L’Europe a-t-elle besoin des Etats-Unis pour se défendre, ou doit-elle s’en émanciper pour devenir stratégiquement autonome ? A cette question, la France et l’Allemagne n’ont jamais tout à fait apporté la même réponse. Mais il est rare que les deux pays affichent au grand jour leurs divergences, comme viennent de le faire, à vingt-quatre heures d’intervalle, le président français, Emmanuel Macron, et la ministre allemande de la défense, Annegret Kramp-Karrenbauer (« AKK »).
C’est le premier qui a souligné le désaccord. Dans un entretien fleuve à la revue Le Grand Continent, publié lundi 16 novembre, le président de la République s’est dit en « désaccord profond » avec une récente tribune signée par « AKK » sur le site Politico. Dans ce texte paru le 2 novembre, à la veille de l’élection présidentielle américaine, la ministre de la défense allemande, également présidente de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), le parti d’Angela Merkel, affirmait notamment ceci : « Il faut en finir avec l’illusion d’une autonomie stratégique européenne. Les Européens ne pourront pas remplacer le rôle capital qu’ont les Etats-Unis en tant que garants de leur sécurité. »
Pour M. Macron, ce point de vue est « un contresens de l’histoire ». « Les Etats-Unis ne nous respecteront en tant qu’alliés que si nous sommes sérieux avec nous-mêmes, et si nous sommes souverains avec notre propre défense », explique le président français, assurant au passage que Mme Merkel ne partage pas les propos de sa ministre. « Heureusement, la chancelière n’est pas sur cette ligne, si j’ai bien compris les choses », affirme le chef de l’Etat.
« Incompréhension persistante »
La réplique d’« AKK » n’a pas tardé. « L’idée d’une autonomie stratégique de l’Europe va trop loin si elle nourrit l’illusion que nous pourrions assurer la sécurité, la stabilité et la prospérité de l’Europe sans l’OTAN ni les Etats-Unis », a-t-elle réaffirmé, mardi 17 novembre, dans un discours à l’université de la Bundeswehr à Hambourg. « Kramp-Karrenbauer tient tête à Macron », titrait, quelques heures plus tard, le grand quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Quelle importance accorder à cette passe d’armes ? Pour certains observateurs, elle est avant tout le symptôme d’un malentendu. « Il y a une incompréhension persistante entre Paris et Berlin sur la notion d’autonomie stratégique, explique Ulrike Franke, chercheuse à l’European Council on Foreign Relations (ECFR). En Allemagne, il y a la crainte que la France veuille complètement affranchir l’Europe des Etats-Unis. En France, on s’inquiète de voir l’Allemagne privilégier la relation transatlantique à l’intégration européenne. »
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