Laurent Fabius a veillé à ce que sa première visite officielle en Iran soit exclusivement politique. Aucun chef d’entreprise n’accompagnera le chef de la diplomatie française à Téhéran, mercredi 29 juillet. L’heure n’est pas encore à parler affaires. Deux semaines après la signature à Vienne, le 14 juillet, d’un accord entre l’Iran et les P5+1 (Allemagne, Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne et Russie), M. Fabius doit faire oublier la fermeté française sur un dossier nucléaire, qu’il a fini par incarner plus que quiconque. Il doit restaurer la confiance pour ouvrir un nouveau chapitre dans les relations bilatérales et aplanir les divergences avec l’Iran sur les grands dossiers régionaux.
Une journée après Federica Mogherini, la chef de la diplomatie de l’Union européenne, M. Fabius retrouvera à Téhéran son homologue Mohammad Javad Zarif, avant d’être reçu par le président iranien. En 2003, c’est Hassan Rohani, alors négociateur sur le nucléaire, qui avait reçu en Iran Dominique de Villepin, alors ministre des affaires étrangères, dans l’espoir d’éviter une crise ouverte sur le dossier. Douze ans plus tard, et un accord en poche, Laurent Fabius vient clore ce dossier qui aura fini par empoisonner les relations bilatérales.
Pas de tapis rouge
Laurent Fabius n’arrive pas en territoire conquis. « Pas de tapis rouge » pour le responsable français, a exhorté, le 24 juillet, l’orateur de la prière du vendredi à Téhéran, Seyyed Reza Taghavi. Depuis l’annonce de sa visite, les conservateurs iraniens ne ménagent aucun effort pour rappeler le rôle « néfaste » joué par la France durant les négociations sur le nucléaire. Ils accusent M. Fabius d’avoir voulu « saborder » les tractations à de sombres desseins. « Il a assisté aux négociations [nucléaires] en tant que représentant des régimes rétrogrades arabes et du régime envahisseur sioniste [Israël] », l’accuse le site conservateur Mashregh News. L’accusation fait mouche pour de nombreux Iraniens qui voient en Laurent Fabius un « dur », un « intransigeant », depuis son refus, en novembre 2013, à Genève, d’appuyer un texte présenté par les Etats-Unis et l’Iran, jugé insuffisamment « exigeant », ce qui avait retardé de deux semaines la conclusion de l’accord intérimaires.
Dans un entretien au Monde, le 14 juillet, le chef de la diplomatie française défendait cette ligne de « fermeté constructive » ayant « permis d’aboutir à un accord suffisamment robuste ». Mercredi, c’est en Iran que « M. Fabius aura à démontrer que la position de la France était bien motivée par la prolifération nucléaire et non par l’hostilité vis-à-vis de l’Iran ou la volonté de plaire à ses partenaires, l’Arabie saoudite et Israël », souligne François Nicoullaud. L’ancien ambassadeur de France en Iran (2001-2005) se rappelle d’épisodes bien plus tendus et violents dans les relations en dents de scie entre les deux pays. Et à en croire les personnes introduites dans les pourparlers, les échanges semblent avoir été plus apaisés qu’il n’y a paru. « Les réunions privées entre les délégations française et iranienne ont été respectueuses et riches », croit savoir Ellie Geranmayeh, analyste à l’European Council on Foreign Relations (ECFR).
Heures sombres
M. Fabius a lui-même vécu des heures autrement plus sombres avec la République islamique. Cinq ans après sa proclamation, en février 1979, M. Fabius, nommé premier ministre par Mitterrand, se trouve propulsé dans les méandres de la guerre Iran-Irak (1980-1988) et des contentieux franco-iraniens. Téhéran avait alors décidé de faire payer le prix fort à Paris pour son soutien au président irakien, Saddam Hussein. En 1981, les hostilités s’étaient ouvertes au Liban, avec l’assassinat de l’ambassadeur Louis Delamare, suivi de nombreux attentats contre les intérêts français.
En 1984, relate l’historien Pierre Razoux, la France se résout à entamer des négociations avec le régime iranien sur quatre dossiers : les ventes d’armes à l’Irak, l’asile offert à l’opposant Massoud Radjavi, le maintien en détention d’Anis Naccache et le contentieux lié au prêt Eurodif, un prêt accordé en 1974 par le chah d’Iran à la France pour la construction de l’usine d’enrichissement d’uranium de Tricastin, que la France n’a jamais remboursé. Les tergiversations françaises vont lui coûter cher : trois vagues d’attentats en France qui ont fait une vingtaine de morts et le kidnapping de treize Français au Liban.
En poste de 1984 à 1986, « Laurent Fabius en a beaucoup souffert et en a gardé un souvenir épuisant », raconte M. Nicoullaud. Les éditorialistes iraniens n’ont pas oublié non plus son passage à la tête du gouvernement français, mais pour une toute autre affaire. Depuis plusieurs jours, ils réclament les excuses de M. Fabius et des dédommagements pour les 300 Iraniens qui ont été contaminés par le virus du sida ou de l’hépatite C après avoir subi, en 1984 et 1985, des transfusions avec les produits sanguins vendus par la société française Mérieux. Sur les sites conservateurs, l’ancien premier ministre est diabolisé par l’entremise d’une photo détournée en avis de recherche, où il est présenté gorgé de sang et affublé d’une étoile de David, en référence à ses origines familiales de confession juive. Réagissant aux critiques portées contre son ministre, lundi soir, le président de la République François Hollande a déclaré que « les attaques portées contre Laurent Fabius sont des attaques contre la France ».
Accusation d’ingérence
Pour autant, en France comme en Iran, les deux parties expriment un même souhait de dialoguer et de coopérer sur le règlement des crises qui déstabilisent la région, de la Syrie, au Yémen, en passant par l’Irak et le Liban. Comme l’a réitéré le président Hollande à l’issue d’un entretien téléphonique avec son homologue Hassan Rohani, le 23 juillet, la France espère un changement d’attitude de Téhéran, accusée d’ingérence dans les affaires internes des pays arabes et de visées expansionnistes au détriment de son rival saoudien. Téhéran aimerait, pour sa part, voir moins d’intransigeance dans les propos tenus à Paris sur son allié syrien, Bachar Al-Assad, et un appui plus mesuré aux puissances du Golfe.
« La visite de M. Fabius peut créer de nouvelles opportunités, assure Ellie Geranmayeh. L’Iran peut faire le calcul politique de se rapprocher de Paris pour rompre son alignement avec les pays arabes. Il peut aussi tirer profit de la bonne relation qu’elle entretient avec l’Arabie saoudite pour, à terme, trouver un chemin vers la réconciliation et le règlement des crises dans la région. » Quelles que soient les avancées que la France et l’Iran feront sur ce volet, M. Fabius se dit confiant que rien ne viendra entraver les perspectives, nombreuses, qui s’offrent aux entreprises françaises sur le marché iranien. Après une visite très remarquée de cent chefs d’entreprises françaises en Iran, en février 2014, le gouvernement français espère se joindre aux 80 entrepreneurs réunis par le Medef pour aller explorer, fin septembre, les potentialités de ce marché de 80 millions d’habitants.
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu