De la pauvreté de la pensée militaire européenne sur l’IA

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Résumé

L’intelligence artificielle (IA) est considérée comme le plus important développement technologique depuis la généralisation de l’usage de l’électricité, qui fera entrer l’évolution humaine dans la prochaine phase. Les Etats devraient donc guider activement le développement de l’IA ainsi que son adoption dans leur société.

Si les Européens travaillent beaucoup sur les conséquences économiques et sociétales de l’utilisation de l’IA dans divers domaines, ils ne portent généralement pas assez d’attention à ses implications militaires :

  • Les implications militaires de l’IA sont absentes d’un grand nombre de stratégies européennes sur l’IA, et les gouvernements et hauts fonctionnaires semblent mal à l’aise quand ils parlent de ce sujet
  • Les discours des experts sur les utilisations militaires de l’IA se concentrent en grande partie sur ses développements aux Etats-Unis, en Chine et, dans une certaine mesure, en Russie. Cela s’explique par le fait que la plupart des chercheurs considèrent l’Europe comme un acteur qui ne compte pas sur ces questions
  • Il existe peu d’informations accessibles au public concernant la pensée européenne en matière d’implications militaires de l’IA, ou sur la façon dont les forces armées européennes comptent utiliser l’IA – bien que plusieurs entreprises européennes soient déjà en train de développer des systèmes militaires fonctionnant grâce à l’IA.

Dans sa nouvelle publication, la chercheuse de l’ECFR, Ulrike Franke :

  • Décrit les diverses manières par lesquelles l’IA peut soutenir les systèmes et opérations militaires, fournissant une vue d’ensemble des utilisations possibles de l’IA, leurs avantages et les risques qu’elles créent
  • Cartographie et évalue les approches adoptées par l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni dans l’utilisation militaire de l’intelligence artificielle
  • Contribue à la construction d’un débat européen sur les implications militaires de l’IA, et à la mise en lumière d’accords et désaccords existants entre les principaux acteurs européens.

Les principales conclusions de la publication sont les suivantes :

  • La France et l’Allemagne se situent aux deux extrêmes du spectre sur l’intelligence artificielle en Europe. La France voit l’IA en général comme une aire de compétition géopolitique, et les utilisations militaires de l’IA comme un élément important de la stratégie française
  • L’Allemagne est bien plus réticente à s’engager sur le sujet de l’IA dans le domaine de la guerre, et ne semble pas être intéressée par les aspects géopolitiques de cette technologie. Les implications militaires de l’IA semblent être un sujet acceptable de débat en Allemagne seulement si elles concernent le contrôle des armes
  • Le Royaume-Uni se situe quelque part entre ces deux positions : il n’est pas aussi vocal que la France concernant les implications militaires de l’IA mais il est clairement intéressé par les opportunités militaires qu’elle fournit.

La publication avance plusieurs suggestions sur la façon dont les Européens devraient se comporter dans ce contexte :

  • L’Union européenne (UE) pourrait jouer un rôle essentiel dans l’harmonisation des approches des Etats membres concernant l’usage militaire de l’IA. L’UE agit déjà comme une force coordinatrice des stratégies nationales sur l’IA avec l’idée d’une « IA éthique » comme principe fondateur. Une approche similaire pourrait fonctionner pour les implications militaires de l’IA
  • La Commission européenne devrait rédiger une stratégie coordonnée sur les usages militaires de l’IA, exposant ses idées pour les aires de développement dans lesquelles un engagement européen serait particulièrement utile (telle que le partage de systèmes dédiés à l’entrainement d’algorithmes)
  • L’UE devrait demander aux Etats membres de répondre à cette orientation en exposant à leur tour leurs idées et leurs approches sur l’IA. Ainsi, les Etats européens pourraient tirer profit des différentes expertises sur le développement de l’IA, tout en travaillant ensemble à l’amélioration des capacités militaires européennes.

Puisque les efforts pour le renforcement de la défense européenne et pour le développement d’une « souveraineté technologique européenne » sont désormais importants pour l’UE et font partie des objectifs principaux de la nouvelle Commission européenne, ce sujet sera au centre des débat pour les années à venir.

L'ECFR ne prend pas de position collective. Les publications de l'ECFR ne représentent que les opinions de leurs auteurs.