Accusée de mollesse, voire d'indolence, par l'opposition ukrainienne, l'Union européenne a décidé d'agir. Les dizaines de morts sur la place de l'Indépendance ont vaincu les dernières réticences des Vingt-Huit à imposer des sanctions « ciblées », « graduelles » à l'encontre de ceux dont les mains sont « tachées de sang ».
L'enjeu : priver de visa et geler les avoirs de proches du président Viktor Ianoukovitch coupables d'exactions. L'Europe a tardé à dégainer cet outil. Pourtant, le recours aux sanctions est devenu une arme presque « banale » de la politique étrangère de l'UE.
Dans une note de recherche du think tank Conseil européen des relations étrangères, rédigée en janvier 2013, Konstanty Gebert rapporte que l'Union a sanctionné, en vingt ans, vingt-six Etats, dont la Corée du Nord ou l'ex-Yougoslavie, une vingtaine d'entités et une douzaine de personnes physiques telles que Milica Gajic Milosevic, la belle fille de l'ancien président serbe Slobodan Milosevic.
« Pour une entité politique dépourvue de force militaire », la sanction est considérée comme un instrument de « soft power », explique le rapport qui mentionne une escalade de la pratique avec 22 décisions en 2010, contre 69 un an plus tard.
Autrefois focalisées sur un groupe restreint de personnes, ces mises à l'amende concernent de plus en plus des Etats entiers. Ainsi de l'Iran, de la Syrie, et plus récemment, de la Libye en 2011 et de la Birmanie. Les mesures de rétorsion peuvent répondre à une infraction envers les droits de l'homme (Birmanie, Biélorussie) ou répondre à une menace sur la sécurité de l'UE (Libye), dit ce rapport.
« IL N'Y A AUCUN CONTRÔLE »
Du blocage des visas à l'embargo total, la palette des outils est large et la pratique, de plus en plus courante. Pourtant, son efficacité reste mystérieuse. « On sait très peu de choses sur les effets des sanctions. Il n'y a aucun contrôle », indique M. Gebert. La simple mise en œuvre du dispositif est même parfois sujette à caution, poursuit-il. La Lettonie a ainsi assuré ne pas avoir les moyens matériels et financiers de contrôler le suivi du deuxième round de sanctions en 2012 appliquées à la Biélorussie, « dernière dictature d'Europe ».
Enfin, et c'est sans doute le cas de l'Ukraine, il est difficile de détecter l'ensemble des ramifications financières des personnes ciblées, les comptes bancaires personnels se mêlant à ceux des grands groupes, dans un obscur maquis financier. Dans ce contexte, imposer des sanctions, « c'est un coup d'épée dans l'eau », estime Ludovic Subran, chef économiste chez Euler-Hermes.
Pis, des sanctions qui s'éternisent sans parvenir à leurs fins peuvent se révéler désastreuses dans un pays à l'économie exsangue. Le donneur de leçons « devient le démon », relève M. Subran. En Iran, cible d'une panoplie de mesures inédites par leur ampleur, « l'absence d'approvisionnement en médicaments a pu causer indirectement des milliers de morts », indique M. Gebert. « Moralement, c'est difficile à soutenir. » Et le malheur qui s'abat sur le pays permet au pouvoir que l'on est censé combattre de dénoncer l'« impérialisme » et l'« ingérence » de l'étranger.
A Kiev, les appels répétés des opposants à une réaction de l'Europe laisse penser que les sanctions, en dépit de leurs effets potentiels sur une économie déjà abîmée, resteront « populaires », comme elles l'ont été en Birmanie, soutenues par l'opposante Aung San Suu Kyi. Aussi, à défaut d'être efficace, le dispositif est un signal envoyé au pouvoir en place. Un témoignage de fermeté de la part de l'Europe pour « montrer les dents sans vraiment mordre », résume Ludovic Subran.
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