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Moyen-Orient - Éclairage

Pourquoi les EAU restent sceptiques face au Qatar

Abou Dhabi craint de voir un rapprochement entre Riyad et Ankara, facilité par Doha dans le sillage de la réconciliation du CCG.


Pourquoi les EAU restent sceptiques face au Qatar

Le vice-président des Émirats arabes unis, cheikh Mohammad ben Rachid al-Maktoum, signant un document lors de la séance d’ouverture du sommet du Conseil de coopération du Golfe dans la ville saoudienne d’al-Ula, le 5 janvier 2021. Bandar al-Jaloud/Saudi Royal Palace/AFP

Pour les Émirats arabes unis, deux scénarios étaient possibles à la veille du 41e sommet du Conseil de coopération du Golfe la semaine dernière à al-Ula : emboîter le pas à l’Arabie saoudite en acceptant de renouer les liens avec le Qatar ou maintenir le blocus contre le petit émirat, quitte à se retrouver isolé de ses voisins. Tranchant avec le scepticisme publiquement affiché par Abou Dhabi au sujet d’un rapprochement avec Doha, la première option l’a finalement emporté. Fruit de la médiation du Koweït et des pressions américaines, cette réconciliation a été largement bien accueillie, après trois ans de divisions dans le sillage du blocus lancé par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte contre le Qatar, accusé de financer le « terrorisme » et d’entretenir des liens trop étroits avec Téhéran.

« Les EAU ont compris que l’Arabie saoudite irait de l’avant avec la levée unilatérale du blocus dans tous les cas et cela aurait été très mal vu par les Américains si Abou Dhabi s’était opposé à cette initiative. Il s’agit aussi pour Abou Dhabi de faire preuve de bonne volonté envers la nouvelle administration Biden », remarque Andreas Krieg, professeur au King’s College de Londres, interrogé par L’Orient-Le Jour. Si la décision se veut pragmatique, « les EAU restent sceptiques à propos du Qatar et ils poursuivent leurs campagnes d’information anti-Qatar malgré le dégel de la crise », ajoute-t-il.

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La démarche d’Abou Dhabi se veut prudente : si ce rapprochement devrait rebattre les cartes dans la région, il ne balaye pas pour autant les divergences de fond qui persistent entre les « frères » du Golfe. « Il y a des problèmes en suspens avec le Qatar qui nécessitent encore une coopération pour être résolus, cependant, la réouverture de l’espace aérien au Qatar est une étape positive pour rétablir la confiance », a déclaré dimanche le ministre d’État émirati aux Affaires étrangères, Anwar Gargash. Si les frontières ont été rouvertes et les échanges commerciaux et les transports ont repris cette semaine entre le Qatar et les EAU, des groupes de travail devraient toutefois se réunir pour aborder les grands dossiers politiques régionaux de manière bilatérale.

Valeur stratégique

Alors que l’arrivée prochainement de Joe Biden à la Maison-Blanche annonce un certain refroidissement des relations saoudo-américaines, l’Arabie saoudite cherche activement à consolider un front anti-iranien, quitte à se rapprocher du Qatar et de la Turquie, face à un nouveau président américain qui devrait se montrer plus flexible avec Téhéran et plus ferme avec les autocrates du Golfe. Une stratégie qui ne s’inscrit pas dans les plans des EAU à l’égard du Qatar, avec qui le différend est avant tout idéologique. Proche des Frères musulmans et de la Turquie, la vision de Doha est dans la ligne de mire d’Abou Dhabi, qui tient l’islam politique pour bête noire.

« Les EAU sont sans aucun doute le seul acteur du “quartet” qui est resté le plus réticent à résoudre la crise avec le Qatar », constate Cinzia Bianco, spécialiste du Golfe au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), contactée par L’OLJ. « Étant l’acteur le plus impliqué dans les théâtres régionaux où il est en conflit avec Doha ou les forces soutenues par le Qatar et la Turquie, Abou Dhabi n’approuvait pas pleinement la valeur stratégique d’une réconciliation avec l’émirat qui n’impliquerait pas de mécanismes le poussant à réduire considérablement son soutien géopolitique à la Turquie ou à d’autres acteurs au niveau régional », explique-t-elle. Engagés sur différents terrains, Doha et Abou Dhabi et leurs proxys se font notamment face en Libye, en Tunisie ou encore en Somalie. Des dynamiques qui devraient persister en dépit de la levée du blocus. « Il s’agit d’un conflit portant sur l’avenir du monde arabe et sur la manière de réorganiser la région après le printemps arabe », observe Andreas Krieg. « Abou Dhabi et le Qatar continueront de se trouver dans des camps opposés dans le cadre de ces conflits », estime-t-il.

Impact négatif

Estimant que la résolution du conflit entre les pays du Golfe n’était sur « la liste des priorités de personne », l’ambassadeur des EAU aux États-Unis, Youssef Otaïba, avait déjà déclaré en novembre que les pays de la région ont « un désaccord très philosophique sur ce à quoi nous voulons que notre région ressemble et nous ne nous sommes pas vraiment assis ensemble pour trouver la solution ». Bras médiatique de Doha fustigé pour sa couverture trop favorable aux Frères musulmans durant le printemps arabe, la fermeture d’al-Jazeera avait notamment été exigée dans une liste en treize points présentée en 2017 par Abou Dhabi et ses alliés pour la levée du blocus. Entre autres, la fermeture d’une base turque sur le sol qatari ou encore le versement d’indemnités aux victimes de la politique extérieure de l’émirat avaient également été demandées. Alimentant le scepticisme d’Abou Dhabi, Doha ne s’est finalement plié à aucune de ces conditions dans la déclaration d’al-Ula. Cité jeudi dernier par le quotidien britannique Financial Times sur les liens de l’émirat avec l’Iran et la Turquie, le ministre qatari des Affaires étrangères, cheikh Mohammad ben Abderrahman al-Thani, a aussi indiqué que la levée du blocus « n’a aucun effet sur nos relations avec aucun autre pays ».

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Des circonstances qui font aussi craindre aux EAU un rapprochement entre l’Arabie saoudite et la Turquie, facilité par le Qatar. Si Ankara a été l’un des principaux soutiens de Doha face à ses voisins en 2017, le ton est descendu d’un cran récemment des deux côtés alors que les pays du Golfe concentrent leurs efforts contre Téhéran. À l’approche de l’investiture de Joe Biden, la Turquie cherche à apaiser ses rapports avec les autres puissances régionales face à une administration démocrate qui a déjà annoncé sa volonté de se montrer plus ferme à son égard. Si Riyad et les EAU multiplient les signaux pour un possible réchauffement de leurs relations avec Ankara, la position d’Abou Dhabi reste toutefois nuancée. « Le soutien de la Turquie aux Frères musulmans a un impact négatif sur ses relations avec les pays arabes », a souligné cette semaine Anwar Gargash, ajoutant que la Turquie devrait reconsidérer ses relations avec la confrérie.

Doha libère trois Bahreïnis arrêtés en mer

Le Qatar a libéré trois ressortissants bahreïnis, dont un culturiste, qui avaient été arrêtés en mer par Doha, a annoncé hier le ministère de l’Intérieur à Manama sur fond de détente dans les relations entre les monarchies arabes du Golfe. Sami al-Haddad, champion de culturisme, a été arrêté le 8 janvier avec un ami lors d’une sortie de pêche dans les eaux territoriales de Bahreïn, selon les autorités de ce pays. Un pêcheur bahreïni, Habib Abas, détenu par le Qatar lors d’un autre incident, a également été libéré, selon le ministère bahreïni. Les trois Bahreïnis devaient être rapatriés via Oman, selon la même source. Ces derniers mois, Bahreïn a dénoncé à plusieurs reprises ce qu’elle considère comme un non-respect par Doha des frontières maritimes, à l’occasion de différents incidents entre des gardes-côtes des deux pays voisins et l’interception par le Qatar de navires bahreïnis.

Pour les Émirats arabes unis, deux scénarios étaient possibles à la veille du 41e sommet du Conseil de coopération du Golfe la semaine dernière à al-Ula : emboîter le pas à l’Arabie saoudite en acceptant de renouer les liens avec le Qatar ou maintenir le blocus contre le petit émirat, quitte à se retrouver isolé de ses voisins. Tranchant avec le scepticisme publiquement...

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C'est complique avec les arabes

Eleni Caridopoulou

17 h 40, le 16 janvier 2021

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  • C'est complique avec les arabes

    Eleni Caridopoulou

    17 h 40, le 16 janvier 2021

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