Les États-Unis et l'Europe face à l'Asie
Au-delà des soubresauts de l'actualité, le centre économique du monde se déplace vers l'Asie, achevant le cycle de domination de l'Occident. Les Etats-Unis ont décidé, sous la Présidence Obama, de réorienter leurs priorités stratégiques vers l'Asie (politique dite du "pivot" vers l'Asie), tout en proposant à l'Europe un renforcement de l'intégration économique transatlantique. Face à ces données, l'Union Européenne doit faire des choix.
En termes de présence stratégique l'Europe ne compte pas en Asie et il est peu probable que cela puisse changer. L'Europe est inaudible en Asie. En revanche les relations économiques sont intenses et se renforcent sans cesse. Les entreprises européennes ont saisi l'importance vitale de leur implantation en Asie. Par contre il n'y a pas eu de renforcement des liens institutionnels du type de ce que développent les États-Unis à travers le Trans-Pacific Strategic Economic Partnership (TPP).
Evolution de l'Asie
On doit séparer les questions d'intégration politique qui sont très sensibles, sinon insurmontables des questions économiques.
L'Asie est la zone de plus grande fracture du monde : qu'y a-t-il de commun entre les pays les plus riches (Singapour, Japon) et les plus pauvres du monde (Bangladesh, Laos), entre les géants démographiques et les nains, entre les pays démocratiques et les dictatures communistes, toutes les religions importantes y sont présentes. Les conflits potentiels sont inquiétants : plusieurs puissances nucléaires (officielles ou non) s'y affrontent et la course aux armements est extraordinairement intense dans la région. Ce qui domine la région c'est l'opposition entre les Etats-Unis garants du statu quo régional et la Chine qui s'affirme de plus en plus comme l'adversaire stratégique des Etats-Unis qui du coup se rapprochent de l'Inde. Peu ou prou les pays d'Asie oscillent de l'un à l'autre selon leurs intérêts.
Le Japon et les trois dragons (Corée du Sud, Taiwan, et Singapour) -ainsi que l'Australie et la Nouvelle Zélande - sont fermement liés à l'Occident et singulièrement aux États-Unis, première puissance militaire dans la région et longtemps premier client.
La Chine cherche à s'affirmer comme la super puissance du XXIème siècle et la puissance tutélaire de l'Asie de l'Est. Elle en a les moyens. La Chine multiplie les incidents dans les iles. Mais elle évite jusqu'à présent de recourir à la force et l'affrontement simultané sur de multiples fronts, pour gérer ces conflits un par un, parvenant ainsi à dissuader ces adversaires de présenter un front commun (Godement 2013).
L'Inde ne parvient pas à construire une croissance durable, de plus elle fait face à la défiance du Pakistan. L'Inde a un poids économique dix fois moindre à l'international que celui de la Chine, ce qui limite son influence politique dans la région.
La frénésie du régionalisme commercial
La diversité des pays d'Asie, de leurs intérêts et de leur vision du monde retarde la création d'une communauté asiatique large et approfondie. Il y a ceux qui veulent une union purement asiatique (la Chine notamment) et ceux qui veulent une union transpacifique incluant les Etats-Unis (le Japon par exemple), le compromis ne semble pas pour demain.
Au total c'est autour de l'Asean, qui n'est dominée par aucun des pays membres, et où se retrouvent un peu toutes les composantes de l'Asie, que pourrait se construire une telle communauté ouverte. Plusieurs projets d'accords de libre-échange ont été élaborés. On a estimé quel serait l'impact de ces accords commerciaux (Bchir, Fouquin 2006). D'une manière générale tous les pays sont gagnants.
Le paradoxe de la situation de l'Asie tient à ce que les accords multilatéraux ont été décisifs dans le développement du régionalisme asiatique. En effet c'est depuis l'adhésion en 2011 de la Chine à l'OMC que l'on a vu fleurir les accords commerciaux régionaux : 61 concernent les pays d'Asie orientale et du Sud.
Parmi les accords régionaux les plus importants on peut citer celui de l'AFTA, ASEAN Free Trade Agreement qui concerne les relations entre pays membres Cependant ce qui caractérise les accords mettant en présence des pays en développement en Asie, c'est que les engagements pris sont plutôt des déclarations d'intention que des actes réels (Sanchita Basu Das 2013).
Autre cause de perplexité est la multitude des accords qui semblent se recouvrir les uns les autres. Comment s'y retrouver entre les accords ASEAN, les accords ASEAN plus trois (Chine, Corée, Japon), et les accords bilatéraux de la Chine avec l'Asean, du Japon avec l'Asean et bien sur de la Corée du Sud avec cette même ASEAN.
Ce mille-feuille régionaliste pose problème : son inefficacité et son coût. Son inefficacité car seules les très grandes entreprises ont les moyens de s'informer des différentes réglementations (Kawai 2011). Par ailleurs les ressources humaines en professionnels de la négociation sont rares dans ces pays et sont ainsi gaspillées.
Le choix de l'Europe : compléter le triangle
Deux options s'offrent à l'UE : recherche d'un accord global ou recherche d'accords bilatéraux. Pour l'instant l'approche européenne est plutôt du type bilatéral : avec la Corée du sud et Singapour un accord a été signé, et des négociations intenses sont en cours avec le Japon, la Malaisie, le Vietnam, la Thaïlande et l'Inde. L'inconvénient de cette approche c'est sa complexité (Kawai 2011).
Le temps est venu d'adopter une approche globale, celle-ci exigerait des moyens considérables c'est-à-dire de redéployer nos efforts sur cet objectif. Ainsi un accord Europe Asie compléterait les accords transatlantique et transpacifique en cours de négociation pour former le Trans Europe Asia Partnership.