Malgré la victoire d’Aden, pas de fin en vue pour le conflit au Yémen
Adam Baron nous explique pourquoi, malgré la victoire de la coalition militaire à Aden le 14 juillet, le Yémen est-il toujours au bord de l'effrondrement.
Le 14 juillet, plus de 100 jours après l'annonce du début de l'opération Tempête décisive, la coalition militaire menée par l’Arabie saoudite luttant contre les forces rebelles ayant forcé le président du Yémen, reconnu par la communauté internationale, Abdo Rabbu Mansour Hadi, à fuir le pays, a obtenu sa première victoire militaire significative.
Lors d’une opération matinale à Aden, les forces en place sur le terrain, soutenues par des soldats formés par l’Arabie saoudite et par des nouvelles armes et nouveaux véhicules personnels blindés fournis par les Emirats Arabes Unis (EAU), sont parvenus à mettre en déroute les combattants fidèles aux Houthis, un groupe conduit par des chiites zaydites ayant réussi à prendre le contrôle de la majeure partie du pays en mars, dans le quartier stratégique de Khor Maksor. Cela a engendré une réaction en chaîne qui a permis aux combattants anti-Houthi de prendre le contrôle de la majeure partie de la ville, forçant progressivement les Houthis et les troupes yéménites alliées à se retirer et, dans certains cas, à capituler.
Dans les jours qui ont suivi, les forces anti-Houthi ont consolidé leur contrôle sur Aden, alors qu’une poignée de membres du gouvernement en exil – basé à Riyad depuis la fin du mois de mars – sont retournés dans la ville portuaire du sud. Le caractère non dissimulé de la présence militaire saoudienne souligne l'empressement du voisin situé au nord du Yémen de consolider la ville afin d’en faire un rempart à partir duquel l'aide – à la fois humanitaire et militaire – pourra pénétrer dans le pays.
Mais alors que Hadi s’est empressé de revendiquer cette victoire dans un discours prononcé de Riyad le 16 juillet, la réalité sur le terrain est beaucoup plus compliquée. La victoire contre les Houthis à Aden et, d'ailleurs, dans d'autres parties du Sud Yémen – où le sentiment anti-Houthi est largement répandu et où les combattants, qui viennent de la province de Saada, située à l’extrême nord du pays, sont largement perçus comme des étrangers – est une chose. Mais les déloger de la capitale – sans parler de leurs bastions dans le nord Yémen, région tribale chiite zaidite – représente un défi beaucoup plus important.
A cela s’ajoute les problèmes générés par la composition des forces ayant pris le contrôle de Aden. Beaucoup de choses ont été dites sur la présence d’un petit nombre de combattants d'Al-Qaïda dans les rangs des combattants anti-Houthi. Alors que l'inquiétude causée par les potentiels bénéfices qu’Al-Qaïda pourrait tirer de cette présence dans le contexte actuel est loin d'être irrationnelle – des militants ralliés à la cause d'Al-Qaïda ont actuellement un contrôle effectif de Mukalla, cinquième plus grande ville du Yémen – la présence de tels combattants à Aden a, jusqu'à présent, été minime. Mais loin d'être le fruit des efforts des combattants « pro-Hadi », les principales forces ayant entraîné la défaite des Houthis à Aden ont été les membres du Mouvement du Sud, un groupe qui a pour objectif de dissoudre l'unification du Yémen de 1990 et de rendre son indépendance au sud du pays. Profondément sceptiques vis-à-vis des hommes politiques basés à Sanaa – y compris Hadi lui-même, en dépit de ses origines sudistes – les combattants ont fièrement célébré leur victoire en brandissant le drapeau sudiste dans les rues d'Aden, ville qu'ils considèrent comme étant leur ancienne et future capitale.
Pour ce qui est de l'avenir, beaucoup de choses restent incertaines. Il semble peu probable que les Houthis parviendront à regagner Aden, mais les prévisions selon lesquelles le reste du pays tombera comme des dominos paraissent beaucoup trop optimistes. Dans les provinces clés de Lahj et Taiz, les combats se poursuivent sans relâche ; et, tandis que l'ouverture du port et de l'aéroport international d’Aden permettra, éventuellement, l’entrée de carburant, de nourriture et d'autres produits dans le pays, la crise humanitaire touchant le Yémen semble pouvoir durer encore un certain temps.
Bien que les événements récents à Aden aient pu suggérer un début de réussite de l’offensive militaire menée par l’Arabie Saoudite, il reste difficile d'envisager la fin du conflit en l'absence d'une solution politique. Ces dernières semaines ont, notamment, vu une poussée significative de la part d'Oman, des États-Unis et d'autres acteurs clés afin de ramener les parties belligérantes autour de la table des négociations. Les discussions précédentes, qui ont eu lieu à Genève sous la médiation de l'ONU au mois de juin, ont été largement perçues comme un échec: les deux délégations ne sont même pas parvenues à se retrouver dans la même pièce. Mais certains ont exprimé leurs espoirs que la défaite d’Aden poussera les Houthis et leurs alliés de convenance, parmi lesquels se trouvent les partisans de l'ancien président du Yémen Ali Abdullah Saleh, à faire des concessions, tout en étant perçue comme une sorte de victoire pour le gouvernement en exil, dont l’installation à Aden est en cours. Au final, peu de choses sont claires – mis à part le fait que ce conflit pousse encore un peu plus le Yémen, pays déjà pauvre et sous-développé, au bord du précipice.
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