Haro sur les ONG! L'Union européenne est à nouveau confrontée à une forte hausse de l'arrivée de migrants via la Méditerranée: plus de 85 000 personnes sont arrivées en Italie depuis le début de l'année, contre un peu plus de 65 000 à la même période en 2016.

Publicité

Face à la menace de Rome de fermer ses ports aux bateaux de sauvetage en Méditerranée, les ministres de l'Intérieur italien, français et allemand et le commissaire européen aux migrations se sont réunis dimanche à Paris. Une feuille de route doit être soumise aux 28 Etats membres de l'UE lors d'une réunion à Tallinn, ce jeudi. Principal objectif, "endiguer le flux migratoire", et apporter un soutien à l'Italie, sur qui repose la charge de l'accueil de la plupart de ces déplacés.

Controverse sur le code de conduite des ONG

Les ministres de l'Intérieur ont mis l'accent, dimanche, sur le rôle des humanitaires dans l'arrivée des migrants, et dit vouloir "travailler à un code de conduite pour les ONG". Les humanitaires ont pris cette annonce comme un moyen de rejeter la responsabilité de la crise sur eux. Ces derniers mois, ils ont été accusés de faciliter le travail des passeurs en venant au secours des migrants, notamment par deux procureurs siciliens. Une mise en cause reprise, donc, au plus haut niveau de l'UE.

L'argument irrite les humanitaires comme les spécialistes des migrations. "Un faux débat, estime Mattia Toaldo, expert au Conseil européen des relations internationales. Le secours des naufragés en mer est un principe du droit international", tranche-t-il. "L'UE est-elle en train d'inventer des exceptions au droit humanitaire international?", s'interroge de son côté Marie-Laure Basilien, professeur de Droit public à l'Université Lyon 3.

Les ONG ont elles-mêmes "spontanément élaboré un code de conduite volontaire, sous l'égide d'organisations de sauvetage en mer mondialement reconnues", rétorquait l'une d'entre elles, SOS Méditerranée, dans son communiqué.

Et alors que le document élaboré par les ministre confie à l'Italie le soin "d'améliorer la coordination avec les ONG opérant en Méditerranée", l'association rappelle "que les opérations de sauvetage en mer, tout particulièrement dans cette zone au large de la Libye, sont déjà coordonnées par le centre de coordination des secours maritime de Rome, conformément à la loi maritime internationale".

La crainte d'un "appel d'air"

La défiance envers les ONG part du principe que les sauvetages en mer contribuent à encourager de nouveaux migrants à tenter l'aventure. "On a tort d'imaginer que l'effet d'attraction est supérieur aux raisons qui poussent les migrants à partir, répond François Gemenne, spécialiste des migrations à Sciences-Po. Ils dépensent des fortunes, affrontent tous les dangers parce qu'ils ont un besoin impérieux de fuir de leur pays. Soit parce qu'ils y sont menacés, soit pour nourrir leur famille. Ils ne sont pas partis pour se faire secourir en Méditerranée!"

L'UE a mis fin, en 2014, à la mission de sauvetage initiée par l'Italie, Mare Nostrum, après une série de naufrages, en raison du coût de l'opération et, déjà, de soupçons "d'appel d'air". Mais quelques mois après son interruption, force était de constater que son absence n'avait pas dissuadé les candidats au départ. En revanche, le nombre de disparus en mer avait fortement augmenté, admettait notamment le gouvernement britannique au printemps 2015. Les ONG ne font que "pallier la défaillance des Etats européens manquant à leur devoir de sauver des milliers de vies en perdition", plaide SOS Méditerranée, dans un communiqué publié mardi.

Sous-traiter la gestion des migrants aux pays du Sud

Autre point crucial du plan européen, "renforcer le soutien aux garde-côtes libyens". L'idée inquiète les humanitaires, tant la condition des migrants est effroyable en Libye. Un rapport réalisé sous l'égide de l'ONU a pourtant révélé, début juin, les violations de droits humains perpétrées par ces garde-côtes -exécutions, torture, privation d'eau et de nourriture, ainsi que la collusion de certains d'entre eux avec les passeurs. "Les interceptions par les garde-côtes libyens mettent bien souvent en danger les réfugiés et les migrants", renchérit Amnesty international dans un communiqué publié ce jeudi.

LIRE AUSSI >> En Libye, des migrants vendus comme "esclaves" par les passeurs

Anticipant ces critiques, le plan prévoit donc de "fournir un soutien additionnel" aux organismes présents sur place (OIM, HCR)... pour "permettre que les infrastructures en Libye atteignent les standards internationaux en termes de conditions de vie et de droits de l'Homme". Ce qui montre que ni Rome ni Bruxelles n'ignorent les conditions épouvantables dans les centres de détention libyens.

Le refoulement des réfugiés vers un lieu où ils seraient menacés étant contraire au droit international, "l'UE envisage aussi de qualifier les pays du pourtour méditerranéen de 'lieux sûrs', ce qu'ils sont loin d'être, afin de pouvoir y renvoyer les demandeurs d'asile déboutés. C'est une institutionnalisation de la violation des règles fondamentales du droit international!", s'insurge Marie-Laure Basilien.

L'UE, qui n'accueille qu'une petite partie des réfugiés de la planète, loin derrière la Turquie, le Pakistan et le Liban, prévoit par ailleurs de renforcer les contrôles à la frontière sud de la Libye "en coordination étroite avec les pays voisins", en particulier le Niger, principale voie de passage depuis l'Afrique subsaharienne.

Bruxelles veut également augmenter son aide à plusieurs pays du continent, le Mali, le Nigeria et l'Ethiopie, notamment, pour des projets de développement et de contrôle des flux migratoires.

Polémique sur le statut des réfugiés

La crise actuelle pose également la question de la distinction entre "réfugiés" et "migrants économiques". Dans une interview au Figaro, le commissaire européen aux migrations Dimitris Avramopoulos déclarait mardi que les arrivées sur les côtes européennes sont surtout le fait de migrants économiques. Un argument également pointé par Emmanuel Macron dans son discours au Congrès, lundi: "Nos valeurs" imposent d'accueillir les "réfugiés politiques", à la différence des "migrants économiques".

Le président français les évaluait à 80% de ceux qui arrivent en Italie, jeudi dernier. "Un chiffre fantaisiste", rectifie Marie-Laure Basilien: selon une enquête d'une équipe de recherche de MedMig (piloté par trois universités britanniques) réalisée fin 2015, explique-t-elle, la distinction entre réfugiés et migrants économiques est bien plus complexe qu'il n'y parait, tant ces déplacés ont vécu d'horreurs au cours de leur périple. 66% des personnes interrogées mentionnaient des motifs de départ pouvant être assimilés à un déplacement forcé, ce qui devrait, selon la convention de Genève, leur ouvrir l'accès à l'asile.

Publicité