Chronique. A Sotchi, vendredi 18 mai, Vladimir Poutine attendait Angela Merkel avec un bouquet de fleurs. Ce n’était pas d’une spontanéité folle, mais la chancelière aura apprécié : les fleurs, c’est tellement mieux que le gros labrador noir dont le président russe lui avait imposé la présence, également à Sotchi, en 2007, à elle qui déteste les chiens.
Comment accueillera-t-il Emmanuel Macron, jeudi 24 mai à Saint-Pétersbourg ? « En chef du monde occidental », nous affirme un responsable russe. Des fleurs encore, mais d’un autre genre. Le Kremlin, de toute évidence, aimerait saisir ce moment inédit dans les relations internationales pour ouvrir une nouvelle voie diplomatique en Europe. Alors que le dialogue russo-américain est totalement bloqué, Vladimir Poutine reçoit deux dirigeants européens, et pas des moindres, en moins d’une semaine. Dans le chaos ambiant d’une Amérique qui ne pense qu’à elle, d’une Europe secouée par le populisme et d’un Moyen-Orient sans cesse au bord de l’embrasement, la décision de Donald Trump de dénoncer l’accord sur le nucléaire iranien semble être, paradoxalement, perçue à Moscou comme une lumière au bout du tunnel.
Sergey Utkin, chercheur à l’Institut des relations et de l’économie internationales à Moscou, relève qu’avec « Macron et Merkel, au moins, il y a une chaîne de commande : ils ont un Parlement, une vision et la capacité de la faire exécuter ». Comparée aux incohérences de Trump, l’Europe paraît plus fiable. Dans le discours russe à destination des Européens ces jours-ci, on entend parler d’« espoir », de « chance d’agir ensemble », « d’intérêts politiques et de sécurité communs à préserver » – autant de mots qu’on avait oubliés. Un responsable se prend à rêver d’une Europe « forte et indépendante » qui s’émanciperait de « la discipline de bloc ».
Moment « unisolationniste »
C’est un rêve, bien sûr. Les tensions entre les Etats-Unis et leurs alliés européens provoquées par le retrait de Washington de l’accord iranien et par la brutalité de Donald Trump sont réelles, mais l’idée d’un axe Moscou-Bruxelles-Paris-Berlin se substituant à l’alliance transatlantique n’effleure pas sérieusement le cerveau des stratèges du Kremlin, sauf à être fortement imbibés de vodka. De même, lorsqu’un Polonais comme Donald Tusk, le président du Conseil européen, atlantiste devant l’éternel, en arrive à tweeter son indignation à l’égard du président des Etats-Unis comme il l’a fait le 16 mai (« Avec des amis pareils, qui a besoin d’ennemis ? Franchement, l’UE devrait le remercier. Il nous débarrasse de toutes nos illusions. Nous réalisons que, si l’on a besoin d’une main secourable, elle est là, au bout de notre bras »), cela soulage quelques esprits échauffés à Bruxelles, mais ça n’efface pas pour autant la réalité du lien occidental. Le seul fait d’en rêver tout haut, cependant, montre à quel point l’ordre du monde est bouleversé.
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