la France avec les gouvernements africains, la « Françafrique ». A la place, le président a préconisé une nouvelle approche, fondée sur la réciprocité et des liens plus étroits avec les sociétés civiles : « Je suis d’une génération où on ne vient pas dire à l’Afrique ce qu’elle doit faire », a-t-il déclaré.

Cette année, Emmanuel Macron a souhaité accélérer cette logique dans un discours prononcé à la veille de sa visite en Afrique centrale, dans lequel il a réitéré son intention de construire une « nouvelle relation, équilibrée, réciproque et responsable » avec le continent. Cela impliquerait une approche partenariale avec les économies africaines et davantage de dialogue avec les sociétés africaines. Qui plus est, dans le contexte de la décision de la France de mettre fin à sa campagne phare de lutte contre le terrorisme au Sahel – l’opération Barkhane – à la fin de l’année dernière, cela signifierait également une réduction de l’empreinte militaire française sur le continent.

Dans ce discours, le président Macron a expliqué comment la France viserait à « africaniser » les bases militaires françaises (à l’exception de la base de Djibouti, qui est axée sur la stratégie Indopacifique), par le biais de la cogestion et d’une réponse française adaptée aux besoins des partenaires africains. Si la France va jusqu’au bout de cette démarche, même si le soutien « hard power » demeurera, le pays ne sera plus en première ligne dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, après avoir assumé malgré lui, comme l’a dit Emmanuel Macron, des « responsabilités exorbitantes » et s’être efforcé de s’extraire de la dynamique politique interne de ses partenaires africains.

Le président français a clairement indiqué qu’il souhaitait que cette approche partenariale serve également de modèle pour des relations plus larges entre l’Europe et l’Afrique, les Européens étant de plus en plus conscients de l’importance du rôle de l’Afrique pour relever les défis mondiaux. S’il n’est pas aisé de modifier des opinions bien ancrées des partenaires européens et africains sur les intentions de la France en Afrique, il est plus probable que cela soit le cas avec une approche coordonnée et européanisée – en matière de sécurité et au-delà.

Au cœur de la relation entre la France et l’Afrique

L’un des avantages cruciaux d’un tel changement d’approche, où la question sécuritaire et militaire n’est plus prééminente, est de permettre de révéler la véritable richesse et la nature multiforme des relations entre la France et l’Afrique, son cœur battant.

Ces dernières années, la France a commencé à faire preuve de bonne volonté et à faire face à son passé colonial en Algérie, au Rwanda et au Cameroun, notamment en mettant en place des commissions mixtes d’historiens. Elle a également adopté une loi sur la restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal. Dans son discours sur le partenariat Afrique-France M. Macron a exprimé le souhait de voir une nouvelle loi-cadre renforcer cette politique, ainsi qu’une dynamique paneuropéenne dans ce domaine – par exemple, par le biais d’un nouveau fonds franco-allemand sur la recherche de provenance.

Pour autant, cette politique mémorielle – plus que jamais urgente et nécessaire – n’est qu’une partie d’un dialogue plus large entre les sociétés et les populations de France et d’Afrique. Certains analystes ont cédé parfois à la tentation de considérer la relation et toutes ses facettes essentiellement à travers un prisme postcolonial. Pourtant, un dialogue plus large entre les sociétés françaises et africaines, en particulier entre les jeunes générations, représente une opportunité de faire face au passé tout en dépassant cette lecture.

La France accueille en effet la plus grande diaspora africaine d’Europe et 14 % des émigrés français vivent en Afrique. L’Afrique compte le plus grand nombre de francophones au monde. Les sociétés et les cultures françaises et africaines sont en échange constant, de nombreux artistes africains exposent et produisent leurs œuvres en France. Des données récentes montrent qu’un nombre croissant d’Africains étudient en France, qui reste la première destination mondiale pour les étudiants d’Afrique subsaharienne. Cette évolution est soutenue par une forte coopération universitaire et scientifique. Les liens économiques entre la France et l’Afrique sont également diversifiés, et l’on constate une présence croissante en Afrique de start-ups françaises dans de nombreux domaines innovants, en particulier sur les sujets de transitions numérique et énergétique.

Emmanuel Macron a abordé ce grand potentiel dans son discours, annonçant un soutien accru à l’entrepreneuriat africain et aux projets de la diaspora, ainsi qu’une « logique d’investissement solidaire et partenariale ». En appui à ce dernier point, la France accueillera en juin le « Sommet pour un nouveau pacte financier mondial », co-piloté avec l’Inde. Ce sommet pourrait permettre de mobiliser des financements innovants notamment des pays riches en faveur des États les plus touchés par le changement climatique, pour par exemple améliorer les capacités budgétaires de ces pays et réduire le poids de leur dette. Par ailleurs, lors de son déplacement en Afrique centrale, M. Macron a mis l’accent sur la protection de l’environnement au Gabon, sur les enjeux pour le secteur agricole en Angola et sur le volet culturel à Brazzaville et à Kinshasa. Aborder ces différents sujets d’intérêts communs peut ainsi contribuer à un partenariat véritablement réciproque, exigeant et ambitieux avec l’Afrique.

Le défi de « plus d’Europe »

Depuis plusieurs années, la France plaide pour une implication accrue des autres États membres de l’UE en Afrique, par exemple par le biais de la task force « Takuba » au Sahel et, plus récemment, par des initiatives en « Equipe Europe » (initiatives coordonnées entre les États membres et les institutions de l’UE) avec des déplacements communs en Éthiopie, au Niger et en République démocratique du Congo. Malgré les réels efforts de coordination de la France, certains décideurs politiques d’autres capitales expriment en privé l’impression que la France s’occupe de ses propres intérêts en Afrique et cherche dans un second temps des partenaires pour partager le fardeau – dans un esprit opportuniste plutôt qu’un esprit d’équipe. Qu’elle soit vraie ou fausse, cette vision pourrait constituer un obstacle pour le président Macron.

Les dirigeants français devront convaincre leurs partenaires européens de mettre en œuvre cette nouvelle approche de manière collective. Cela implique de trouver des moyens de passer d’une position de leader à celle de facilitateur. Paris devra utiliser son réseau pour mieux mettre en relation les partenaires européens et africains. Si les autorités africaines le souhaitent, cela devrait également impliquer l’ « européanisation » des bases militaires à moyen terme, sur la voie d’une véritable africanisation.

L’UE et les États membres, pour leur part, doivent s’investir davantage dans une approche stratégique pour l’Afrique, être plus présents politiquement avec des déplacements de haut niveau sur le continent, en Equipe Europe, et redoubler d’efforts pour fournir un soutien militaire, logistique et sanitaire, après des années de dépendance à l’égard de la France pour faire le gros du travail en matière de sécurité.

Les Européens devraient également montrer à leurs partenaires africains que le soutien à l’Ukraine ne se fait pas au détriment de leur partenariat avec l’Afrique. Ils doivent mieux mobiliser leurs industries de défense et de technologie ainsi que la Facilité européenne de paix (FEP) pour fournir des mesures d’assistance aux armées africaines. Le Niger, par exemple, peut être vu actuellement comme un « laboratoire » d’un engagement européen renouvelé : l’UE lance une nouvelle mission de partenariat combinée au soutien de la FEP, ainsi qu’à un soutien bilatéral croissant de la part de plusieurs États membres et, surtout, à un rôle de chef de file du Niger dans les opérations. La situation des pays du golfe de Guinée sera le prochain test. Les défis sécuritaires y sont de plus en plus nombreux, les partenaires africains demandent à être soutenus, mais l’appétit européen semble actuellement limité.

Un an après le sommet UE-Union africaine, les Européens sont confrontés à un monde plus fragmenté. Il est urgent de relancer et d’approfondir le partenariat entre l’Europe et l’Afrique pour relever les défis partagés. L’UE et ses États membres doivent prendre Emmanuel Macron au mot sur la nécessité d’agir collectivement et de positionner l’Europe comme le partenaire de référence sur les questions de défense et de sécurité, ainsi que sur le financement des infrastructures en Afrique avec la mise en œuvre de la stratégie « Global Gateway ». Cela représente une opportunité pour l’UE, la France et les autres pays européens pour un partenariat renouvelé avec l’Afrique, basé sur des intérêts et des responsabilités partagés, qui peut véritablement répondre à leurs nombreux défis communs.

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