Le calme règne à Ankara. Six semaines après la très violente tentative de coup d’Etat militaire du 15 juillet qu’il a réussi à mettre en échec, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, peut partir tranquille en Chine pour participer, les 3 et 4 septembre, au sommet du G20. « Homme fort », Erdogan, arrivé au pouvoir en 2003, l’est plus que jamais et c’est bien ce qui inquiète ses partenaires occidentaux. A Hangzhou, il va lui falloir beaucoup de talent pour les convaincre que la démocratie peut aussi se défendre à coups de purges massives.
Avec les Américains, l’explication a déjà commencé. Le vice-président Joe Biden a fait le déplacement à Ankara le 23 août, pour discuter de deux dossiers aussi urgents qu’épineux : la Syrie, où la Turquie intervient désormais directement, et la demande d’extradition du prédicateur islamiste Fethullah Gülen, exilé en Pennsylvanie et que M. Erdogan considère comme l’instigateur du putsch. Pour les Etats-Unis, cette décision relève de la justice, qui est indépendante, mais par les temps qui courent en Turquie, cette notion mérite d’être explicitée.
Avec les Européens, comme toujours, c’est plus compliqué. C’est même, de part et d’autre, le grand malentendu. Recevant, cette semaine à Ankara, un petit groupe de chercheurs du European Council on Foreign Relations, conduit par l’ancien premier ministre suédois Carl Bildt, en présence du Monde, les hauts responsables turcs n’ont pas eu de mots assez durs pour le manque de solidarité des Européens lors de cette nuit tragique. « A 3 heures du matin ça bombardait encore, mais tout ce qui inquiétait Mme Mogherini, c’est comment nous allions traiter les conspirateurs », affirme amèrement l’un d’eux à propos de la chef de la diplomatie de l’UE.
Dérive autoritaire
L’héroïsme du peuple turc qui s’est jeté dans la rue cette nuit-là, non pas pour défendre Erdogan mais pour sauver la démocratie, au prix de lourdes pertes (179 civils tués), l’union nationale qui a suivi, la fierté, l’opposition aux côtés du président légitimement élu que les putschistes voulaient renverser, sont autant d’événements historiques que les Occidentaux n’ont pas traités, aux yeux des Turcs, à leur juste valeur.
A Ankara, ce scepticisme et cette froideur ont du mal à passer. Depuis le temps qu’on lui fait miroiter l’accession à l’UE, la Turquie connaît la règle du « deux poids, deux mesures », mais peut-être une exception aurait-elle pu être faite dans une situation aussi dramatique ? Les Européens réalisent-ils dans quel chaos la réussite du putsch aurait plongé la Turquie et, partant, leur continent ?
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