Comment la France et les Etats-Unis peuvent travailler à la stabilisation du Sahel

Après l’indifférence des années Trump, l’administration Biden devrait élargir et approfondir sa coopération avec la France au Sahel

French President Emmanuel Macron speaks to the press upon arrival at Nouakchott Oumtounsy International Airport Tuesday June 30, 2020, in Nouakchott, to attend a G5 Sahel summit.  (Ludovic Marin, Pool via AP)
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La gravité de la situation au Sahel vient de nous être rappelée une fois de plus. Cette semaine, une explosion de violence contre des soldats et des civils au Mali et au Niger a montré les risques auxquels est exposé le Sahel. Pourtant, un mois auparavant seulement un air de triomphalisme résonnait lors du sommet organisé par la communauté internationale et les pays composant le G5 Sahel, qui vise à apporter de la stabilité à la région.

Alors que la menace terroriste continue de se répandre au Sahel, la France et l’Union européenne – parmi les nombreux acteurs de sécurité internationale et de développement au Sahel – ont besoin d’un plus grand soutien, mais pas uniquement en termes de coopération militaire ou financière ; elles ont également besoin de soutien politique, particulièrement alors que les pays de la région favorisent les négociations avec les groupes armés, y compris certains mouvements djihadistes.

Ce soutien peut venir des Etats-Unis. Une telle aide permettrait de consolider un partenariat de sécurité déjà fort entre la France et les Etats-Unis, renforçant la relation transatlantique tout en aidant la France, l’Union européenne et leurs partenaires sahéliens à poursuivre les difficiles mais nécessaires mesures de gouvernance dans la région.

Rattraper les négligences du passé

Le Sahel est l’un des rares domaines où le partenariat transatlantique est resté constant, voire s’est renforcé, sous l’administration Trump. Par des efforts concertés, qui ont débuté en Afghanistan, les forces françaises et américaines opèrent de mieux en mieux ensemble : la France est désormais considérée par les Etats-Unis comme l’un de ses partenaires les plus importants et fiables en matière de sécurité ; et le soutien américain en termes d’équipements, de transport et de renseignement est essentiel aux opérations françaises au Sahel, pour l’opération Barkhane comme pour la Task Force Sabre. Malgré les menaces de la précédente administration de se retirer du Sahel, le coût relativement faible de ce soutien – environ 45 millions de dollars par an – et la relative indifférence de Donald Trump pour l’Afrique ont permis à ce soutien de ne pas être remis en cause.

Les dirigeants français ont loué à plusieurs reprises la coopération sécuritaire américaine au Sahel, qui a joué un rôle important dans l’élimination de dirigeants djihadistes ainsi que dans les opérations en cours de la France et du G5. Les Etats-Unis font également partie du Comité de Suivi de l’Accord d’Alger (CSA), aux côtés d’autres représentants de la communauté internationale ; mais sous Donald Trump, un niveau plus élevé de soutien pour quoi que ce soit allant au-delà des initiatives sécuritaires dans la région est resté largement absent.

Pendant cette période, les Etats-Unis sont loin d’avoir étés aussi investis que leurs homologues européens dans la région : alors que la communauté internationale organisait d’importantes conférences de donateurs pour des initiatives comme l’Alliance Sahel ou en soutien du G5 Sahel, les Etats-Unis ont souvent été représentés par des officiels d’un niveau inférieur à ceux des autres pays, et l’administration a peu fait pour faire de l’Afrique, et a fortiori du Sahel, une priorité.

Jusqu’ici, l’administration Biden a adopté un autre ton, non seulement en poussant à renforcer les liens transatlantiques, mais également en mettant l’emphase sur l’importance de renouveler et de renforcer la politique étrangère américaine en Afrique, y compris au Sahel. Cela inclut un discours positif sur la recherche de liens plus forts avec le continent, le soutien aux institutions africaines, et un engagement sur diverses problématiques au-delà de la politique de sécurité. Le soutien américain aux opérations militaires françaises ne fait pas non plus la controverse à Washington, et la géopolitique de la région favorise une collaboration étroite entre l’Europe et les Etats-Unis, spécialement tenu compte des préoccupations des deux côtés de l’Atlantique suscitées par l’influence croissante de la Russie, de la Chine et de la Turquie.

Une alliance qui fonctionne mieux pour tout le monde

Vers la fin de son récent entretien avec le think-tank Atlantic Council, Emmanuel Macron a souligné que les Etats-Unis et la France travaillaient « main dans la main » dans la région, et que « dans les mois à venir, [le] partenariat [de la France] avec les Etats-Unis au Sahel sur la sécurité mais aussi sur les questions de développement sera absolument critique. ». Mais ce serait une erreur de limiter une telle coopération aux domaines où la France considère qu’elle a le plus besoin d’aide, et où elle a auparavant sollicité plus de soutien de la part de ses partenaires européens également.

Au lieu de cela, il faudrait aussi inclure des domaines plus complexes tels que la politique régionale et les problèmes épineux de gouvernance. Une coopération américaine rapprochée et plus active et la participation aux efforts effectués au Sahel, plutôt qu’une simple assistance aux efforts anti-terroristes, peut aider à atteindre plusieurs objectifs clés. Cela pourrait générer une pression plus forte sur le Conseil de sécurité de l’ONU pour un soutien aux efforts politiques, ainsi qu’aux réformes politiques nécessaires, et un élan pour des objectifs de longue date tels qu’une mise en œuvre totale des accords d’Alger au Mali. L’expérience américaine (et les leçons inculquées par des erreurs sérieuses) dans d’autres zones de conflits peut aider à informer ces approches politiques au Sahel. 

De plus, dans la course pour participer plus activement aux opérations françaises, certains représentants européens ont exprimé en privé leur inquiétude de s’enfoncer trop loin dans des initiatives ostensiblement « multilatérales » qui demeurent souvent dominées par la France, ou guidées par le poids de la politique française et son influence dans la région. Une politique de présence américaine plus active pourrait non seulement être un soutien, mais aussi permettre parfois un contrepoids nécessaire à ces préoccupations, tout en aidant à maintenir les efforts promis d’attention sur des solutions politiques qui constituent une part importante de la doctrine américaine de stabilisation. 

Dans ses remarques à l’Atlantic Council, le président Macron a décrit l’autonomie stratégique comme un moyen de soulager d’un poids la politique étrangère des Etats-Unis, en particulier dans des zones comme l’Afrique et le Moyen-Orient qui sont des « voisins » de l’Europe plutôt que des Etats-Unis. Cependant, au Sahel, les Etats-Unis pourraient non seulement soulager la France d’un poids militaire, mais aussi d’un poids politique, en aidant la communauté internationale à dessiner une nécessaire nouvelle stratégie dans la région et également en continuant à renforcer la relation franco-américaine. 

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