La Hongrie en attente : Le défi slovaque pour l’UE et l’Ukraine

epa10940425 Hungarian Prime Minister Viktor Orban (C) and Slovakia’s Prime Minister Robert Fico (R) during the European Council meeting in Brussels, Belgium, 26 October 2023. In a two-day summit on 26-27 October, EU leaders are expected to address the situation in the Middle-East and Ukraine, as well as the EU’s long-term budget, migration, and external relations. Photo: picture alliance/EPA/OLIVIER HOSLET
Le Premier ministre hongrois Viktor Orban (C) et le Premier ministre slovaque Robert Fico (D) lors de la réunion du Conseil européen à Bruxelles, Belgique, 26 octobre 2023
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Le nouveau gouvernement slovaque semble être un allié pro-Kremlin naturel pour la Hongrie. Mais l’UE, les États membres et l’Ukraine ont encore le temps de rallier Fico à leur cause.

Le premier ministre hongrois Viktor Orban et son homologue slovaque Robert Fico semblent être des alliés naturels sur la question de l’Ukraine. Au cours de la campagne électorale de cet automne, M. Fico s’est fait l’écho de la propagande russe sans fondement qualifiant l’Ukraine d' »État nazi » et a appelé à la fin du soutien militaire de la Slovaquie à Kiev. Il s’est également inspiré du livre de jeu d’Orban, dénonçant les sanctions occidentales contre la Russie tout en plaidant en faveur d’un accord de paix entre Kiev et Moscou. Une fois en fonction, il a doublé sa rhétorique, à la fois lors de la première audition de la commission parlementaire slovaque des affaires européennes et lors des discussions avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. La Slovaquie pourrait ainsi rejoindre la Hongrie en tant qu’avant-poste pro-Kremlin au sein de l’Union européenne. Toutefois, M. Fico évalue encore ses options et il pourrait se révéler plus enclin à négocier que son collègue de Budapest.

Lors de la réunion du Conseil européen de décembre, les États membres de l’UE devraient se prononcer sur la facilité pour l’Ukraine, un programme d’aide de 50 milliards d’euros pour 2024-27, sur une aide militaire de 500 millions d’euros pour l’Ukraine au titre de la facilité européenne de soutien à la paix, et sur l’ouverture éventuelle de négociations d’adhésion avec Kiev. L’UE continue également de débattre de son douzième train de sanctions à l’encontre de la Russie. L’UE, les États membres et l’Ukraine devraient prendre l’initiative de dialoguer directement avec les décideurs slovaques. Cela leur permettrait de tirer parti du potentiel de compromis de M. Fico et d’éviter que la Slovaquie ne devienne le miroir de la Hongrie au sein de l’Union, tout en sapant toute alliance potentielle avant même qu’elle ne prenne son envol.

Les premières semaines du gouvernement Fico n’ont guère été rassurantes pour l’Ukraine (ou l’UE). Le quadruple premier ministre est à la tête d’une coalition composée du parti social-démocrate Voice (Vlas) de Peter Pellegrini, du parti national slovaque (SNS) de droite radicale d’Andrej Danko et du parti populiste Direction-Social-Démocratie (SMER) de M. Fico. M. Fico a nommé ses alliés politiques et les piliers de la SMER, Juraj Blanar et l’ancien ministre de l’intérieur Robert Kalinak, aux postes de ministres des affaires étrangères et de la défense, afin de s’assurer que la ligne du parti prévaut dans ces domaines politiques. En fait, la nomination de Blanar au poste de ministre des affaires étrangères s’écarte clairement de l’habitude de Fico d’opter pour un diplomate de carrière à ce poste, ce qui suggère la politisation de ce domaine politique. Le gouvernement a ensuite tenu sa promesse électorale de réduire l’aide militaire slovaque à l’Ukraine, en annulant le 8 novembre ce qui aurait dû être son 14e programme d’aide militaire bilatérale à Kiev. Il est toutefois resté ambivalent quant à la possibilité pour les entreprises slovaques de fournir à l’Ukraine des équipements militaires sur une base commerciale.

Certaines des mesures prises par M. Fico indiquent qu’il pourrait être plus souple que sa rhétorique initiale ne le laissait entendre, et qu’il pourrait être ouvert à la négociation s’il peut transformer les concessions de l’UE en réussites sur le plan intérieur

Au niveau de l’UE, M. Fico semble évaluer son potentiel de chantage et sa marge de manœuvre. Certaines de ses actions indiquent qu’il pourrait être plus flexible que sa rhétorique initiale ne le laissait entendre et qu’il pourrait être ouvert à la négociation s’il peut transformer les concessions de l’UE en réussites sur le plan national. Par exemple, bien qu’il ait déclaré qu’il n’était pas favorable à une nouvelle aide militaire à l’Ukraine, M. Fico ne s’est pas battu pour que les références à cette aide soient supprimées des conclusions de la réunion du Conseil européen d’octobre, ce qui a suscité la désapprobation de son partenaire de coalition et leader du SNS, M. Danko (qui a par la suite mis en doute la longévité de la coalition). M. Fico n’a pas non plus exclu de contribuer financièrement à la facilité pour l’Ukraine, bien qu’il ait assorti son engagement de 400 millions d’euros sur quatre ans de conditions qui favoriseraient en fin de compte la Slovaquie et les entreprises slovaques.

Cette approche se reflète dans son programme de gouvernement : le document souligne que la reconstruction en Ukraine devrait représenter une opportunité commerciale pour la Slovaquie et contribuer au développement des régions frontalières de la Slovaquie. Il demande également des garanties contre l’utilisation abusive des fonds de l’UE, alléguant des niveaux élevés de corruption en Ukraine. Mais la Commission européenne est bien consciente de ces problèmes et a déjà recommandé au gouvernement de Kiev de s’y attaquer. En d’autres termes, pour que l’UE donne son feu vert à l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Ukraine lors de la réunion du Conseil européen de décembre, l’Ukraine doit encore renforcer sa lutte contre la corruption et mettre en œuvre sa loi anti-oligarchie. Ces réformes ne sont pas controversées à Kiev et, si elles sont menées à bien, elles devraient désamorcer les objections slovaques potentielles liées aux préoccupations de M. Fico concernant l’aide financière accordée au pays.

La dernière condition posée par la commission était que le gouvernement ukrainien achève sa réforme du cadre juridique visant à protéger les minorités nationales dans le pays. Les droits de la minorité hongroise de la région ukrainienne de Transcarpatie constituent depuis longtemps un point de friction pour la Hongrie. Ses dirigeants l’ont invoqué pour bloquer, par exemple, l’approfondissement des relations entre l’Ukraine et l’OTAN ; ils s’y réfèrent à nouveau aujourd’hui pour s’opposer à l’adhésion de l’Ukraine à l’UE. M. Fico, quant à lui, n’a pas soulevé la question des droits des minorités en ce qui concerne l’Ukraine. Et il est peu probable qu’il s’embarque sur ce navire : une coalition composée du SMER, du SNS et du parti populaire de Vladimir Meciar a réduit les droits des minorités en Slovaquie à la fin des années 2000, affectant précisément les droits linguistiques de la minorité hongroise du pays dans l’éducation et l’administration publique. Dans ce contexte, le gouvernement slovaque actuel ferait preuve d’audace et d’audace en s’attaquant à cette question dans le cas de l’Ukraine.

Fico est d’accord avec Orban pour rejeter les aspirations de l’Ukraine à l’OTAN, mais pendant la campagne électorale, il n’a exprimé que des doutes sur l’adhésion du pays à l’UE « dans les circonstances actuelles ». Cela laisse une marge de manœuvre : si l’on en croit les assurances que l’ambassadeur de l’UE en Ukraine a récemment reçues de la part de représentants du gouvernement, Bratislava est probablement prêt à soutenir l’ouverture des pourparlers. En effet, il serait contre-productif pour M. Fico, qui semble vouloir que la Slovaquie bénéficie de la future reconstruction de l’Ukraine, d’ajouter des obstacles supplémentaires pour Kiev et l’UE en s’associant à M. Orban pour bloquer les négociations d’adhésion – en particulier si l’Ukraine respecte les recommandations de la Commission.

Une alliance active entre les deux pays semble plus probable dans le cadre de l’opposition aux sanctions contre la Russie, en particulier dans le secteur de l’énergie. La Slovaquie est fortement dépendante du pétrole russe, qu’elle traite dans une raffinerie appartenant à la société hongroise MOL. La Slovaquie a déjà bénéficié d’une dérogation à l’interdiction d’importer du pétrole russe imposée par l’UE, conjointement avec la Hongrie, jusqu’à la fin de l’année ; elle a déjà demandé une prolongation d’un an, pour laquelle elle bénéficie du soutien de la Hongrie. Tout comme le gouvernement de Budapest, la coalition de M. Fico est farouchement opposée aux sanctions sur le combustible nucléaire russe. Toutefois, contrairement à la Hongrie, la Slovaquie a pris des mesures concrètes pour diversifier ses sources d’approvisionnement en signant un accord avec l’entreprise américaine Westinghouse en août dernier. Cela pourrait donner l’occasion aux Européens de briser le double jeu slovaco-hongrois sur cette question.

En fin de compte, l’UE et les États membres ne devraient pas prendre la rhétorique de M. Fico à la légère. Mais tout n’est pas perdu en ce qui concerne l’Ukraine. Pour relever le défi slovaque actuel, Kiev devrait s’engager bilatéralement avec Bratislava pour assurer le gouvernement Fico de son engagement en faveur des réformes anti-corruption, tout en veillant à ce qu’il réponde aux attentes de la Commission européenne. La Commission elle-même devra se préparer à un retour de bâton concernant l’aide financière et militaire à l’Ukraine et les sanctions. Elle devrait réagir en s’engageant très tôt auprès du gouvernement slovaque pour faire appel au pragmatisme de M. Fico et l’empêcher d’adopter la même ligne que Budapest, voire de former une alliance avec cette dernière.

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