Israël : la paix avec le Golfe, pas avec les Palestiniens

À Bahreïn, Israël et les pétromonarchies arabes participent à une conférence sur le plan de Trump pour le Proche-Orient. Mais où sont les Palestiniens  ?

Par

Le rapprochement entre Israël et les pays arabes du Golfe a été incarné par la visite rare du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou à Oman le 26 octobre 2018, où il a été reçu par le sultan Qabous. 
 

Le rapprochement entre Israël et les pays arabes du Golfe a été incarné par la visite rare du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou à Oman le 26 octobre 2018, où il a été reçu par le sultan Qabous. 

 

© - / Omani Royal Palace / AFP

Temps de lecture : 8 min

C'est un moment historique. Pour la première fois, des journalistes israéliens ont foulé le sol de l'État de Bahreïn pour assister à la conférence dite « De la paix à la prospérité ». Co-organisée par Manama et Washington, la réunion vise à présenter le volet économique de « l'accord du siècle » de Donald Trump sur le conflit israélo-palestinien. Publié samedi dans les grandes lignes, le plan américain prévoit notamment la levée de 50 milliards de dollars sur dix ans pour améliorer le quotidien des Palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Initié par le gendre et conseiller spécial du président américain, Jared Kushner, le « négociateur international » Jason Greenblatt et l'ambassadeur en Israël, David Friedman, il fait appel à d'importants investissements étrangers, notamment en provenance des pays arabes du Golfe. Il vise à améliorer la production d'électricité, la fourniture d'eau potable, la construction de routes modernes et la création de plus d'un million d'emplois pour les Palestiniens. Mais il ne fait aucune mention, pour l'heure, d'un quelconque accord politique entre Israéliens et Palestiniens, qui devait être dévoilé dans la foulée, avant d'être reporté avec la convocation de nouvelles élections législatives en Israël le 17 septembre prochain.

La newsletter international

Tous les mardis à 11h

Recevez le meilleur de l’actualité internationale.

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

Lire aussi Plan de paix de Trump au Moyen-Orient : vers le « fiasco du siècle »

Outre la délégation israélienne, le sommet devrait réunir les ministres des Finances de pays arabes du Golfe, le secrétaire américain au Trésor Steven Mnuchin, et la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) Christine Lagarde. Des représentants et des hommes d'affaires jordaniens, égyptiens et marocains devraient également être présents. Mais aucun Palestinien ne fera le déplacement. « Personne n'a parlé de ce plan avec les Palestiniens », s'insurge Jibril Rajoub, membre du comité exécutif du Fatah et proche du président de l'Autorité palestinienne. « Ce sommet de Manama vise à discuter de la manière dont la vie des Palestiniens peut être améliorée sans que soient mentionnés leur autodétermination, leur aspiration nationale et donc, leur droit à un État, alors que ces revendications se basent sur la légitimité internationale. »

L'administration américaine a pris des décisions qui vont à l'encontre de la solution à deux États

Ainsi, le scepticisme règne chez de nombreux experts d'un conflit vieux de plus sept décennies. « La conférence de Bahreïn est très mal partie et ne risque pas d'apporter grand-chose », abonde Hugh Lovatt, chercheur à l'European Council on Foreign relations (ECFR) pour le Maghreb et le Moyen-Orient. En effet, l'idée d'aider sur le plan économique les Palestiniens avant tout accord politique a déjà été avancée au début des années 1990, puis dans les années 2000, se soldant à chaque fois par un échec. « Un grand nombre de pays qui vont y participer sont davantage présents dans le souci de ne pas déplaire à Washington plutôt que dans l'espoir que cela aboutisse vraiment », poursuit le chercheur à l'ECFR. « Car cela fait deux ans que l'administration américaine a pris des décisions qui vont à l'encontre de la solution à deux États. »

Lire aussi Israël-Palestine : le vrai plan de Donald Trump

Depuis son entrée en fonction en janvier 2017, Donald Trump s'est en effet employé à saper un à un les principaux fondements de la solution dite à deux États, un État israélien et un État palestinien vivant en paix côte à côte. En février 2017, il a rompu avec le sacro-saint principe de « deux États pour deux peuples », qui fait pourtant consensus auprès de la communauté internationale en tant qu'unique issue pour une paix « juste et durable » entre les deux camps. Puis, en décembre, le pensionnaire de la Maison-Blanche est passé de la parole aux actes, en brisant un autre principe de la diplomatie américaine au Proche-Orient. Donald Trump a reconnu unilatéralement Jérusalem comme capitale d'Israël, retirant par la même de son « accord du siècle » l'un des points les plus épineux du conflit, et provoquant une rupture avec le camp palestinien.

« Nous avons commencé par faire confiance à Donald Trump et le président Abbas l'a rencontré à trois reprises », rappelle Jibril Rajoub. « Mais en retirant Jérusalem [de la table des négociations, NDLR], il a touché à une des références du conflit. Le but de Trump est d'enterrer les droits politiques et les aspirations du peuple palestinien en offrant des cadeaux [aux Israéliens, NDLR] ».

Lire aussi Réfugiés palestiniens : le cri d'alarme du directeur de l'UNRWA

Pour tenter de convaincre les Palestiniens de revenir à la table des négociations, le président américain les a frappés au portefeuille : il a supprimé près de 500 millions de dollars d'aides que Washington versait chaque année à l'Autorité palestinienne, avant de s'attaquer à l'Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) que Washington aidait à hauteur de 200 millions de dollars par an. En ciblant cette institution, qui se porte au chevet de plus de 5 millions de réfugiés palestiniens, l'administration Trump entend revenir sur la définition de leur statut et donc, leur potentiel « droit au retour », autre nœud gordien du conflit israélo-palestinien. Une résolution de l'Assemblée générale de l'ONU en 1948 autorise les réfugiés palestiniens et leurs descendants à retourner sur les terres dont ils ont été expulsés en 1948 lors de la première guerre israélo-arabe. Or, Israël estime qu'un tel mouvement de réfugiés remettrait en cause le caractère juif de l'État hébreu.

« En légitimant la politique de la droite israélienne vis-à-vis des territoires palestiniens, l'administration Trump s'est révélée très alignée sur la vision du Premier ministre Benjamin Netanyahu, pour qui la priorité est un accord régional avec les pays du Golfe avant un accord avec les Palestiniens », analyse le chercheur Hugh Lovatt de l'ECFR. « Poussée par le Premier ministre israélien en personne, cette idée n'est pas nouvelle, mais personne n'y croyait avant Trump, ni en Europe ni aux États-Unis. » À n'en pas douter, la présence de délégations de pays du Golfe aux côtés de celle d'Israël est un nouveau coup de force diplomatique de la part de « Bibi », qui ne manquera pas de s'en servir dans la nouvelle campagne électorale dans laquelle il est lancé.

Lire aussi Israël et les pays arabes du Golfe : une révolution diplomatique

Unis dans leur opposition à la République islamique d'Iran, qu'ils accusent de déstabiliser la région, l'État hébreu et les pays du Golfe ont entamé au cours des dernières années un étonnant rapprochement, couronné par la (rare) visite officielle de Benjamin Netanyahu à Oman en octobre 2018. Pourtant, d'après un diplomate arabe ayant participé à cette rencontre, la question palestinienne ne sera pas sacrifiée sur l'autel du réchauffement des relations avec Israël. « On comprend bien que l'affichage du Premier ministre israélien vise surtout son public, mais je pense qu'il ne trompe personne », confie le responsable du Golfe. « Le souhait de M. Netanyahu est que l'on s'implique tout d'abord davantage au niveau de la relation bilatérale, mais pour nous, il est essentiel de résoudre avant tout la question palestinienne, car notre région ne sortira pas de la crise sans la résolution du conflit israélo-palestinien : quiconque ignore cette réalité se ment à soi-même. »

La relation personnelle tissée au fil des ans par le gendre du président américain Jared Kushner avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, dont il est proche, et le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane a beaucoup œuvré à rapprocher les points de vue entre Israël et les pays arabes du Golfe. Mohammed ben Salmane n'hésitant pas, il y a un an, à déclarer à des organisations juives américaines qu'« il est temps que les Palestiniens acceptent les propositions [américaines] et reviennent à la table des négociations ou qu'ils se taisent et cessent de se plaindre », selon Barak Ravid, le correspondant en Israël du site américain Axios. Le sulfureux prince saoudien avait par la suite été indirectement recadré par son père, le roi Salmane, qui a publiquement rappelé que la position officielle saoudienne était la création d'un État palestinien dans les frontières de 1967 (sans les colonies israéliennes en Cisjordanie, NDLR), avec Jérusalem-Est pour capitale. « Nous ne jugeons les Saoudiens que sur ce qu'ils nous disent », souligne Jibril Rajoub. « Et ils nous assurent qu'ils sont engagés dans leur souhait d'avoir un État palestinien selon les frontières de 1967. S'ils vont à Manama, c'est leur problème. »

Lire aussi « Israël possède un contrôle absolu sur le moindre centimètre carré de Cisjordanie »

En l'absence, pour l'heure, de volet politique du « plan du siècle », les observateurs se fient pour l'heure à la réalité du terrain. Depuis janvier 2017, la colonisation israélienne, pourtant illégale au regard du droit international, s'est accélérée. 600 000 colons israéliens vivent aujourd'hui à Jérusalem-Est et en Cisjordanie rendant illusoire toute création d'un État palestinien viable. Dans une interview au New York Times au début du mois, l'ambassadeur américain en Israël David Friedman, l'un des auteurs du « plan Trump », a défrayé la chronique en ouvrant la voie à une annexion par Israël d'une partie de la Cisjordanie. « Sous certaines conditions, je pense qu'Israël a le droit de conserver certaines [parties], mais pas toutes, de la Cisjordanie ». Une déclaration-choc qui n'étonne pas outre mesure le chercheur Hugh Lovatt. « Nous assistons déjà à une annexion des territoires palestiniens. Il suffit de regarder la façon dont la Knesset a commencé à étendre ses propres lois aux colonies israéliennes en Cisjordanie. »

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation
Lire la charte de modération

Commentaires (17)

  • moufia

    Voilà pourquoi le plan Trump est illusoire et les Européens font semblant d'y croire.

  • Kermit12

    ... Pour l'auteur au moins : le plan de Trump ne marchera pas !

    Il est vrai que comme il s'éloigne des précédents, et que ces derniers ont tellement bien marché, qu'on ne peut que condamner celui-ci par avance...

  • geogringo

    La fameuse solution à 2 états ne semble plus guère possible. J'ai "péleriné" en Terre sainte où le développement des colonies paraît bien irréversible. Je ne crois pas non plus qu'un état binational - solution raisonnable pour nous qui vivons loin de là, puisse être accepté par les deux parties. Les Américains ont tendance à penser que des milliards de $ peuvent résoudre les conflits. C'est du rationalisme mais pas la réalité. De même, on parle toujours des "Palestiniens" mais qui se préoccupe de l'avis de ceux qui ont la nationalité israélienne ? Qu'y a t'il de commun entre ceux de M. Abbas et ceux qui contrôlent Gaza ? Rappelons que pour s'établir, la République d'Irlande n'a pu faire l'économie d'une guerre civile... Je crains finalement qu'en Israël, les arrivées massives depuis l'ex-URSS et la disparition de Rabin n'aient bien "compliqué" les données du problème.