Qui gouvernera l’Europe après les élections européennes?
Aperçu des grandes tendances politiques et coalitions potentielles à l'approche des élections européennes du 25 mai prochain.
Cette année, à l’occasion des élections européennes, les principaux partis européens annoncent pour la première fois aux électeurs qui sera leur candidat pour la présidence de la Commission européenne. De cette manière, ils espèrent mobiliser l’électorat, réduire le taux d’abstention et faire en sorte que l’histoire de ces élections ne se résume pas à la montée de l’euroscepticisme.
Source: Pollwatch
Si l’astuce fonctionne, le Conseil européen doit accepter de jouer le jeu et sélectionner le candidat qui aura reçu le plus de voix pour présider la Commission européenne ; sous peine de faire face à une révolte du Parlement européen. Même si les membres du Conseil ont soutenu à titre individuel cette décision, le Conseil lui-même ne l’a pas encore approuvée officiellement, indiquant ainsi clairement que la nomination du président de la Commission restait sa prérogative. Mais laissons de côté le fait qu’ils seront deux (le Conseil et le Parlement) à faire ce tango, pour nous concentrer sur les sondages et voir qui a le plus de chances de remporter les élections et donc de gagner sa nomination par le Conseil.
Au regard des dernières prévisions, Jean-Claude Juncker, le candidat centre droit du Parti populaire des européens (EPP) devrait obtenir 212 sièges, suivi du candidat des Socialistes et Démocrates Martin Schulz avec 209 sièges
Au regard des dernières prévisions, (voir les chiffres ci-dessus, obtenus sur PollWatch.eu), Jean-Claude Juncker, le candidat centre droit du Parti populaire des européens (EPP) devrait obtenir 212 sièges, suivi par le candidat des Socialistes et Démocrates Martin Schulz, avec 209 sièges. Guy Verhofstadt, le candidat du Parti de l’Alliance des Libéraux et des Démocrates pour l’Europe (ALDE) devrait obtenir 63 sièges, et le candidat de la Gauche européenne (GUE/NGL) Alexis Tsipras en aurait 52. Les deux candidats des Verts José Bové et Ska Keller, obtiendrait 38 sièges. Ni les conservateurs du Groupe des Conservateurs et Réformistes Européens (ECR) ni les europhobes d’extrême droite, associés au groupe Europe Libertés Démocratie (EFD) n’ont adhéré à cette façon de faire et aucun des deux groupes n’a donc proposé de candidat.
Même si l’EPP remportait ces élections, faisant de Juncker le candidat ayant reçu le plus de voix, celui-ci ne serait pas nécessairement élu président de la Commission européenne. Nous ne sommes pas dans le cadre d’élections présidentielles avec un système de majorité ; ce sont des élections parlementaires, pour lesquelles le candidat a besoin de remporter la moitié des sièges du Parlement « plus une » pour être président. Ainsi, en plus de devoir remporter la nomination du Conseil, le candidat devra en plus obtenir la majorité absolue au Parlement européen. Avec un total de 751 parlementaires européens, Juncker, ou Schulz, devra obtenir le vote de 376 députés. Alors, même si Juncker remportait les élections, il aurait tout de même besoin de 164 voix en plus pour obtenir la majorité et devenir le prochain président de la Commission.
Où Juncker pourrait-il trouver ces voix supplémentaires ? Sa première option serait de se rapprocher des libéraux du parti ALDE. Mais même si Verhofstadt devait collaborer avec Juncker, cela ne donnerait qu’un maigre résultat de 275 sièges (212 + 63), à 101 voix d’une majorité absolue. Les votes restant seront difficile à obtenir. A la droite de Juncker, il trouverait les conservateurs de l’ECR, qui pourraient lui offrir leurs 43 sièges. Mais il devrait s’arrêter là car à la droite de l’ECR, il ne trouverait que les europhobes hostiles de l’EFD et une sélection de 95 membres eurosceptiques, venant des partis non-inscrits dont aucun ne semble prêt à s’allier à Juncker. Ainsi, même si Juncker réussissait à allier les conservateurs de David Cameron et le fédéraliste-libéral Verhofstadt, il ne gagnerait toujours que 318 votes (42%), à 58 voix d’une majorité absolue (voir ci-dessous pour un tableau des coalitions possibles).
Source: Own elaboration based on Pollwatch forecast
Faisons l’hypothèse que, comme cela pourrait se produire dans des démocraties parlementaires, Juncker échouait à être investi par le Parlement, et que le Conseil venait ensuite à demander au second candidat ayant réuni le plus grand nombre de votes, Martin Schulz, de tenter de former une majorité. Sa tâche ne serait en rien plus aisée que dans le cas de Juncker car ses 209 sièges sont aussi loin de lui fournir une majorité absolue. S’il tentait de former une coalition incluant les 63 sièges des libéraux du parti ALDE, et les 38 sièges des Verts, il réunirait 310 sièges, soit 66 de moins que la majorité absolue. S’il essayait ensuite de former une coalition rouge-vert-rouge, incluant les Verts et la Gauche européenne, il lui manquerait alors 77 votes.
Mais quelle que soit la coalition, elle devra faire face à de sérieux problèmes. Dans une coalition réunissant les libéraux et les Verts, les deux partis sont d’accord sur l’idée de « plus d’Europe », même sur une ligne fédéraliste, mais ils ne partagent pas les mêmes idées en matière de politique économique et de gouvernance de la zone euro. Les problèmes émanant de la deuxième coalition potentielle seraient encore plus insurmontables. Le parti de la gauche européenne d’Alexis Tsipras devrait soutenir les socialistes, ce qu’il ne fait pas chez lui en Grèce. La gauche européenne n’a d’ailleurs pas soutenu les socialistes au Parlement européen durant la crise de la zone euro. La mise en œuvre d’une coalition rouge-vert-rouge impliquerait également de convaincre Angela Merkel d’abandonner le droit de nommer un commissaire membre de son parti, afin de parvenir à l’élection d’un socialiste allemand en tant que président de la Commission avec le soutien des grecs rebelles d’Alexis Tsipras.
Après un moment de désespoir, Juncker et Schulz pourraient examiner les chiffres et réaliser que la seule coalition gagnante susceptible de produire une majorité large et stable serait celle qu'ils pourraient former ensemble.
Ainsi, après un moment de désespoir, Juncker et Schulz pourraient examiner les chiffres et réaliser que la seule coalition gagnante susceptible de produire une majorité large et stable serait celle qu’ils pourraient former ensemble. Une large coalition composée des socialistes et du Parti populaire des européens rassemblerait 421 sièges (56 %), bien au-dessus du seuil de la majorité absolue. Ils pourraient alors demander aux libéraux de Guy Verhofstadt de se joindre à eux – au regard de leur position au milieu de cette coalition, il semble plausible que les libéraux ne souhaitent pas se retrouver dans l’opposition. Cette coalition à trois groupes rassemblerait 484 sièges (64%). Cela semblerait être une majorité absolue stable et sûre, protégée à la fois à droite des Eurosceptiques et à gauche des Verts et membres de l’aile gauche. Elle pourrait ainsi se prononcer sur une large panoplie de questions, et surtout sur la gouvernance de la zone euro.
Cette coalition est non seulement faisable, mais a également déjà été mise à l’épreuve : c’est cette même coalition qui a gouverné l’Europe pendant des décennies. Le seul problème est le message confus que les électeurs recevraient. Ayant averti les électeurs que cette fois serait différente et qu’ils auraient la possibilité de choisir entre de réelles alternatives politiques, le Parlement européen retournerait alors aux « jeux politiques habituels » dirigés par les principaux partis pro-européens.
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