Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Partie de mah-jong politique à Pékin

C'est un mini-coup de force, un règlement de comptes discret, bien à l'abri des épaisses murailles de la Cité interdite, qui vient d'avoir lieu à Pékin.

Publié le 15 mars 2012 à 13h08, modifié le 19 avril 2012 à 17h27 Temps de Lecture 4 min.

C'est un mini-coup de force, un règlement de comptes discret, bien à l'abri des épaisses murailles de la Cité interdite, qui vient d'avoir lieu à Pékin. Tradition d'opacité communiste admirablement respectée : rien dans la presse officielle, bien sûr - mais le Net chinois vibrait depuis longtemps d'une sourde bataille politique en cours.

Elle vient de connaître son dénouement. Et cette histoire porte en elle une indication sur la manière dont la deuxième puissance économique mondiale pourrait être gouvernée demain.

Dans la nuit du mercredi 14 au jeudi 15 mars, élliptique communiqué officiel : Bo Xilai, l'un des dirigeants les plus en vue de la Chine d'aujourd'hui, est chassé de la direction du Parti communiste. En clair, il sort de la vie politique nationale. Evincé, purgé, sommé de se faire oublier.

Eclatant de charme et de confiance en lui, tiré à quatre épingles, l'ironie au coin du sourire et l'ambition ouvertement affichée, Bo Xilai - 62 ans, un jeunot en politique chinoise - ne cachait pas qu'il aspirait à diriger le pays. Membre du bureau politique depuis 2007, ancien ministre du commerce, Bo Xilai est un "fils de prince" comme on dit à Pékin : son père, Bo Yibo, fut un héros de la révolution.

Et, comme si cela lui était dû par naissance, Bo Xilai voulait être choisi en 2013 pour entrer dans le saint des saints du pouvoir chinois : le Comité permanent du bureau politique. Là siègent les neuf "empereurs", pas un de plus, qui gouvernent la Chine ; là se prennent les décisions qui intéressent le monde entier.

Mais ce n'est pas seulement une ambition individuelle à laquelle la direction du PC vient de couper court. Bo Xilai représentait, sinon une "ligne", du moins une tendance. Arrêtée par cynisme ou par conviction, nul ne sait, elle voulait incarner une autre voie pour la Chine : moins inégalitaire, plus douce aux pauvres, plus "sociale", en un mot plus "socialiste".

L'histoire commence il y a trois ou quatre ans dans le centre du pays, dans l'agglomération géante de Chongqing, une ville-province de quelque 31 millions d'habitants. C'est là que Bo Xilai est nommé chef du PC.

C'est là qu'il va imprimer sa marque. De la ville-monstre, il a voulu faire un exemple. Elle est loin de la côte, où s'est déployée la Chine la plus riche. Mais Chongqing a aujourd'hui le taux de croissance le plus élevé du pays. Elle abrite certains des vieux fleurons de l'industrie publique nationale et, à coups de subventions massives, elle attire nombre d'investisseurs étrangers, notamment américains.

Bo Xilai y a esquissé un début d'Etat-providence : espaces verts multiples, services sociaux plus développés qu'ailleurs, attention prêtée aux droits des paysans alentour et à ceux des "migrants" venus s'installer en ville. Au nom d'une redécouverte des "valeurs socialistes", Bo Xilai cultive une sorte de maoïsme exotique : on fait revivre quelques grands opéras de l'épopée révolutionnaire, et on rechante L'Orient est rouge à Chongqing...

Cours en ligne, cours du soir, ateliers : développez vos compétences
Découvrir

Surtout, Bo Xilai mène depuis trois ans une impitoyable chasse aux mafias locales, qui sont souvent de mèche avec l'administration. Aidé d'un incorruptible chef policier, Wang Lijun, il s'affiche comme le défenseur d'une population aux prises avec un gangstérisme gangrenant les milieux d'affaires.

Ainsi Bo Xilai, omniprésent dans la presse, a-t-il tissé sa légende. Il est l'homme qui aurait trouvé des réponses à nombre des pathologies de la Chine d'aujourd'hui : inégalités croissantes, absence de l'Etat de droit, vide spirituel.

Fin 2011, dans une remarquable étude, l'Asia Centre, que dirige François Godement à Paris, parle d'un "modèle Chongqing". Publiée par l'European Council on Foreign Relations (Ecfr.eu), l'étude compare l'expérience de Chongqing au "modèle Guangdong".

Au populisme à la chinoise de Bo Xilai, la province du Guangdong opposerait une esquisse de modèle "libéral" - économique et politique. Cette région de la côte sud de la Chine est la première qui expérimenta la politique d'ouverture du début des années 1980. Elle est aujourd'hui la plus prospère et la plus peuplée du pays.

Sous la houlette de Wang Yang, 56 ans, secrétaire du PC local, la province a donné le feu vert à une série de hausses de salaires (de 30 % à 40 %, parfois) intervenues à la suite de grèves répétées le long de la rivière des Perles. Wang Yang n'aurait pas contré les syndicats, il les aurait appuyés. De même favoriserait-il un groupe d'entreprises privées innovantes aux dépens des machines à exporter d'un secteur public usinant des produits à faible valeur ajoutée.

Le Guangdong serait une fois de plus pionnier. Il donnerait l'exemple d'un autre mode de développement pour la Chine, plus tourné vers la consommation intérieure que vers l'exportation. Certains y ajoutent une touche de libéralisme politique : la presse du Guangdong passe pour être la plus impertinente du pays.

Deux modèles en compétition, donc, et deux hommes pour les incarner. Bo et Wang sont rivaux. Ils veulent entrer en 2013 au Comité permanent du bureau politique. Leurs chemins se sont croisés. Wang Yang, le "libéral", était le prédécesseur de Bo Xilai, le "populiste", à la tête du PC à Chongqing. La guerre menée là-bas par M. Bo contre les réseaux criminels aurait en fait visé à discréditer M. Wang, à l'approche de l'échéance de 2013. On est dans une série américaine.

Le dernier épisode, depuis quelques semaines, a donné la haute main à M. Wang. Car l'âme damnée de M. Bo, le superflic avec lequel il a mené sa croisade contre le crime, Wang Lijun, se serait retourné contre son patron. Il aurait démoli la légende de Bo Xilai. La guerre conduite contre les mafias de Chongqing - débauche de violences et tortures à l'appui - n'aurait été qu'une attaque en règle contre les patrons du secteur privé proches de Wang Yang.

Pas facile de savoir ce qui a le plus indisposé la direction du PC. Le style flamboyant de Bo Xilai ou le néomaoïsme qu'il prétendait incarner ?


frachon@lemonde.fr

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.