Israël a annoncé, dimanche, la suspension des contacts avec l'Union européenne sur le conflit palestino-israélien. Le gouvernement Netanyahu réagissait à l'étiquetage décidé par la Commission européenne, le 11 novembre, des produits originaires des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens occupés par Israël depuis 1967, la Cisjordanie et le plateau du Golan. Le point avec Mattia Toaldo, auteur, pour le Conseil européen des relations internationales (ECFR), d'un rapport sur cette question*.

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Quelle est la raison de la mesure décidée par Bruxelles ?

Mattia Toaldo: Précisons d'abord qu'il ne s'agit pas d'un choix politique propre à l'UE. C'est l'application du droit international. D'ailleurs, le Royaume-Uni procède déjà à cet étiquetage différencié depuis 2009. Les Etats-Unis aussi. Aucun pays au monde ne reconnaît l'occupation israélienne.

L'étiquetage différencié change-t-il quelque chose, alors que, selon la Commission européenne, les marchandises concernées représentent "moins de 1%" du total des échanges commerciaux entre l'UE et Israël ?

Ce chiffre de 1% n'est tout à fait à fait exact. L'économie israélienne n'est pas divisée par la ligne verte qui sépare Israël, dans ses frontières de 1967, des territoires occupés. Les banques, les compagnies téléphoniques, les chaînes de supermarchés sont les mêmes de part et d'autre. L'importance des colonies pour l'économie israélienne ne se limite à la production de marchandises. Les territoires occupés sont à la périphérie de Tel Aviv et de Jérusalem. Les comptes bancaires, les supermarchés, le secteur de la construction sont liés à Israël.

D'un autre côté, l'étiquetage exclut les produits dont une partie seulement de la valeur ajoutée provient des colonies. Une bouteille de vin israélienne dont une partie seulement du raisin qui a servi à sa fabrication provient de Cisjordanie ne sera pas étiquetée comme produite dans les territoires occupés.

Dans notre rapport, nous avons exploré les possibles développements de cette différenciation. Par exemple, nous nous sommes interrogés sur la légalité d'un prêt accordé par une banque européenne à une institution israélienne qui construit des logements ou une autoroute dans les colonies.

Pourquoi la décision de Bruxelles intervient-elle maintenant ?

En fait, l'étiquetage n'est qu'un aspect du principe de différenciation entre Israël et les colonies. En 2004, Israël a signé un accord pour exclure les produits en provenance des territoires occupés des tarifs douaniers préférentiels dont il bénéficie de la part de l'UE. La différentiation existe déjà pour les importations, mais elle n'apparaissait pas dans les supermarchés, pour les consommateurs.

En 2013, l'UE a aussi appliqué ce principe au financement accordé à des universités israéliennes dans le cadre du programme de recherche "Horizon 2020", dont Israël est partie prenante. 500 millions d'euros de financement de R&D étaient à la clé. Le gouvernement israélien a débattu sur la façon de réagir aux exigences de Bruxelles: fallait-il rejeter la demande de distinction au risque de perdre le financement européen? Finalement, il l'a acceptée, non sans avoir publié un communiqué dénonçant la différentiation. Aujourd'hui, toutes les entités liées au programme "Horizon 2020" doivent s'engager à ne pas utiliser ces fonds dans les territoires occupés. Cela montre que si Israël est sommé de choisir entre la différentiation et la perte des relations avec l'UE, il choisit l'UE.

Vous estimez que ces mesures peuvent avoir des effets politiques...

Nous croyons que cela peut avoir un impact positif sur le processus de paix. Aujourd'hui, l'un des obstacles aux négociations est l'opinion publique israélienne. Les sondages montrent que la majorité des Israéliens sont favorables à un accord de paix, à la solution à deux Etats. Mais leurs choix électoraux vont dans le sens du maintien du statu quo actuel. L'occupation n'est pas une préoccupation quotidienne. Certes, ils sont confrontés à une certaine violence, mais à un degré bien moindre que pendant la deuxième Intifada. Et les Israéliens l'attribuent à l'antisémitisme, pas à l'absence de paix, ni à l'occupation. Donc l'opinion ne voit pas d'avantage à un accord de paix. Israël, d'autre part, n'assume pas le coût réel de l'occupation: c'est l'Union européenne qui finance l'Autorité palestinienne, laquelle pourvoit aux services qu'Israël devrait fournir en tant que puissance occupante.

La différentiation peut changer l'équation coût-bénéfices de l'occupation. Les Israéliens doivent faire le choix entre plus d'intégration à l'Europe et plus d'occupation. Le gouvernement israélien semble ne l'avoir compris que récemment. Lors de la publication de notre rapport, La différentiation de l'UE et les colonies israéliennes, en juillet, les titres bancaires de la bourse de Tel Aviv ont perdu 2%. La presse israélienne a attribué cette perte à notre rapport. Il ne s'agissait pourtant que du texte d'un centre de recherche européen, pas de celui d'une institution politique.

Est-ce la raison de la réaction agressive du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu à la décision de la Commission?

La rhétorique de Netanyahu est complètement hors de propos: dire que la décision de Bruxelles rappelle "une époque où les produits des Juifs étaient étiquetés" est infamante. L'Europe, principal partenaire économique d'Israël serait en train de préparer un holocauste? Non. Bruxelles se contente d'appliquer le droit international.

* La différentiation de l'UE et les colonies israéliennes, ECFR, juillet 2015

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