L’avenir de la Communauté Politique Européenne

Alors que les dirigeants européens se réunissent en Moldavie, le potentiel de la Communauté politique européenne pour consolider les liens et la sécurité sur l’ensemble du continent devient de plus en plus évident

epa10666702 President of Moldova Maia Sandu (R) welcomes Germany’s Chancellor Olaf Scholz (L) during the opening ceremony of the European Political Community (EPC) Summit at the Mimi Castle in Bulboaca, Moldova, 01 June 2023. Moldova hosts the 2nd European Political Community Summit on 01 June 2023 at the Mimi Castle. Photo: picture alliance/EPA/DUMITRU DORU
La présidente de la Moldavie Maia Sandu accueille le chancelier allemand Olaf Scholz pendant la cérémonie d’ouverture du sommet de la Communauté politique européenne en Moldavie, le 1er juin 2023
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En mai de l’année dernière, le président français Emmanuel Macron a pris de nombreux observateurs par surprise en proposant la mise en place d’une « Communauté politique européenne » (CPE) sans en définir précisément les contours. Les analystes et les décideurs politiques se sont montrés sceptiques, beaucoup doutant de l’objectif du format et de sa capacité à perdurer. Et pourtant, alors que les dirigeants de toute l’Europe se réunissent pour le deuxième sommet de la CPE à Chisinau, il est évident qu’un forum de réunions bilatérales et mini-latérales, et qu’une initiative de ce type, pourraient renforcer la sécurité et les liens entre les États membres de l’UE et leurs voisins non-membres de l’UE.

La création de la CPE répondait à une triple logique : mettre l’accent sur la coopération géopolitique européenne dans le contexte de l’agression de la Russie contre l’Ukraine ; combattre la « fatigue de l’élargissement » en offrant un forum d’échange supplémentaire entre les pays candidats à l’UE et les États membres ; et créer un forum d’échange avec les acteurs de la sécurité européenne non-membres de l’UE tels que le Royaume-Uni (et, dans une moindre mesure, la Turquie).

Des réunions bilatérales en temps de crise, comme celle entre le président serbe Aleksandar Vucic et le premier ministre kosovar Albin Kurti, pourraient contribuer à apaiser les tensions et à attirer l’attention sur le contexte sécuritaire plus large. En outre, de nombreux dirigeants de petits États non-membres de l’UE saluent la CPE comme une occasion bienvenue de côtoyer – et d’être photographiés avec – des acteurs plus importants sur le continent. Le premier ministre albanais, Edi Rama, a exprimé publiquement un optimisme prudent, notamment au sujet de la portée de la CPE au-delà de l’UE. Cependant, bien que les plus grands États membres de l’UE soutiennent publiquement cette initiative, à huis clos, certains fonctionnaires craignent qu’elle ne reproduise des formats déjà existants.

Dans les mois qui ont suivi le premier sommet de la CPE à Prague en novembre 2022, le Conseil européen pour les relations internationales (ECFR) a cherché à explorer le potentiel de l’initiative à travers une série d’évènements de haut niveau à Paris, Madrid et Londres. Ces évènements ont donné lieu à des discussions entre diplomates sur le potentiel de l’institutionnalisation de la CPE et sur la manière de concilier ses objectifs stratégiques et pratiques. Les idées évoquées ont varié d’un modèle de type G20 à une « assemblée générale européenne » capable d’offrir un espace de coopération et de réunions bilatérales. Inévitablement, les participants ont aussi évoqué l’idée que la CPE devrait être étroitement liée aux institutions de l’UE, ce qui rendrait plus facile l’accès aux fonds européens, déclenchant un signal d’alarme chez les membres les plus économes de l’Union.

Les dispositions géostratégiques pratiques et financières de la CPE ont un dénominateur commun : une plateforme pour le mini-latéralisme entre les Etats membres et non-membres de l’UE, avec un espace en parallèle pour résoudre les différends bilatéraux occasionnels. Les recherches de l’ECFR indiquent que la CPE a le potentiel de contribuer à l’élaboration de propositions politiques concrètes dans trois domaines : l’énergie surtout, mais aussi la connectivité et la sécurité.

L’énergie

L’enjeu énergétique est au cœur des tensions entre le marché intérieur de l’UE et le reste du continent. En effet, la guerre de la Russie contre l’Ukraine et la crise énergétique qui en résulte signifient que le marché intérieur ne peut pas assurer la sécurité énergétique européenne. Une logique de coopération prévaut dans les efforts déployés par l’UE pour se libérer de la dépendance aux combustibles fossiles russes et pour renforcer la résilience face à la militarisation de l’énergie par des acteurs extérieurs. Comme le montre l’ « Energy Deals Tracker », un outil de suivi des accords énergétiques de l’UE publié par l’ECFR, 26 des 110 accords négociés par les États membres de l’UE et la Commission européenne depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie l’ont été avec d’autres pays de l’espace de la CPE – de l’Azerbaïdjan à la Géorgie en passant par la Norvège, la Serbie et la Turquie.

Une plus grande souveraineté énergétique peut également permettre de soutenir les pays les plus vulnérables de la CPE. Dans les semaines qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les ingénieurs ont accéléré la connexion prévue de l’Ukraine et de la Moldavie au réseau électrique européen, condensant en une quinzaine de jours ce qui aurait représenté une année de travail. En outre, un nouveau réseau électrique amélioré pourrait faire progresser de manière significative la sécurité énergétique et les ambitions climatiques de l’Europe, en compensant les déficiences énergétiques et en tirant parti des concentrations plus élevées d’énergies renouvelables dans certaines parties du continent. La CPE pourrait constituer un forum de discussion et de développement de stratégies pour ces infrastructures, en particulier la stratégie de réseau électrique de la région couverte par l’initiative et sa connectivité avec les territoires voisins – y compris l’Afrique du Nord et le Golfe. Seule la CPE permet de définir les objectifs politiques et compte les membres nécessaires à la réalisation de plans aussi ambitieux.

Les sommets de la CPE sont une véritable occasion de débuter ce projet d’approfondissement (et d’élargissement) de la sécurité énergétique. L’absence probable de conclusions du sommet de Chisinau complique la possibilité d’initiatives spécifiques au niveau de l’ensemble de la CPE – bien que rien n’empêche les discussions bilatérales en marge du sommet de faire avancer les choses. En outre, les parties prenantes pourraient convenir d’un principe de consultation et de partage d’informations pour les infrastructures énergétiques transfrontalières. Cela refléterait leur intérêt commun pour la souveraineté énergétique européenne et fournirait une plate-forme pour les progrès futurs.

Sécurité et connectivité

La CPE pourrait contribuer à la coopération en matière de lutte contre l’ingérence étrangère par le biais d’un réseau de centres d’excellence en matière de renseignement de source ouverte. Cela permettrait de compenser le manque de confiance entre les agences de renseignement nationales dans toute la région. La CPE pourrait également promouvoir la coopération en matière de gestion de crise après des catastrophes naturelles ou des attaques terroristes, développer un programme de cybersécurité, et collaborer en matière de sûreté nucléaire. Tous les États membres de la CPE ont un besoin urgent d’idées de ce type, dont certaines n’ont pas d’autre plateforme de discussion adéquate. D’autres bénéficieraient d’un coup de pouce de la CPE (comme des travaux de l’Agence internationale de l’énergie atomique en matière de sûreté nucléaire).

Les pays membres de la CPE pourraient également collaborer pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement de matières premières essentielles. Même si cet espace politique est de plus en plus encombré, la CPE pourrait apporter une contribution unique. Elle peut, par exemple, travailler à l’identification conjointe de projets d’exploitation minière, de raffinage et de recyclage dans les pays de la CPE. En outre, elle pourrait s’efforcer de susciter l’intérêt de l’industrie européenne, en particulier dans la chaîne de valeur des batteries, pour mieux cerner les opportunités et les obstacles à la mise en œuvre de projets dans les pays membres de la CPE. Les dirigeants européens devraient donner une orientation stratégique à ce programme géoéconomique lors du prochain sommet de la CPE, car les matières premières font partie intégrante de la construction d’une économie de l’énergie propre plus résistante à la division et à la coercition extérieures.

Enfin, les citoyens européens seraient sensibles à tout progrès réalisé dans le cadre de la CPE en matière de réduction des tarifs d’itinérance mobile, afin de permettre une communication meilleure et plus rapide et d’améliorer l’accessibilité dans toute l’Europe. Cela augmenterait le soutien du public à la CPE dans les pays candidats et les pays tiers comme la Moldavie, pays hôte de la CPE.

Les initiatives de la CPE devraient être avant tout un exercice de renforcement de la confiance, condition préalable pour aborder les questions d’énergie, de sécurité et de connectivité. Aucun des dirigeants qui se sont rendus à Chisinau ne pouvait être sûr de l’issue de la réunion, au-delà de l’affirmation de leurs intérêts communs et de la mise à disposition d’un espace pour le mini-latéralisme. Néanmoins, alors que l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe est affaiblie, ces résultats sont importants en soi.

Comme le savent les observateurs, aucune décision majeure en Europe n’a été prise au cours des trente-deux dernières années sans un accord entre la France et l’Allemagne – cela vaut aussi pour les progrès à venir de la CPE. Les sommets de la CPE pourraient toutefois être le lieu où commencer à résoudre le dilemme entre vastes horizons géopolitiques et réponses plus pratiques aux besoins urgents.

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