Pour avoir une idée du défi qui pèse sur les épaules de Suresh Prabhu, le ministre indien des chemins de fer, prenez un train à la gare VT (Victoria Terminus) de Bombay, sur les coups de 18 heures, un jour de semaine. Surtout, ne vous laissez pas impressionner par la foule qui prend d’assaut l’imposant bâtiment victorien à la beauté passée : vous n’êtes, après tout, que l’une des 20 ou 22 millions de personnes qui vivent dans cette ville. Les files d’attente aux guichets sont, curieusement, relativement ordonnées : il y a du mieux, vous explique la personne devant vous, car le légendaire système des guichets successifs a été simplifié. On trouve même quelques guichets automatiques, réservés aux détenteurs d’une carte d’abonnement.
C’est dans cette gare que les auteurs des terribles attentats de 2008 ont commencé leur virée meurtrière, tuant au passage une cinquantaine de voyageurs. Aujourd’hui, aucune sécurité n’est visible. Des trains usés arrivent et repartent, bondés, toutes portes ouvertes, à la fréquence des métros parisiens aux heures de pointe. Les trains de Bombay transportent chaque jour deux fois plus de gens que leur capacité le prévoit. Pour se protéger du harcèlement, les femmes voyagent dans leurs propres wagons ; à en juger par l’absence totale de mixité dans les trains de banlieue, cette ségrégation-là a du bon. « Oui, c’est bondé aussi, admet une passagère d’un ladies coach, mais, au moins, on est entre nous. »
Bientôt, cette gare fera partie des 100 premières gares indiennes connectées à Internet – à défaut de trains à grande vitesse, ces gares auront au moins le Wi-Fi à grande vitesse. C’est ce que le PDG de Google, l’Indo-Américain Sundar Pichai, a promis au premier ministre indien, Narendra Modi, au cours de sa retentissante tournée dans la Silicon Valley, fin septembre ; après les 100 premières gares les plus fréquentées viendra le tour de 300 autres. Google a de quoi faire : l’Inde compte à peu près 8 000 gares.
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Par sa taille gigantesque, son rôle dans la vie des Indiens, son poids dans l’économie et l’impérieuse nécessité de passer du statut de vestige de l’Empire à celui d’entreprise moderne et connectée, le colosse Indian Railways (IR) symbolise à lui seul le pari de Narendra Modi pour l’Inde – et tous les obstacles sur sa route. Indian Railways est tellement un Etat dans l’Etat que dans le film Chak De ! India, l’un des grands succès du box-office indien, lorsque les joueuses de l’équipe féminine de hockey sur gazon sont priées de décliner l’Etat dont elles sont originaires, on entend « Punjab », « Assam » ou « Kerala », puis… « Railways ».
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