C’est une période difficile pour les « technobéats », ceux qui promettaient la fin des dictatures grâce à l’avènement des nouvelles technologies. Twitter et Facebook, deux rejetons de la Silicon Valley, allaient permettre, expliquaient-ils, de faire tomber les dernières chaînes des totalitarismes. Les régimes communistes qui avaient survécu à la chute du mur de Berlin, à commencer par la Chine, ne pourraient que succomber à la circulation sans frein de la parole et à la capacité de mobilisation offerte par les réseaux sociaux. Les « printemps arabes » en 2011 n’étaient-ils pas la démonstration irréfutable de la véracité de leurs propos ? Cinq ans après, leur optimisme se révèle très discutable. La Chine apporte désormais la preuve qu’un régime autoritaire peut non seulement contrôler les réseaux sociaux, mais aussi les intégrer dans sa politique de propagande.
« Je préfère ne plus parler de censure en Chine, mais de gouvernance de l’Internet », a expliqué le journaliste et blogueur Michael Anti, l’un des meilleurs spécialistes du monde numérique chinois, le 17 mai, lors de la conférence « La Chine à la croisée des chemins », organisée par l’European Council on Foreign Relations et par la Fondation Calouste Gulbenkian à Lisbonne. Selon lui, la deuxième puissance économique mondiale est entrée dans une nouvelle ère. Certes, la méfiance est toujours de mise : la « Grande Muraille électronique » est toujours là, obligeant les internautes à utiliser des réseaux privés virtuels pour consulter les sites étrangers bloqués dans le pays. Mais, fait nouveau, le régime promeut l’innovation numérique.
Celle-ci passe notamment par le développement de médias ciblant un public jeune, habitué aux réseaux sociaux et aux smartphones. Le plus représentatif dans ce domaine est le site The Paper, lancé en juillet 2014 par un groupe de presse de Shanghaï sous les auspices de Lu Wei, le cyberpropagandiste en chef. Ce qu’il propose est une sorte de Huffington Post revu et corrigé par la propagande officielle, avec aussi bien des enquêtes sur la corruption que des histoires insolites susceptibles de créer le buzz. Du sérieux et du léger tout à la fois. Un mélange étonnant, mais qui s’explique par la volonté des autorités de garder le contrôle de l’opinion publique par des moyens plus subtils que la censure pure et dure. En avril, The Paper a également lancé sa version en anglais, Sixth Tone, sur lequel des sujets passés sous silence dans la presse officielle chinoise, comme la Révolution culturelle, peuvent être abordés.
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