Le pari risqué de Poutine sur les céréales : Une réponse européenne au dernier stratagème de la Russie
Quelques jours avant le deuxième sommet Russie-Afrique de Saint-Pétersbourg, le président russe Vladimir Poutine s´est retiré de l’accord sur les céréales ukrainiennes qui, depuis juillet 2022, avait permis à près de 33 millions de tonnes de produits agricoles de contourner le blocus russe des ports ukrainiens pour être livrées à des pays à revenu faible ou intermédiaire. L’effondrement de l’accord entraînera des problèmes d’approvisionnement et une hausse des prix des denrées alimentaires, ce qui aura d’énormes conséquences pour de nombreux pays en développement, en particulier en Afrique, où seize pays dépendent de l’Ukraine et de la Russie pour plus de 50 % de leurs approvisionnements en blé. Des millions de personnes risquent désormais de connaître la faim en raison de la rupture de l’accord, a prévenu le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies.
Poutine instrumentalise l’insécurité alimentaire à des fins géopolitiques. Certains pays africains seront désormais encore plus dépendents des livraisons de céréales russes. M. Poutine profite également des retombées de l’accord pour tenter de renforcer la réputation de la Russie en Afrique, en annonçant qu’il livrera des céréales gratuitement à certains États du continent. En attendant, il blâme les pays occidentaux pour l’échec de l’accord, les accusant de recevoir la majorité des céréales et de freiner les livraisons de la Russie.
La solidarité européenne
Les acteurs africains ont déjà vivement dénoncé la décision de la Russie de se retirer de l’accord. Les pays européens doivent leur emboiter le pas et poursuivre eurs initiatives de soutien.
- Les décideurs politiques européens doivent faire tout leur possible pour pousser la Russie à rétablir l’accord sur les céréales, en amplifiant les demandes des acteurs africains, tels que l’Union africaine.
- Les Européens doivent continuer à réfuter les fausses informations diffusées par la Russie au sujet de l’accord sur les céréales et des sanctions européennes, notamment en collaborant avec des organisations de fact checking africaines, telles qu’Africa Check ou Fact Space West Africa. Ils doivent également dénoncer l’utilisation de l’arme alimentaire par la Russie comme tactique de guerre, y compris la destruction des installations de stockage ukrainiennes et le vol des céréales ukrainiennes.
- Les pays européens doivent maintenir et renforcer leurs initiatives visant à lutter contre l’insécurité alimentaire et le manque de souveraineté alimentaire en Afrique, notamment par le biais des « couloirs de solidarité » entre l’Union européenne et l’Ukraine, et en soutenant les capacités agricoles des pays africains, par exemple par le biais de l’initiative internationale de la Mission pour la résilience alimentaire et agricole (FARM).
Les enjeux diplomatiques pour la Russie
Le moment choisi pour ce retrait est révélateur. Comme Poutine ne participera pas au sommet des BRICS en août, le sommet Russie-Afrique était une occasion cruciale de montrer que la Russie est un partenaire indispensable pour les pays du Sud. Poutine est sous pression : la Russie n’a pas tenu les engagements qu’elle avait pris lors du dernier sommet Russie-Afrique à Sotchi en 2019. Par exemple, les échanges commerciaux entre la Russie et l’Afrique s’élèvent aujourd’hui à environ 18 milliards de dollars par an, soit la moitié de ce que Moscou avait promis à Sotchi, et bien moins que les échanges commerciaux de l’Afrique avec l’UE et la Chine. En outre, la Russie bloque la proposition d’une représentation africaine au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. De plus, la mutinerie organisée le mois dernier par le dirigeant de la société de sécurité privée Wagner – la marque de fabrique de la présence russe en Afrique – a ébranlé la réputation de la Russie à travers l’Afrique. Poutine doit montrer qu’il est toujours aux commandes et que la Russie peut assurer la sécurité de l’Afrique, quel que soit l’avenir de Wagner.
Le partenariat avec la Russie semble en tout cas avoir déjà perdu de son attrait : seuls 17 dirigeants africains ont assisté au sommet de Saint-Pétersbourg, contre 43 au sommet de Sotchi.
L'ECFR ne prend pas de position collective. Les publications de l'ECFR ne représentent que les opinions de leurs auteurs.