Dans l’ombre de l’Ukraine: sept ans après la guerre russo-géorgienne
Dans le cadre du conflit en Ukraine, Gustav Gressel revient sur la guerre russo-géorigienne, sept ans après le début du conflit.
Il y a sept ans, dans la nuit du 7 au 8 août 2008, des accrochages le long de la ligne de séparation en Géorgie ont abouti à un conflit généralisé.
La guerre trouve son origine dans l’instrumentalisation de longue date, orchestrée par la Russie, des régions séparatistes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie, celles-ci étant utilisées comme monnaie d’échange pour exercer une influence sur la politique intérieure de la Géorgie. Mais cette instrumentalisation était surtout utilisée comme un outil de prévention contre tout renforcement des relations entre le pays et l’Occident. Pourtant, la Russie était incapable d’offrir aux Géorgiens toute forme viable de modernisation tant sociale que politique et économique. Ces frustrations ont conduit à la Révolution de la rose en 2003 et à l’éviction du régime d’Edouard Chevardnadze. Mikheil Saakachvili, arrivé au pouvoir après la révolution, a alors tenté de parvenir à deux buts fondamentaux simultanément : la réunification de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie et l’occidentalisation de la Géorgie.
Sur le plan intérieur, il a essayé de faire de la partie de l’Ossétie du Sud contrôlée par la Géorgie un exemple de modernisation économique et sociale (en confiant à Dimitri Sanakoev le gouvernement de la région). Il avait pour espoir qu’un processus de modernisation réussi de la Géorgie conduirait les Ossètes de Tskhinvali à demander, tôt ou tard, le même traitement, ce qui permettrait d’ouvrir la voie à une réunification de la région. Sur le plan international, il pensait également qu’une telle réforme lui permettrait d’obtenir le soutien de l’Occident. Mikheil Saakachvili a finalement eu tort sur les deux fronts. L’Ossétie du Sud était, et est toujours, fermement contrôlée par le parti communiste d’Ossétie, parti totalement dépendant de l’aide financière et des services de sécurité russes. Ainsi, indépendamment de ce que les Ossètes auraient pu vouloir, l’Ossétie du Sud était, de facto, une colonie russe incapable de prendre ses propres décisions.
Depuis 2006, l’establishment sécuritaire russe a fréquemment répandu l’idée qu’une situation pourrait émerger en Géorgie qui forcerait la Russie à réagiret, de ce fait, le pays était, en 2008, prêt à intervenir. A la suite du refus de l’OTAN d’accorder un plan d’action militaire à la Géorgie en avril 2008, les préparations militaires russes en Abkhazie et en Ossétie du Sud se sont accélérées : des lignes de communication ont été restaurées, l’équipement militaire a été pré-positionné et la présence militaire russe a été renforcée. A partir du mois de mai 2008 les incidents et accrochages se sont accrus. Dès la mi-juillet 2008, la 58ème division de l’armée russe effectuait des manœuvres dans le Nord Caucase, manœuvres qui devaient officiellement prendre fin le 2 août. Toutefois, des troupes russes sont restées sur place. Le 7 août, le déploiement russe en Ossétie du Sud commença. Fatidiquement, les leaders géorgiens avaient tenté de prévenir toute nouvelle agression russe ou avancée sur le territoire Ossète. En faisant cela, ils ont permis à la Russie d’affirmer que c’était l’agression géorgienne, et non pas russe, qui était à l’origine de la guerre.
Dans l’après-midi du 8 août, la progression géorgienne cessa peu avant le tunnel de Roki – la ligne de communication fondamentale existant entre la Russie et l’Ossétie du Sud. Le 9 août l’armée de l’air russe commença à frapper le territoire géorgien alors même que les parachutistes russes et les forces mécanisées commencèrent à contre-attaquer les positions géorgiennes. Le 10 août, les positions géorgiennes étaient brisées et l’armée repoussée des collines entourant Tskhinvali. Cinq régiments russes de fusiliers motorisés, deux régiments aéroportés et des unités provenant de quatre brigades de reconnaissance et de forces spéciales différentes firent face à deux brigades géorgiennes. A partir de là, l’offensive militaire russe se concentra sur Gori dans la vallée du Koura.
Les efforts diplomatiques de l’Occident pour parvenir à un cessez-le-feu commencèrent le 10 août, mettant ainsi la pression à la Russie. Le même jour, les troupes russes ouvrirent un second front en Abkhazie, effectuant ainsi une progression considérable du fait du manque de préparation des géorgiens dans cette zone. Sur le front ossète, les troupes russes entrèrent dans Gori le 13, un jour seulement après que le président français de l’époque, Nicolas Sarkozy, soit parvenu à convaincre la Russie et la Géorgie de signer un accord de cessez-le-feu. Le 14 août, la secrétaire d’Etat des Etats-Unis, Condoleeza Rice, fit un voyage officiel en Géorgie. Durant celle-ci, les troupes russes avancèrent d’environ 40 kilomètres en direction de Tbilissi et pillèrent, en utilisant des forces légères, le port de Poti sur la Mer Noire.
La Géorgie a perdu la guerre, toutefois, la Russie n’a pas non plus été en mesure d’exploiter ses avantages militaires numéraire, géographique et en termes de supériorité aérienne et d’équipement lourd. Ceux-ci ont, en effet, été plus entravés par la désorganisation des troupes russes que par la résistance géorgienne. Si la Russie avait été aussi rapide en 2008 qu’elle ne l’a été en Crimée en 2014, Tbilissi aurait chuté bien avant que la diplomatie occidentale n’ait pu réagir.
Bien que la Russie n’ait pas été capable de résoudre le « problème géorgien » en un week-end, elle a utilisé l’issue du conflit à son propre avantage. Ce conflit lui a tout d’abord permis d’élargir l’espace territorial sur lequel elle exerce un contrôle. Mais la conséquence la plus importante de toutes a peut-être été le fait que le contrôle exercé par la Russie sur le dernier obstacle entre Tskhinvali et la vallée du Koura rendait une défense géorgienne effective contre un possible assaut extrêmement difficile voire impossible. Après avoir reconnu officiellement les régions séparatistes, la Russie a progressivement renforcé sa présence militaire dans les deux régions tout comme en Arménie. Cette situation militaire tendue pèse sur la politique géorgienne et limite de plus en plus la marge de manœuvre de Tbilissi. En insistant sur son interprétation de l’accord conclu, la Russie empêche également la mission de surveillance de l’Union européenne d’accéder aux régions séparatistes. Après avoir expulsé environ 15 000 géorgiens d’Ossétie du Sud, la Russie exerce, plus que jamais, un contrôle étroit sur la région.
L’Europe et l’Occident en règle générale ont tiré très peu de leçons de ce conflit. L’erreur de Mikheil Saakashvili de vouloir prendre part à la politique d’escalade de la Russie a favorisé le retour de la politique de « business as usual » entre l’Occident et la Russie.L’opération russe de limitation de l’information concernant le conflit est également parvenue à influencer l’opinion publique occidentale (et particulièrement allemande) qui a vite penché pour la version russe des événements. Des éléments de l’opération de désinformation russe ont également pénétré le propre rapport final de l’Union européenne qui a surestimé l’importance du soutien américain et de son aide militaire à la Géorgie. A l’inverse de l’Europe, la Russie a su tirer les leçons de ce conflit. Pourtant, une opération d’information dramatiquement renforcée lors de la campagne d’Ukraine en 2014, les résultats ont été beaucoup moins impressionnants que lors du conflit en Géorgie de 2008.
Afin de ne pas répéter les erreurs faites lors du conflit en Géorgie, les gouvernements occidentaux ont conseillé à l’Ukraine de ne pas opposer à la Russie une résistance militaire significative lors de ses manœuvres en Crimée (bien qu’à l’époque l’état désastreux de ses forces armées ne laissait à l’Ukraine que peu d’options). Cependant, la retenue dont a fait preuve l’Ukraine en Crimée n’a fait que pousser la Russie à déclencher une autre guerre dans le Donbass. Tout comme en Géorgie, la Russie s’est basée sur sa propre interprétation de l’accord de cessez-le-feu afin de prendre l’avantage sur le terrain. Dans les deux conflits, l’Occident n’a pas su comment répondre à la domination russe en matière d’escalade des tensions.
L’Ukraine, comparé à la Géorgie, est beaucoup plus apte militairement parlant. Ainsi, même si les troupes russes continuent d’avancer, cela ne signifiera pas la disparition de l’Ukraine de la carte politique européenne – ou du moins pas immédiatement. Mais cela n’est pas nécessairement vrai pour la Géorgie. Les troupes russes ayant significativement augmenté leurs capacités et leur rythme opérationnel depuis 2008, une nouvelle guerre entre la Géorgie et la Russie lui serait probablement fatale. L’Occident n’a également aucune stratégie claire pour gérer les vieilles aspirations d’adhésion à l’Union Européenne et à l’OTAN de l’Ukraine et la Géorgie. Bien qu’après les événements en Géorgie l’Occident soit devenu plus attentif à ne pas se retrouver au milieu d’un conflit militaire régional, les deux conflits montrent que toute absence de soutien significatif sera interprétée comme une occasion d’aggraver le conflit à Moscou. Pratiquement comparable à une adhésion officielle à l’Union européenne, les accords d’association fournissent un cadre permettant de développer des relations plus étroites entre l’Union européenne, la Géorgie et l’Ukraine. Toutefois, dans le domaine de la sécurité pure, la politique étrangère européenne connait un vide juridique que la Russie sait parfaitement exploiter.
L'ECFR ne prend pas de position collective. Les publications de l'ECFR ne représentent que les opinions de leurs auteurs.