La défense européenne: enfin ?

Un budget communautaire de défense ne verra pas le jour mais il faudrait mettre en œuvre une politique des petits pas en faveur de la mutualisation des ressources européennes de défense.

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Un budget communautaire de défense ne verra pas le jour mais il faudrait mettre en œuvre une politique des petits pas en faveur de la mutualisation des ressources européennes de défense.

Lorsque le ministre allemand des finances Wolfgang Schäuble en vient à évoquer l’idée d’un budget commun de défense européenne, on se dit que quelque chose est certainement en train de se passer. Cela ne se concrétisera pas, bien sûr, et ce n’est d’ailleurs pas souhaitable. Mais des premiers pas vers la mutualisation des ressources de la défense européenne pourraient et devraient être effectués. La déclaration de Schäuble est également très révélatrice du changement d’humeur à Berlin.

Le soutien de l’Allemagne pour une plus grande intégration de la défense européenne n’est bien évidemment pas nouveau – sauf lorsqu’il s’agit d’argent. Les Allemands ont eu tendance à penser qu’ils étaient les seuls à savoir bien gérer leurs finances publiques et que la question d’un financement commun n’était qu’une tentative des gouvernements « irresponsables » du sud de taper dans les caisses allemandes, ou un stratagème français de faire payer son voisin pour ses aventures militaires en Afrique. Donc lorsqu’il s’agit de financement commun des opérations de gestion de crise par l’Union européenne (UE), par exemple, l’Allemagne n’a cessé de freiner les ardeurs de ses voisins.  

Le document conjoint par les ministres français et allemand des Affaires étrangères publié au lendemain du vote sur le Brexit et qui appelle à une politique de sécurité intégrée de l’UE fut le signe avant-coureur d’un changement de position. D’autres indicateurs venus de Bruxelles, Rome et d’autres ont fait suite et confirmé le retour de la défense européenne sur la liste de priorités du continent. Le document Steinmyer/Ayrault témoignait déjà de l’assouplissement de la position allemande sur la question d’un financement commun des opérations, une position maintenant défendue par Schaüble.   

Cela n’arrivera pas (pas de mon vivant, en tout cas) car aucun pays membre de l’UE ne va être prêt à céder une partie de son budget de défense nationale à une autorité supranationale à Bruxelles. Il ne fait aucun doute que cette autorité serait en mesure de prendre des bonnes décisions dans l’intérêt collectif de l’Europe. Mais ces considérations sont vite écartées lorsqu’elles impliquent la perte de contrats clefs pour les entrepreneurs industriels nationaux qui menaceraient alors les gouvernements en place de ne plus prendre part au financement des partis politiques.

A cause de ce problème, les Etats membres seraient susceptibles de demander un droit de veto sur la dépense de ce budget de défense afin de bloquer le système. De même, tous les gouvernements nationaux auraient tendance à se considérer propriétaires de tout équipement -une flotte de ravitailleurs par exemple – acheté avec ce budget commun de défense. Chacun utiliserait son droit de veto pour ne pas déployer ses propres troupes ce qui bloquerait l’ensemble du dispositif et n’aboutirait à rien, comme c’est le cas avec les corps européens, un corps d’armée multinationale qui existe depuis des années mais reste largement méconnu du grand public en raison de ses piètres performances.

Mais, si un budget de défense conjoint systématique en Europe est une idée prématurée, un budget conjoint « au détail » offre énormément de possibilités. Pour commencer, cela permettrait plus de financement commun pour les opérations. Il permettrait également un financement commun de la recherche sur la défense (il existe des modèles qui fonctionnent très bien, avec un conseil de supervision constitué de représentants nationaux où les voix sont pondérées en fonction de la contribution financière). Et bien sûr, il y a toujours la possibilité pour les Etats membres de se regrouper pour financer conjointement des projets « ad hoc » – le rôle principal de l’Agence européenne de défense.

 

Pouvons-nous au moins espérer voir dans les prochains mois l’irrésistible force de la logique d’une plus grande coopération pour la défense européenne gagner du terrain face aux intérêts personnels de chacun et au conservatisme ? La France et l’Allemagne ont à présent été rejointes par l’Italie et l’Espagne dans leur plaidoyer pour une plus grande intégration. Dans leur déclaration commune, les quatre ministres de la défense ont prudemment renié toute idée d’une « armée européenne », et ont appelé le Royaume-Uni à se « joindre à eux » – une réponse diplomatique à la menace malvenue du secrétaire d’Etat à la défense britannique de continuer à bloquer les efforts d’intégration des 27 Etats membres.

La suggestion de « Monsieur Austérité » d’un budget de la défense européenne n’a donc pas besoin d’être pris au pied de la lettre pour prendre la mesure de sa portée significative dans l’atmosphère ambiante.  Une expression plus juste serait la « cacophonie ambiante ». Car bien sûr, tout dépend de qui finira par bien vouloir accorder ses violons.  

 

 

 

 

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