C’est le syndrome russe : la parade militaire chinoise, qui marque jeudi 3 septembre les 70 ans de la résistance du peuple chinois contre l’agression japonaise, est loin de faire l’unanimité, notamment parmi les nations qui ont combattu les puissances de l’Axe. Comme à Moscou en mai, seuls une trentaine de chefs d’Etat sont présents à Pékin. Vladimir Poutine est un invité d’honneur qui ne dit pas son nom, tout comme Xi Jinping l’avait été à Moscou.
La liste comparée des invités révèle un certain nombre d’amis communs : Egypte, Vietnam, Kazakhstan, Venezuela, Afrique du Sud, Serbie… Raul Castro ne fait pas le voyage, mais Cuba envoie un régiment. Pressenti à Moscou comme à Pékin, Kim Jong-un ne sera toutefois pas de la fête, la Corée du Nord étant représentée par le numéro deux du régime, Choe Ryong-hae.
Seul « coup » diplomatique pour Xi Jinping, la présence attendue de la présidente sud-coréenne, Park Geun-hye, qui reflète le désir de la Chine d’adopter une position plus neutre vis-à-vis des deux Corées. Pour Mme Park, cette invitation sert sa posture d’intransigeance adoptée envers le Japon pour les crimes de ses forces d’occupation sur la péninsule coréenne. Malgré tout, au vu des personnalités présentes, force est de constater « l’isolement relatif de la Chine en Asie-Pacifique et au-delà », selon Alice Ekman, chercheuse spécialiste de la Chine à l’Institut français des relations internationales (IFRI).
Comme en Russie, la parade chinoise est boudée par le Japon, mais aussi par la plupart des grandes puissances occidentales, Washington n’étant représenté que par son ambassadeur à Pékin, Max Baucus. Parmi les chefs d’Etat européens, le président tchèque fait cavalier seul en se rendant à Pékin. La France, elle, a dépêché son ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius.
« Exhibition de la puissance militaire »
Si Poutine était puni pour la Crimée et le conflit ukrainien, les Occidentaux et notamment la France ont fait valoir qu’ils auraient été prêts à soutenir plus chaleureusement l’événement s’il avait été placé sous le signe de la réconciliation avec le Japon. Or, non seulement l’agenda politique du premier ministre, Shinzo Abe, est peu propice à une telle approche, mais c’est aussi la dernière des préoccupations de Pékin, qui n’a cessé d’instrumentaliser le nationalisme et le sentiment antijaponais.
Pour Jin Canrong, professeur de relations internationales à l’université de Renmin, cette frilosité de l’Occident s’explique par « les doutes de ces pays, et surtout les Américains, vis-à-vis de la stratégie chinoise. Ils tendent à penser que cette parade est une exhibition de la puissance militaire chinoise et que cela vise à intimider les autres pays ». François Godement, directeur du programme Asie et Chine du Conseil européen des relations internationales (ECFR), juge, lui, « négatif » l’impact en termes de « diplomatie publique ». « Cela place la Chine dans le camp des pays qui ont besoin de montrer leurs armes », souligne-t-il.
Si l’Asie centrale est largement représentée, le manque d’enthousiasme est patent chez les pays de l’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), dont moins de la moitié des chefs d’Etat est présente à Pékin (Vietnam, Birmanie, Laos, Cambodge avec le roi Norodom Sihamoni). La Thaïlande est représentée par son premier ministre adjoint. Les Philippines, Singapour, l’Indonésie et Brunei n’envoient pas de représentant de haut rang – signe que les actions chinoises dans les mers de Chine les ont rendus quelque peu méfiants – malgré la grande offensive de charme déployée par Pékin avec son projet de revitalisation des routes de la soie.
« Montrer au peuple où va l’argent »
La parade militaire chinoise a d’autres fonctions, en particulier intérieures. Selon M. Jin, pour lequel « la Chine a l’habitude de voir grand » (Jeux olympiques et Exposition universelle de Shanghaï), ce défilé vise « à regonfler la confiance des gens : la Chine entre dans une phase délicate de réformes économiques, la croissance faiblit et les cours de la Bourse ont baissé ». Enfin, poursuit-il, il s’agit de « montrer au peuple où va l’argent » destiné à l’armée, au moment où elle est touchée par une campagne anticorruption qui a fait tomber plusieurs hauts gradés.
Si cette démonstration de force sert des objectifs de propagande intérieure, l’ironie, que n’ont pas manqué de soulever en Chine les voix critiques, c’est que la victoire chinoise prend des libertés avec l’Histoire : c’est essentiellement la Chine nationaliste de Tchang Kaï-chek qui a combattu l’envahisseur japonais sur le territoire chinois. Une configuration dont Mao et sa guérilla communiste ont tiré un avantage largement avéré par les historiens, mais dont toute mention est taboue en Chine.
Pour redorer son blason, notamment à l’attention du public chinois, Pékin a convié des dirigeants à la retraite, du Britannique Tony Blair au Japonais Tomiichi Murayama, en passant par le Philippin Joseph Estrada ou encore le Taïwanais Lien Chan, l’ancien président du Kuomintang, le parti nationaliste, dont la venue à Pékin a déclenché dans la deuxième Chine qu’est Taïwan une vague de critiques aussi bien dans son camp que dans l’opposition.
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