La mort en Russie : Navalny, la moralité et la politique par d’autres moyens

Un homme tient une affiche avec le portrait du leader de l’opposition Alexei Navalny lors d’une manifestation devant l’ambassade de Russie à Berlin, Allemagne, vendredi 16 février 2024
Image par picture alliance / ASSOCIATED PRESS | Markus Schreiber
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Alexei Navalny est mort. Le prisonnier politique le plus célèbre de Russie était probablement mieux connu en Occident qu’il n’était populaire dans son propre pays. Mais ces dernières années, son mouvement avait mobilisé un grand nombre de personnes – principalement des jeunes Russes, répartis dans tout le pays – pour protester contre l’élite au pouvoir.

Le défi moral de Navalny

La mort de Navalny prive la Russie non pas d’un futur dirigeant potentiel, mais d’une alternative morale. Lorsqu’il est rentré en Russie en 2021, M. Navalny savait ce qui l’attendait : arrestation, procès et années de détention, sans peut-être aucune perspective de retrouver un jour la liberté.

Son choix était conscient et constituait un défi fondamental à un régime qui ne lui permettrait jamais d’être élu. En revenant en Russie, il a néanmoins affirmé sa légitimité à définir l’ordre du jour politique, en affrontant le régime pour des raisons morales plutôt que politiques. Ce faisant, il a rejeté le principe de base sur lequel fonctionne le système russe, à savoir que les individus privilégient leur sécurité personnelle par rapport aux droits politiques et aux normes morales.

Sa cause – la lutte contre la corruption – a toujours été plus populaire que Navalny lui-même. Sa cote de popularité a culminé à 20 % en septembre 2020, juste après son empoisonnement, mais au fil des ans, la plupart des Russes ont toujours désapprouvé ses activités. Cela s’explique probablement par les obstacles qu’il a rencontrés pour accéder à un public plus large, ainsi que par les campagnes d’information négatives menées par les médias russes. Mais en défiant le régime russe sur des principes moraux, il a également projeté une image inconfortable au public russe : être courageux dans un pays de conformistes passifs ne vous rend pas populaire.

Duel avec Poutine

Le décès de M. Navalny marque la fin d’un duel qu’il avait engagé avec M. Poutine lui-même. Sa tentative d’empoisonnement, il y a quatre ans, s’inscrivait dans le contexte des manifestations au Belarus, un régime jumeau de la Russie, et illustrait un tournant sous-estimé dans la trajectoire politique de la Russie. Dix ans plus tôt, le régime avait opéré un virage conservateur à la suite de protestations concernant des élections truquées à la Douma d’État. Le tournant répressif de la Russie de 2020 visait à écraser toute forme de discours alternatif. L’empoisonnement de Navalny a été l’une des étapes de ce processus, tout comme l’extension du champ d’application de la loi sur les agents étrangers et la répression des historiens enquêtant sur les crimes de Staline.

Un compte à rebours lointain

En 2021, le président Joe Biden a prévenu que la mort de Navalny en prison aurait des « conséquences dévastatrices« . Il n’y aura pas d’enquête indépendante sur les circonstances et les causes de sa mort, mais le régime russe en porte indéniablement la responsabilité. La question de savoir si et comment il sera tenu pour responsable sera cruciale dans la manière dont Moscou évaluera la cohérence de l’Occident.

L’organisation de M. Navalny, la Fondation anti-corruption, a été largement démantelée au cours des deux dernières années, après que les autorités russes l’ont déclarée « organisation extrémiste » en juin 2021. Un certain nombre de ses partisans restés en Russie ont été emprisonnés ou sont en cours de jugement, mais l’organisation a été recréée en exil. Il reste à voir quel impact elle aura sans le charisme personnel de son fondateur.

La mort de M. Navalny marque symboliquement la fin d’une époque où il était possible d’exprimer des opinions dissidentes en Russie. Mais il n’était pas le seul à défendre cela, et il ne faut pas oublier d’autres prisonniers politiques, comme Vladimir Kara-Murza, Ilya Yashin, et bien d’autres dont les noms sont moins connus. Il ne faut pas non plus sous-estimer la brutalité du régime russe et sa détermination à supprimer toute forme de dissidence.

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