L’historien François Godement est spécialiste de la Chine et des relations internationales en Asie. Directeur du programme Asie et Chine à l’European Council on Foreign Relations, il a fondé, en 2005, Asia Centre, un institut de recherche indépendant, dont il a assuré la présidence jusqu’en 2009. Il a publié notamment Que veut la Chine ? (éd. Odile Jacob, 2012).
Quel regard portez-vous sur la crise nord-coréenne ?
La crise que nous vivons actuellement entre la Corée du Nord et les Etats-Unis était attendue depuis une dizaine d’années. Si les progrès balistiques nord-coréens ont été plus rapides que prévu, le pays n’a jamais fondamentalement cédé face à quelque sanction internationale que ce soit. A court terme, il n’y a pas de résolution diplomatique possible, car celle-ci n’arrêtera pas le régime de Kim Jong-un. Quand la Corée du Nord dit qu’elle va procéder à des essais nucléaires ou balistiques, elle le fait.
Toutefois, cela ne veut pas dire que nous nous dirigeons vers un conflit militaire. L’actuelle situation de crise n’est pas nouvelle. Elle nous ramène à l’administration Bush, qui, comme Donald Trump, traçait des « lignes rouges » à ne pas franchir, puis les déplaçait quand la Corée du Nord les franchissait. Quant à l’administration Obama, elle a cru agir par le biais des sanctions.
Quelle est aujourd’hui la stratégie chinoise ?
La Chine a toujours été réactive et opportuniste, car son objectif premier reste le maintien du statu quo, ou à peu près. Devant les avancées nord-coréennes, la Chine cherche à minimiser l’effet domino dans la région, d’où sa virulence à dénoncer l’installation de défense antimissile en Corée du Sud, et même les sanctions informelles prises contre Pyongyang. La Chine essaie aussi de positiver la crise : ce fut longtemps un moyen de valoriser son rôle potentiel auprès des Etats-Unis.
Mais la limite de ce rôle, c’est que la Chine ne veut pas d’un bouleversement dans la péninsule, et en particulier ne veut pas d’une chute du régime nord-coréen, aussi inamical soit-il à son endroit. Et c’est également le cas des Etats-Unis, qui, malgré leur rhétorique, ne souhaitent pas le renversement du régime, porteur de risques humains et économiques énormes. Le président Trump avait, après son élection, déclaré vouloir rencontrer le dictateur nord-coréen, ce que Bill Clinton lui-même n’avait pas fait en phase de détente relative.
Enfin, la Chine a moins de pouvoir que l’on ne pense sur la Corée du Nord, sauf à imposer un blocus complet, en particulier sur le pétrole. Kim Jong-un a étonnamment réussi à purger l’influence interne de la Chine, comme son grand-père Kim Il-sung l’avait fait en son temps.
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