« Une coordination renforcée » ne résoudra pas le conflit au Sahel

Prendre parti ou intervenir à travers des intermédiaires locaux n’apaise pas, mais souvent empire, les tensions dans les pays du Sahel.

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Le mois dernier, des militants ont assassiné 71 soldats nigériens lors d’un raid dans la commune rurale d’Inatès, proche de la frontière avec le Mali. Peu de temps après, les chefs d’État du G5 Sahel – composé du Burkina Faso, du Tchad, du Mali, de la Mauritanie et du Niger – se sont réunis pour rendre hommage aux victimes. L’image de ces dirigeants politiques réunis autour des cercueils recouverts par le drapeau nigérien est un exemple poignant de solidarité régionale, ainsi qu’un douloureux rappel de la fragilisation de la sécurité au Sahel. Depuis lors, d’autres attaques ont provoqué la mort de forces gouvernementales ainsi que de plusieurs dizaines de civils en Arbinda, au Burkina Faso. La nouvelle année a également été marquée par des attaques contre les forces françaises et onusiennes au Mali, ainsi que contre des leaders coutumiers et des forces régionales au Mali, au Burkina Faso et au Niger.

L’attaque d’Inatès est la plus meurtrière de l’histoire de l’armée nigérienne, et elle est survenue à un moment de fragilisation et d’incertitude croissantes concernant la sécurité au Sahel – et concernant les nombreux efforts internationaux visant à faire cesser le bain de sang dans la région. Les chefs d’État réunis, qui avaient initialement prévu de se réunir à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, ont applaudi les efforts africains et internationaux pour soutenir les opérations de sécurité et de développement dans la région. Le président du Niger, Mouhamadou Issoufou, a notamment plaidé pour le renforcement du mandat des Nations unies au Mali, ainsi que pour l’augmentation du soutien des pays alliés du Sahel en Afrique et ailleurs.

Cependant, ces efforts ne sont pas suffisants et sont, par ailleurs, contraires aux besoins immédiats de la région. Ils restent concentrés autour des besoins militaires et les organisations régionales et internationales ne parviennent toujours pas à intégrer les objectifs de développement et de gouvernance, conformément aux demandes des pays de la région et de la communauté internationale. De plus, leurs mesures ne sont toujours pas suffisantes à l’apaisement des conflits politiques qui alimentent l’instabilité et l’insécurité dans la région.

La réunion des dirigeants du G5 Sahel était initialement prévue comme une réunion préalable au sommet organisé par le président Emmanuel Macron à Pau. L’initiative du président français avait été prise suite à la mort de 13 soldats français lors d’un accident d’hélicoptère pendant une opération au nord-est du Mali en novembre. Cette réunion a été décalée au 13 janvier.

Le président Emmanuel Macron avait demandé une « clarification » après une vague de manifestations anti-françaises et de violentes accusations contre l’armée française, lesquelles s´étaient répandues très rapidement dans la presse et sur les réseaux sociaux en 2019. La critique la plus relayée en Europe et dans la région était une vidéo du célèbre chanteur malien Salif Keita, qui accusait la France de soutenir les terroristes du Sahel et demandait au président malien Ibrahim Boubacar Keita de rejeter la présence militaire française ou de démissionner.

Le choix symbolique de Pau pour l’organisation de la réunion n’a échappé à personne : plusieurs des soldats français décédés dans l’accident y étaient basés. La réunion devait comprendre une reconnaissance formelle du sacrifice de ces soldats par les chefs d´Etat présents. Emmanuel Macron souhaitait une clarification par les dirigeants de leurs « conditions » pour que la France reste engagée au Sahel– ainsi qu’une déclaration formelle de soutien au maintien de la présence française dans la région. De plus, Emmanuel Macron attendait des dirigeants du G5 Sahel qu’ils reconnaissent que la France n’est pas présente dans la région pour poursuivre des objectifs néocoloniaux ni pour s’emparer des ressources naturelles.

En partie en réponse à ces préoccupations, le sommet reprogrammé a présenté une liste élargie de dirigeants politiques, parmi lesquelsont figuré : le Secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres, le président de la Commission de l’Union africaine (UA) Moussa Faki Mahamet, le président du Conseil européen Charles Michel, Louise Mushikiwabo, la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie, ainsi que le nouveau représentant de la politique étrangère européenne Josep Borrell, lequel a récemment appelé au renforcement de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l’Union européenne (UE) ainsi que d’autres missions au Sahel. 

Cette coordination renforcée est la bienvenue, mais ne suffit pas pour freiner la vague de violence et d’instabilité qui ravage les pays de la région.

Une réunion élargie permet d’éviter de donner l’image d’une France qui demanderait allégeance à ses anciennes colonies, même s’il s’avère qu’il est déjà un peu tard pour surmonter cette impression. Cette réunion contribue également à intégrer d’avantage l’UA et l’UE aux discussions de sécurité régionale, continuation des politiques existantes par ailleurs bienvenue. La nouvelle stratégie pour le Sahel annoncée par la France et l’Allemagne lors du sommet du G7 de l’année dernière a été conçue pour mieux coopérer avec l’UA et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Le premier voyage à l’extérieur de l’Europe de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a été en Afrique – signe de l’importance de ce continent pour l’UE.

Les efforts actuels se concentrent principalement sur les aspects militaires et négligent les conflits politiques qui alimentent l’instabilité et l’insécurité.

De plus, il s’avère que malgré la nature maladroite et agressive de son approche diplomatique, Emmanuel Macron a déjà atteint plusieurs de ses objectifs. Même si les dirigeants du Mali et du Burkina Faso ont déjà confirmé leur présence à Pau pour dialoguer et examiner l’état des interventions – militaires ou autres – dans la région, les partis politiques constituant la majorité présidentielle au Niger ont déjà publié une déclaration en soutien de la présence française au Sahel et condamnant les accusations de volonté néocolonialiste. D’autres appellent à la prudence dans les journaux maliens et mettent en garde contre les dangers d’un retrait des forces françaises pour la stabilité au Mali.

Néanmoins, la menace d’Emmanuel Macron de retirer les forces françaises n’en est pas réellement une. Les dirigeants politiques et militaires français – sans compter les dirigeants de l’UE et de ses Etats membres – ont affirmé à plusieurs reprises considérer la sécurité du Sahel comme liée à la leur. Dans les faits, la tendance est à une coopération et une intervention plus étroites – comme démontré par les projets menés par la France pour l’Opération Tacouba, une mission principalement des Forces armées qui permettrait à l’Europe de s’impliquer plus directement dans les opérations de combat dans la région. Ces troupes, même si elles ne sont pas encore totalement engagées ni organisées, ont pour vocation de prendre un rôle plus important dans l’entrainement et dans l’accompagnement des forces de sécurité régionales déployées sur le terrain. Cela serait une étape importante alors que la France pousse à la poursuite des patrouilles et les opérations en coopération avec les pays du G5, dans lesquelles  figurent majoritairement des soldats sahéliens.

Cependant, même si ces avancées représentent un progrès réel, elles ne répondent pas aux dures réalités du terrain. Premièrement, plusieurs de ces procédures sont en cours ou n’ont pas encore été concrétisées (comme l’Opération Tacouba), ce qui signifie qu’elles ne prendront pas effet, même dans le meilleur des cas, avant l’été 2020. En attendant, non seulement la situation sécuritaire se dégrade, mais surtout, l’attaque d’Inatès, ainsi que toutes celles perpétrées contre les principales bases militaires maliennes, nigériennes et burkinabées, montrent que malgré la pression militaire mise en place, les nombreuses opérations menées par les groupes djihadistes continuent à être efficaces.

Même avec une assistance et des ressources supplémentaires, le problème n’est pas seulement d’empêcher les groupes djihadistes de se répandre, mais aussi de lutter contre eux dans les lieux où ils opèrent continuellement et font de graves incursions au sein des communautés locales. Les attaques contre les bases militaires visées ces derniers mois démontrent l’étendue du problème. Par exemple, la base du G5 à Boulikessy au Mali est la cible des djihadistes depuis plus de deux ans, et elle est localisée dans une zone où des milices, des groupes djihadistes et les forces armées maliennes ont déplacé et même tué des civils à plusieurs reprises, provoquant une grave violation des Droits de l’Homme. Inatès est devenue une cible habituelle des menaces djihadistes envers les dirigeants locaux, mais elle est aussi le lieu où des interventions utilisant des groupes armés au sein des communautés ont alimenté des cycles d’assassinats vindicatifs et créé un espace pour les opérations des groupes djihadistes.

Ces exemples démontrent que les problèmes localisés aux frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso dépassent le simple manque de coordination internationale ou le soutien insuffisant des alliés exterieurs. Dans ces situations politiques, prendre parti dans des conflits en cours ou intervenir à travers des intermédaires locaux empire la situation plus souvent qu’elle ne l’apaise. Une meilleure coordination, un meilleur entrainement et une meilleure intégration des forces locales avec les forces extérieures peuvent aider. Mais, nous ne pourrons espérer l’amélioration des perspectives pour la région et assurer que les soldats sahéliens et internationaux tombés au combat ne soient pas morts en vain, qu’à travers une reconfiguration des approches politiques et de gouvernance dans les Etats du Sahel.

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