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Pourquoi la Chine subit un krach boursier - Explications de l'économiste Agatha Kratz

Un investisseur à Fuyang, dans la province d'Anhui, lundi, après que les cours de la bourse ont plongé de plus de 8% en Chine.
Un investisseur à Fuyang, dans la province d'Anhui, lundi, après que les cours de la bourse ont plongé de plus de 8% en Chine. © China Stringer Network / Reuters
Interview Adrien Gaboulaud , Mis à jour le

Alors que les marchés boursiers chinois subissent de plein fouet une violente crise après des mois de croissance insolente, l'économiste Agatha Kratz, chercheuse associée au think tank European Council on Foreign Relations et spécialiste de la Chine, explique les mécanismes de ce krach.

Paris Match. Une bulle boursière explose en ce moment en Chine. Comment s’était-elle formée?
Agatha Kratz. La bulle boursière qui s’est formée en Chine ces derniers mois est due à plusieurs facteurs. Tout d’abord, elle est due à un effet simple de volume : un certain nombre de réformes a été lancé par les autorités financières chinoises ces dernières années pour ouvrir le marché boursier à davantage d’acteurs, et certaines restrictions sur l’investissement ont été levées. Ainsi, le nombre des investisseurs et le volume des investissements a naturellement augmenté au cours de l’année passée. Par ailleurs, le gouvernement a envoyé un certain nombre de signaux en faveur du marché boursier, laissant entendre qu’il était favorable à un «marché haussier» (bull market) chinois. Il a notamment encouragé les ménages à rediriger leur épargne d’un marché de l’immobilier en fort ralentissement, ou de produits de gestion de fortune risqués, vers les marchés financiers, pour diversifier leurs placements et surfer sur la vague haussière. Ainsi, le nombre des investisseurs et leur type s’est multiplié. 

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Les petits investisseurs sont-ils responsables?
Non : de façon plus déterminante, certaines barrières à l’utilisation de l’effet de levier dans le cadre de l’investissement en bourse ont été levées, encourageant un investissement massif fondé sur un fort endettement. Notamment, les opérations sur marge se sont multipliées. C’est principalement ces pratiques, et le sentiment général de soutien du gouvernement à la hausse des marchés, qui a contribué à la formation de la bulle boursière chinoise. En conséquence, alors que pendant un temps la hausse des cours de bourse s’apparentait à un rattrapage naturel -à partir d’un niveau de développement relativement faible-, les valorisations boursières se sont progressivement éloignées des fondamentaux tant macro que micro économiques, participant à la formation d’une véritable bulle boursière. 

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Qui sont ces Chinois qui se sont tournés vers la bourse?
Pour épargner, les Chinois ont aujourd’hui quatre solutions principales : épargner à des taux relativement bas auprès de leur banque, investir dans l’immobilier, placer leur épargne en produits de gestion d’actifs - attractifs mais risqués et de plus en plus règlementés - ou, depuis peu, investir sur les marchés financiers. La stagnation de l’immobilier a poussé certains épargnants à privilégier l’investissement en bourse à davantage d’acquisitions immobilières, ceux-ci plaçant leur surplus d’épargne en bourse, une fois toutes les dépenses «vitales», et les investissements principaux réalisés. Néanmoins, ce phénomène reste aujourd’hui limité : selon des estimations récentes, il semblerait qu’un peu moins de 15% de l’épargne des ménages chinois soit investie dans la bourse, et ces investissements ne concerneraient que 6 à 12% des ménages. Il n’y a donc qu’une minorité de chinois qui investit en bourse aujourd’hui. 

L’impact sur les ménages sera donc limité...
Effectivement, la crise actuelle n’a pas un effet significatif sur les petits porteurs ou sur les ménages chinois. D’une part, le nombre des ménages ou des individus investissant en bourse reste très limité. D’autre part, il ne faut pas oublier qu’avant la baisse brutale de fin juin-début juillet (-30%), le marché avait grimpé de 150% sur un an. On est donc actuellement toujours nettement au dessus des niveaux de l’été dernier. 

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"Cette crise s'ajoute brutalement aux inquiétudes qui existaient déjà"

Agatha Kratz, économiste et chercheuse associée au European Council on Foreign Relations.
Agatha Kratz, économiste et chercheuse associée au European Council on Foreign Relations. DR

Cette crise boursière peut-elle se propager au reste de l’économie?
Les effets sur l’économie réelle devraient être relativement limités. Comme nous l’avons vu, les foyers n’en pâtissent pas vraiment. Par ailleurs, les entreprises qui se financent sur le marché sont encore peu nombreuses – et celles qui le font se financent également à travers d’autres canaux. En Chine aujourd’hui, les entreprises se financent principalement via des prêts bancaires ou à travers le réinvestissement de leurs bénéfices. Celles-ci sont donc peu affectées par la chute de la bourse, et leur activité ne risque pas véritablement d’en pâtir. Finalement, le plus inquiétant serait que cette crise boursière ait un effet d’image sur l’économie chinoise. En effet, cette crise vient s’ajouter de façon brutale aux inquiétudes qui existaient déjà concernant la santé de l’économie chinoise. Mais plus concrètement, l’intervention massive du gouvernement chinois pour stopper la chute des marché envoi un signal tout aussi négatif : le gouvernement chinois, qui s’annonçait prêt à promouvoir des réformes et une vague de libéralisation fin 2013, montre ici qu’il n’est pas prêt à laisser jouer les forces du marché. Cela augure de davantage de difficultés économiques à venir, dans un contexte où la Chine doit absolument réformer et rééquilibrer son économie. 

Les banques chinoises ne risquent-elles pas d’être entraînées par la crise boursière?
L’économie chinoise se fonde beaucoup sur le financement bancaire, et le marché boursier influe finalement assez peu sur le secteur financier. Une crise systémique est donc peu probable. De plus, la Chine a mis en place un très grand nombre de mesures pour faire face à la crise boursière. En revanche, le krach remet en question la capacité ou la volonté du gouvernement de rééquilibrer par les réformes l’économie chinoise, et notamment via la promotion d’un financement plus diversifié de l’économie. Or, pour que davantage de diversification puisse intervenir, il faut que les marchés financiers soient dignes de confiance et que les acteurs ne craignent pas d’intervention du gouvernement. 

La Chine n’a-t-elle pas bénéficié de la baisse des prix du pétrole , qui a soulagé certaines économies occidentales?
Partiellement. Grâce à la chute des cours des matières premières, la Chine a enregistré un excédent commercial significatif en 2014 et début 2015. Le problème, c’est que les entreprises qui consomment beaucoup de matières premières sont déjà à la peine. Elles ont des stocks importants, et une baisse des prix du pétrole ne peut les encourager à produire plus, dans un marché déjà en surcapacité. Par ailleurs, la Chine produit beaucoup de produits étroitement liés aux matières premières. Ainsi, si les prix internationaux baissent, cela affecte aussi la Chine.

Cette crise chinoise peut-elle affecter l’économie mondiale?
Il y a relativement peu d’investisseurs étrangers sur la bourse chinoise. Le décollage boursier a donc été soutenu principalement par des investissements domestiques. Au moment où la bourse a commencé à se détacher des fondamentaux, les investisseurs étrangers étaient d'ailleurs beaucoup plus réservés que les investisseurs chinois, qui ont répondu aux appels du gouvernement. Certes, une crise financière est possible : les niveaux actuels d’endettement sont très élevés, certains secteurs sont en difficulté, et la croissance ralentit nettement… Mais s’il y a une crise, elle ne passera probablement pas par la bourse. Le ralentissement de la croissance de l’économie réelle est plus inquiétant finalement que la chute de la bourse.

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