Europe

Biélorussie : Alexandre Loukachenko, dernier dictateur d’Europe ?

Alexandre Loukachenko est au pouvoir depuis 26 ans.

© 2019 Getty Images

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Par J.B. avec Agences

C’est ainsi que le président biélorusse, au pouvoir du pays depuis 26 ans avait été qualifié pendant un temps par les capitales européennes. A 65 ans, l’homme à la moustache, surnommé autrefois "batka" (père) voit plus que jamais son pouvoir vaciller. Entre une protection relative assurée par le frère ennemi russe, une Europe qui ne reconnaît pas l’élection du 9 août dernier et un peuple qui continue à battre le pavé, Alexander Loukachenko semble s’accrocher au pouvoir coûte que coûte.

N’avait-il pas déclaré en 2012, dans un contexte tendu avec les Européens, "je préfère être dictateur que pédé". Pourtant, en 26 ans de pouvoir, jamais le président biélorusse, qualifié d’implacable et de capricieux, n’a été autant contesté et dans une position stratégique si fragile.

Des fermes collectives à l’effondrement de l’ex-URSS

Après avoir travaillé dans l’armée pendant cinq, dans ce qui était encore le bloc soviétique, Alexandre Loukachenko dirige dans les 1980 des fermes collectives, des sovkhozes.

Et alors que l’URSS décline, la Biélorusse, alors Etat vassal de Moscou, obtient son indépendance en juillet 1990. La même année, Alexandre Loukachenko obtient son premier mandat politique, il est élu député au Conseil suprême de la république Biélorusse.

Attaché aux valeurs communistes, il refuse alors le virage capitaliste, préférant maintenir un système politico-économique dominé par la puissance publique, empreint de symbolique soviétique. Parallèlement, l’opposition est harcelée, la liberté d’expression jugulée et le KGB conserve son sinistre nom.

Au moment de l’effondrement de l’URSS, l’homme à la moustache se targue d’être le seul à avoir voté contre la dissolution du bloc soviétique. Aujourd’hui encore, Alexandre Loukachenko revendique ce système, assurant que sans lui, le pays serait "mis en pièces".

Le premier et seul président de la Biélorussie indépendante

Les événements qui précipitent la chute de l’empire soviétique, bousculent l’histoire de la Biélorussie. En 1994 une nouvelle constitution est instituée et la première élection présidentielle biélorusse est organisée. Bien que n’étant pas le favori, Alexandre Loukachenko remporte le scrutin et devient le premier président de la Biélorussie. Et le seul, que le jeune Etat n’est jamais connu jusqu’à aujourd’hui (entre 1990 et 1994, il y a eu trois dirigeants du pays, mais c’est la nouvelle constitution qui crée la fonction du président).

A peine arrivé au pouvoir, en 1996, Alexandre Loukachenko fait adopter l’extension de ses prérogatives. De quatre ans, son mandat passe à sept ans. Il obtient également la possibilité de faire fermer le parlement et gouverner par décrets. A cette période, il fait face à un important mouvement de contestation qui sera réprimé. Il prend en outre des mesures contre des médias d’opposition.


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Réputé pour être implacable, Alexandre Loukachenko, longtemps surnommé "Batka" ("père"), a pu se targuer d’une popularité réelle et durable, en particulier dans les zones rurales et parmi les générations nostalgiques de l’URSS.

Mais il a aussi souvent été accusé de fraude électorale et d’avoir fait tuer des opposants par le passé. Avec un sens du verbe qui le caractérise, il a d’ailleurs déclaré récemment, sur le ton de l’ironie, qu’"injecter une goutte (de son sang) à tous les opposants […] (serait) le plus simple moyen pour qu’ils reviennent" à lui. "

La Biélorussie : entre le grand frère russe et la reconnaissance européenne

Depuis cette première élection, Loukachenko a sans cesse été réélu. Comme l’explique l’Express, "en Biélorussie, on ne disait pas 'l’élection présidentielle' mais 'la réélection de Loukachenko'". Depuis 26 ans, l’homme est en effet, régulièrement réélu dès le premier tour avec un score avoisinant systématiquement les 80%.

Tantôt un pied en Europe, tantôt un pied en Russie, dont le pays est particulièrement dépendant, les enjeux pour Alexandre Loukachenko d’un côté et pour le peuple biélorusse de l’autre semblent complexes.

Tant avec le grand frère russe, qu’avec l’Union européenne, les relations de celui qu’on appelait le dernier dictateur d’Europe ont, semble-t-il, toujours été en dents de scie. En 2010, alors qu’un mouvement de contestation se fait de plus en plus important avec un scrutin électoral en vue, celui-ci est rapidement réprimé. Et si Alexandre Loukachenko est réélu, il est aussi, là encore, accusé de fraude électorale. L’Union européenne prend alors des sanctions contre la Biélorussie. Elle ne les lèvera que six ans plus tard, en 2016, où le dialogue avec les Occidentaux est alors rétabli jusqu’aux derniers événements.

Mais pendant cette période, l’allié russe a joué de son influence. La Biélorussie est depuis toujours très dépendante de Moscou, ne serait-ce que pour l’approvisionnement de son énergie.

Cependant, ces derniers temps les relations se sont tendues. Au cours de la campagne électorale, Alexandre Loukachenko a d’ailleurs accusé la Russie de vouloir influencer les élections et de vouloir déstabiliser son pays. Mais face à la contestation populaire, Vladimir Poutine, le dirigeant russe, et son homologue biélorusse ont eu plusieurs échanges.

L’élection du 9 août, le tournant ?

Mais que ce soit dans ses relations avec l’Europe ou dans celles avec la Russie, Alexandre Loukachenko semble marcher sur un fil. Ce 9 août dernier, Alexandre Loukachenko a été élu à près de 80% des suffrages. Mais, nombreux sont ceux qui crient à la fraude.

Sa principale opposante, Svetlana Tikhanovskaïa, aujourd’hui réfugiée en Lituanie, est encensé par la population qui crie à sa victoire. Cette dernière a appelé les Européens à ne pas reconnaître le scrutin présidentiel. Plébiscitée pour sa campagne, cette novice en politique de 37 ans qui est entrée dans la course après l’arrestation de son époux, fait aujourd’hui vaciller le pouvoir de l’actuel président.


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Elle appelle, les Etats européens à ne pas reconnaître la victoire de Loukachenko. C’est d’ailleurs ce que l’Union européenne fait. Le 9 août, dans un communiqué, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borell, explique que "des rapports internes crédibles montrent que le processus électoral n’a pas respecté les critères internationaux " d’une élection démocratique. " La Biélorussie mérite mieux ", dit le communiqué.

La crise en Biélorussie a fait l’objet d’un sommet extraordinaire de l’UE à l’issue duquel le président du Conseil européen, Charles Michel, a promis des sanctions supplémentaires contre un nombre "substantiel" de dirigeants du régime responsables de "violences, de répressions et de fraudes électorales".

La difficile stratégie russe

De son côté, même si la Russie pointe "une ingérence européenne" et une "tentative de déstabiliser la Biélorussie", sa position n’est pas aisée. Si Moscou ne souhaite pas céder le terrain à l’UE sur cet Etat russophone, et alors que la Pologne se propose de jouer les médiateurs, le maintien du soutien à Loukachenko ne semble pas non plus inconditionnel.

Les manifestations au Bélarus et la fragilisation du pouvoir de son président Alexandre Loukachenko confrontent Vladimir Poutine à un complexe calcul sur la stratégie à adopter face à un mouvement qui n’est pas antirusse et à un moment où la Russie elle-même traverse une phase politique délicate. "Les Russes ne savent pas trop sur quel pied danser", estime Gustav Gressel, du groupe de réflexion européen ECFR. "Ils sont parvenus à la conclusion que Loukachenko représentait sans doute une impasse, mais ce serait embarrassant pour eux si la crise se réglait dans la rue. Ils doivent donc mettre en place un processus sur lequel ils ont le contrôle".

Les manifestations n’ont pour l’heure pas la connotation antirusse qu’avaient celles qui ont renversé le gouvernement prorusse à Kiev en 2014, poussant Moscou à envahir la péninsule de Crimée au nom de la défense des populations russophones d’Ukraine et à soutenir des séparatistes prorusses dans l’est de ce pays.

Mais les Russes se méfient car "si les foules commencent à percevoir Poutine comme un soutien de Loukachenko, les slogans antirusses pourraient commencer à fleurir", souligne Stephen Sestanovich, du groupe de réflexion américain Council on Foreign Relations. Par conséquent, Moscou "cherche une solution", juge Gustave Gressel. "Loukachenko est quelqu’un qui peut être remplacé sans que le Kremlin ne perde trop la face".

Cependant, pour l’heure Alexandre Loukachenko s’accroche encore.

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