La course des dégonflés de la Grèce et de l’Allemagne

Olaf Boehnke analyse la relation que l'Allemagne doit maintenant chercher à nouer avec la Grèce. 

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« Nous nous dirigeons tous deux vers une falaise. Celui qui saute le premier est le dégonflé » selon la fameuse ultime réplique du rival de James Dean dans le classique La fureur de vivre.

« La course des dégonflés » est un type standard de conflit entre deux joueurs dans la théorie des jeux. Alors que Yanis Varoufakis, théoricien de la théorie des jeux et de temps à autre ministre des Finances a marqué les mémoires par sa vision des négociations comme une course de dégonflés, le véritable champion de cette course s’est avéré être le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble. Beaucoup de spécialistes de la crise grecque s’accordent à dire que c’est bien la proposition détaillée pour un Grexit de W. Schäuble qui a forcé Alexis Tsipras, qui avait pris le relais de son co-pilote Y. Varoufakis dans cette course, à finalement abandonner et sauter hors de sa voiture.

Contrairement à ce qu’avaient anticipé de nombreux observateurs qui pensaient qu’Angela Merkel et M. Schäuble seraient acclamés pour leur victoire lors de leur retour à Berlin, il s’est produit l'exact opposé. La réaction la plus abrupte est venue de Thomas Strobl, vice-président des chrétiens-démocrates (CDU) et gendre de W. Schäuble. En amont de la réunion du comité de direction de la CDU à l’issue de l’Eurosommet de lundi dernier, il a déclaré, « Les Grecs ont suffisamment été agaçants ». Même si Thomas Strobl a depuis été fortement critiqué pour cette remarque, cette attitude chauvine reflète toutefois fortement le sentiment de beaucoup de gens en Allemagne et au sein du parti de T. Strobl en particulier.

Cette façon de penser  « avec ou contre moi » est à nouveau au goût du jour en Europe et elle domine les débats publics en Allemagne. Pendant des semaines, les grands médias allemands, y compris Bild-Zeitung et Die Welt ont favorisé cette façon de penser. Cette semaine, Der Spiegel a publié un article intitulé « Nos Grecs – Chercher à comprendre un peuple étrange » accompagné d’une caricature politique représentant un homme grec en train de danser avec un verre d'ouzo et un tas de billets à côté d'un touriste allemand qui semble trahi.

La polarisation du débat depuis le dernier sommet de crise tenu dimanche divise en Allemagne le champ de bataille rhétorique en deux camps principaux. Dans le cadre de ce jeu à somme nulle on est soit « pour la Grèce et contre l'Allemagne », soit « pour l'Allemagne et contre la Grèce ». Cette attitude antagoniste a été assimilée par le gouvernement, les partis politiques et également l'opinion publique. L'aspect le plus déprimant de ce débat a été la superposition au sein de chaque camp d'un point de vue caractérisé par une étonnante étroitesse d'esprit au sujet des problèmes politiques et du refus déconcertant de reconnaître le fait objectif que les problèmes de la Grèce sont inextricablement liés aux problèmes de long terme propres à la zone euro.

Au cours du débat tenu aujourd'hui au Bundestag, tous les membres du gouvernement étaient désireux de calmer la situation et de demander un soutien des négociations à venir. Angela Merkel a modifié son dicton clé – « Si l'euro s’effondre, l'Europe s’effondrera » – en « L'Allemagne peut seulement être prospère si l'Europe l’est également ». Ce faisant, elle a indiqué que la proposition de Grexit prônée par W. Schäuble à Bruxelles n’était pas et n’est pas une option réaliste. Elle est allée jusqu'à qualifier l'Union européenne (UE) non seulement de « communauté de destin » mais aussi de « communauté de responsabilité ». En fin de compte, 65 membres de son propre parti ont voté contre elle.

Lentement mais sûrement, A. Merkel est forcée de sortir de sa zone de confort politique. De plus, les problèmes ne se limitent pas à son propre parti. Son partenaire au sein de la coalition et président des sociaux-démocrates (SPD), Sigmar Gabriel, a récemment adopté un ton beaucoup plus tranchant vis-à-vis de la gestion de la crise grecque de W. Schäuble et d’A. Merkel. S. Gabriel a appelé à moins d'austérité et à de plus fortes (réelles) mesures d'investissement afin de reconstruire l'économie grecque. Cela représente une initiative politique qui pourrait provoquer une confrontation plus frontale au sein de la coalition d’A. Merkel dans les semaines à venir.

Ces éléments – ajoutés à la critique de plus en plus courante de l'hégémonie allemande en Europe – pourraient bien forcer A. Merkel à faire preuve d’un leadership politique à la manière de Mario Draghi quand il a annoncé que la BCE  « ferait tout ce qu'il faudrait pour préserver l'euro ». Une fois que tous les Etats membres de la zone euro auront accepté les nouvelles négociations, ce serait une bonne idée de la part d’A. Merkel de prouver son engagement politique envers le peuple grec à travers un discours au parlement grec ou dans lieu public en Grèce pour renforcer ce qu'elle sait faire le mieux : faire revenir les différentes parties en conflit autour de la table et trouver un compromis. Dans son discours d'aujourd'hui, elle a accordé une attention particulière à l'importance de la coopération franco-allemande. S’ils veulent vraiment parvenir à obtenir une solution solide à la crise actuelle, François Hollande et elle devront inclure Alexis Tsipras pour trouver un accord politique qui fournirait à lui et au peuple grec une sensation de contrôle réel et non forcé vis-à-vis d'un tel accord.

Le leitmotiv du débat au Bundestag aujourd'hui était « Tout le monde doit suivre les règles ». Le leitmotiv du débat de mercredi soir au parlement grec était « Nous avons besoin d'aide et non pas de principes ! ». Savoir comment ces deux perceptions contradictoires peuvent être réunies au sein d’un même plan assurant à la fois un contrôle grec et allemand sera le prochain grand défi pour A. Merkel.

Dans La fureur de vivre, le personnage de James Dean gagne ce jeu mortel, non pas par un acte de bravoure, mais en raison d'un accident. Aucun participant à cette course de dégonflés en Europe ne peut espérer un accident fortuit pour les sauver. Les deux parties doivent avoir le courage de mettre un point final à cette course.

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