Comment l’Europe peut-elle faire face à la crise des demandeurs d’asile ?
Le droit international oblige les Etats à aider ceux étant entrés sur leurs territoires afin de fuir un risque sérieux de persécutions ou de violences.
Cet articlea été initialement publié en Espagne par El País le 3 septembre 2015.
Le droit international oblige les Etats à aider ceux étant entrés sur leurs territoires afin de fuir un risque sérieux de persécutions ou de violences. Le règlement de Dublin de 2013 et ses évolutions mettent en place la procédure à travers laquelle les Etats membres de l’Union européenne (UE) doivent mettre en œuvre le principe territorial de droit d’asile au sein de l’espace de libre circulation qu’est l’UE. Ce règlement impose qu’une demande d’asile ne puisse être examinée que par un seul Etat membre. Hormis des circonstances particulières liées au droit à la vie de famille et aux principes protégeant les intérêts des enfants, le pays à partir duquel le demandeur d’asile est entré dans l’UE, ou le pays lui ayant remis un visa d’entrée, est obligé de traiter la demande d’asile et d’accorder ou non le statut de réfugié, ou tout autre degré de protection équivalent selon la législation de l’Etat concerné.
Ce règlement devrait être mis en œuvre par le biais de procédures d’accueil uniformes et de critères et normes définis dans les trois directives approuvées sur ce sujet. La Commission européenne fournit aux Etats membres une série d’instruments techniques et financiers afin d’améliorer les systèmes nationaux des pays ayant des moyens plus faibles en la matière et pour s’assurer que les pays membres de l’UE sont en mesure de se conformer aux obligations internationales et de garantir une qualité d’accueil cohérente avec les principes défendus dans les traités fondamentaux de l’Union.
Toutefois, ce soi-disant système commun d’asile ne permet pas la mise en place d’un cadre européen permettant d’assurer la protection des réfugiés mais, à l’inverse, constitue un accord interne qui détermine trois choses : quel pays doit examiner les demandes d’asiles ? Selon quels critères ? Et comment celui-ci devrait s’assurer qu’une forme de protection des réfugiés est disponible une fois la demande acceptée. En d’autres termes, la réponse européenne à l’obligation internationale de protection et d’asile est redirigée vers une réponse nationale et limitée à un seul pays à la fois.
Cette politique a été voulue par les Etats membres eux-mêmes. Toutefois, il est aujourd’hui devenu banal de caractériser la crise que nous vivons actuellement comme étant un problème européen plutôt que national. Cela n’a aucun sens, surtout lorsque cela est affirmé par les dirigeants nationaux qui, tout en étant codirigeants de l’Union européenne, ont toujours voulu garder une large part de souveraineté dans ce domaine. La dimension supranationale d’un problème n’exclut pas les pays pris individuellement et leurs dirigeants mais, bien au contraire, elle les inclut, ce qui est partie intégrante de la nature de l’Union européenne.
Sans violer la séparation des pouvoirs existante, il est tout à fait possible d’aller plus loin dans la mise en place de la politique d’asile commune prévue au titre V du Traité de Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui règlemente l’espace de liberté, de justice et de sécurité en Europe. La situation actuelle compromet notre devoir de protéger à la fois les victimes et l’UE elle-même, prise au piège dans un débat factuel très éloigné des problèmes auxquels elle cherche à répondre, et est perçue négativement du fait des reproches que se font mutuellement les hommes politiques et les médias. Ces reproches emploient trop souvent un vocabulaire qui permet la « naturalisation » des discours ultranationalistes et de la xénophobie. Cette fois-ci, oui, il faut vraiment choisir entre deux voies : se diriger vers plus d’Europe ou accepter une régression dans des domaines primordiaux pour le système européen, ce qui pourrait avoir de graves conséquences.
Aller vers « plus d’Europe » revient à briser les tabous passés et à oser mettre en place un véritable système européen d’asile qui serait géré de manière collective. Ce système pourrait permettre de dissocier le processus d’examen des demandes d’asile, conduit sur la base de critères et de procédures préalablement acceptées, de l’accès effectif aux autres « sous »-systèmes nationaux de protection. A partir d’où ce droit de protection deviendrait effectif pourrait être établit plus tard, mais la responsabilité conjointe des Etats membres devrait être ajoutée à la liste de critères déterminants. Un tel système permettrait de ne pas exercer une pression trop forte sur les Etats frontaliers qui ont déjà pour obligation d’intercepter les arrivées irrégulières sur leurs territoires et de traiter les demandes d’asile. A l’inverse, ce système permettrait de supprimer les incitations qu’ont certains pays à ne pas se conformer à la politique commune sur ce sujet et d’encourager les nouveaux membres à l’appliquer immédiatement, ce qui permettrait une meilleure gestion des flux et d’empêcher le phénomène de « mouvements secondaires », qui a de sérieuses répercussions à la fois sur les nouveaux Etats membres, tout particulièrement les plus vulnérables, et sur le reste des membres de l’UE. Enfin, les moyens accordés pour permettre un soutien technique et financier devraient être accrus et adaptés à ce système commun.
Au-delà de nos frontières, nous devons également agir de toute urgence sur deux points fondamentaux : l’Europe se doit de soutenir les efforts faits par les pays et communautés voisines des zones de conflits en matière d’accueil des réfugiés, et nous devons mettre en place des voies sûres pour éviter que les individus pouvant prétendre au droit d’asile ne passent illégalement nos frontières. La frontière entre les affaires domestiques et la politique étrangère se dissipe à la vitesse de la lumière. L’action extérieure de l’Europe doit donc être partie intégrante de sa politique d’asile.
Le Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA ou BEAMA), dont la mission est d’assister les Etats membres dans la mise en œuvre pratique du système d’asile européen, devrait s’assurer que les demandes d’asile sont traitées selon les critères et les normes établis et que les décisions en découlant sont conformément mises en place dans un lieu donné. Les agences internationales, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), devraient également proposer à l’UE leurs expérience et moyens. L’OIM devrait aider ceux qui ne sont pas éligibles pour le statut de réfugié dans les territoires de l’UE et qui doivent donc les quitter. De plus, l’OIM et l’agence européenne Frontex devraient pouvoir bénéficier de ressources supplémentaires pour remplir leur mission. Outre les différents niveaux de gouvernement existant dans les pays membres de l’UE et l’existence d’agences internationales et européennes, la réponse de l’UE à cette situation critique sous-entend une forte implication au niveau local, incluant une sensibilisation des citoyens et de leurs organisations. L’Union européenne doit pouvoir être en mesure de les soutenir directement lorsque c’est nécessaire.
La pierre angulaire du système d'asile commun actuel, le règlement de Dublin, et tout ce qui l’accompagne, a été endommagée bien avant le début de la crise des réfugiés. Son certificat de décès a été signé lorsque l’Allemagne a décidé de présenter les demandes des citoyens syriens au processus européen de demande d’asile. Cela ne signifie pas que nous devrions tout recommencer pour ce qui est de la gestion de l’asile en Europe. Certains éléments comme le partage d’informations, la surveillance, et la coopération dans certains secteurs se sont améliorés, et, aujourd’hui, nous disposons d’un réseau européen élargi et amélioré dont nous pouvons nous fier. Nous devons changer ce qui ne marche pas et utiliser l’expérience que nous avons acquis ces 25 dernières années pour créer un véritable espace européen de protection et de refuge qui repose sur un système commun de gouvernance nous permettant de prendre nos responsabilités et qui renforce l’Europe à la fois sur le plan interne et sur la scène internationale. Une telle stratégie est, certes, difficile et coûteuse, mais bien moins que de ne rien faire du tout.
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