La réponse en dents de scie de l’Europe face à la crise des réfugiés

Il est clair qu’il n’y aura pas de bonne solution à la crise des réfugiés, seulement des réponses partielles

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Les vagues de réfugiés entrant en Europe de presque tous les côtés  soulignent de surprenants changements à l’intérieur de notre continent. Le plus impressionnant est la réponse allemande, peut-être due à une forte croyance éthique de la part d’Angela Merkel. Qui aurait pu prédire que le pays réprimandé encore hier pour son égoïsme, ou pire perçu comme refusant d’adopter n’importe quel rôle de hard power, notamment vis-à-vis de la crise grecque,  pourrait relever le défi d’abriter des centaines de milliers de réfugiés aussi dignement ? Les décisions d’abandonner la politique de rapatriement dans le premier pays d’arrivée au sein de l’Union européenne (UE) et d’accorder le statut de réfugiés à tous les Syriens sont une étape importante dans la crise des réfugiés.

L’Allemagne n’est pas la seule à se montrer à la hauteur des circonstances. L’Italie, tant décriée parce que son économie en crise nourrit la ségrégation du travail, a cependant beaucoup fait afin de tempérer la tragédie se déroulant en Méditerranée. Non seulement accepte-t-elle tous ceux qui ont réussi à arriver sur ses côtes, mais elle accepte également ceux sauvés en pleine mer par des tiers. Les villages siciliens, eux-mêmes touchés par de stupéfiants taux de chômage, ont mis en place de grands abris temporaires où les services publics basiques sont fournis.

Cependant, les réponses humaines de l’Allemagne et l’Italie ont des inconvénients : elles sont en train de créer une attraction massive pour des millions de réfugiés potentiels qui voient l’Europe comme un abri  face à  la guerre civile et à l’oppression, mais également pour les réfugiés économiques. On commence aujourd’hui à ressentir les conséquences du refus d’intervenir en Syrie et à la fin trop prématurée de l’action en Libye. Ceux qui pensaient que l’occupation de l’Irak était le pire scénario pouvant se produire font maintenant face à une dure leçon : la Syrie est bien plus détruite que n’importe quel autre pays du Moyen-Orient, avec un niveau record de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. La Libye est devenue un point de transit pour le trafic humain depuis le continent Africain. Aussi moralement louable soit la réponse allemande, elle ne peut faire face au challenge que le chaos et l’indifférence de l’Ouest ont créé en Syrie ainsi que dans de nombreux pays de l’Afrique de l’Est.

Pour l’Europe de l’Est, un plus grand sens de l’histoire apporte des réponses publiques qui ne sont pas si bonnes que cela. La décision cynique de la Macédoine de réquisitionner des bus pour emmener les réfugiés plus au nord, et les décisions de la Hongrie et de la Bulgarie de murer ou militariser leurs frontières sont très troublantes. Ce malaise moral s’accroit, cependant, lorsque l’on considère les réponses inadéquates de la France et du Royaume-Uni à la crise des réfugiés. Chacune d’entre elles est facilement discréditée. La glorification par David Cameron d’un Royaume-Uni forteresse et la diffamation de l’espace Schengen satisfait les tendances populistes à travers toute l’Europe, et pas seulement au sein de la droite isolationniste britannique. Cette attitude est également hypocrite, le Royaume-Uni étant particulièrement favorable à l’emploi illégal, perçu comme outil clé pour obtenir un marché du travail plus flexible.

Mais, à part des exceptions politiques antérieures à la deuxième guerre mondiale, le Royaume-Uni a cessé il y a longtemps d’être une nation d’immigration. Ce n’est pas le cas pour la France, emprisonnée dans ses contradictions. Le niveau de subventions sociales et la charge fiscale globale (la plus haute d’Europe) ont créé une réaction violente contre l’immigration. L’érosion de l’intégration culturelle et linguistique de la France, qui était la contrepartie de l’immigration, crée également une réaction négative, sans mentionner le défi posé par l’Islam radical. La France est à présent piégée entre de belles paroles, la plupart du temps adressées aux autres, et une action insuffisante : l’abandon social à Calais, qui n’est qu’un détail comparé aux autres sites de réfugiés, en est un symbole. Pourtant la France a fait plus pour la stabilisation du continent Africain ou du Proche-Orient que tout autre pays européen.

Il est clair qu’il n’y aura pas de bonne solution à la crise des réfugiés, seulement des réponses partielles.
Plusieurs conclusions se démarquent :

·     La non-intervention en Syrie ou la lassitude face à l’intervention en Libye ont eu des conséquences pires que les interventions en Iraq et en Afghanistan décriées il y a de cela peu de temps. La situation actuelle ne s’explique pas par des conflits perdus d’avance mais est la conséquence de notre refus de faire face à ces problèmes.

·    La négligence du hard power européen implique que les Etats et sociétés en déliquescence  débordent vers l’Europe, qui n’a aucune barrière naturelle géographique ou volonté collective à construire des murs ; la Hongrie et Israël, une nation quasi-européenne, restant des exceptions.

·     Les politiques économiques libérales, telles que celles suivies par le Royaume-Uni, ne peuvent être maintenues sans une liberté de mouvement des travailleurs. Les contrebandiers et trafiquants humains à travers la Manche sont en fait plus en accord avec les politiques économiques plutôt réussies du Royaume-Uni que David Cameron lui-même.

On ne peut avoir qu’un seul rêve pour l’Europe. Il posséderait la compassion d’Angela Merkel pour les réfugiés, la politique de promotion de la défense aux périphéries de l’Europe de François Hollande, et les politiques économiques résolument libérales de David Cameron. Cependant, la satisfaction des  électorats sur le court terme explique que chacun de ces décideurs ne possède qu’un fragment du courage nécessaire pour recréer l'Europe.  L’Europe devrait tenter d’assembler le puzzle dans son ensemble et non seulement quelques pièces.

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