Vu d’Europe Les démocraties gagnées par le trumpisme

Après le Brexit, la victoire de Donald Trump est un nouveau signal, très puissant, des « oubliés de la mondialisation » à leurs élites en échec face au creusement des inégalités et au sentiment de perte d’identité.
Pascal Jalabert - 10 nov. 2016 à 05:00 - Temps de lecture :
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Infographie AFP
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« Un Brexit puissance 50 » , annonçait Donald Trump. À l’échelle de Richter du séisme électoral, le mimétisme est saisissant entre son succès et le « leave » (départ) des Britanniques au référendum sur l’UE le 25 juin dernier. La poussée populiste, un trumpisme aménagé à la sauce politique de chaque pays, se répand dans toutes les vieilles comme les jeunes démocraties occidentales.

Colère dans l’isoloir

En France, la famille Le Pen félicite le champion des « petits blancs » (lire par ailleurs) et des laissés pour compte de la mondialisation et de la révolution numérique.

Le clown Beppe Grillo en Italie, l’attelage gauche souverainiste-droite populiste en Grèce, les Pegida qui défient Merkel dans les rues et maintenant les urnes de l’ex-RDA : des majorités d’électeurs sortent de leur silence dans l’isoloir, bernent les sondages qui ne les interrogent pas, renversent la table en propulsant des partis et des personnalités venues d’ailleurs ou de pas grand-chose en politique.

Ce peuple de mécontents et d’oubliés distribue des claques aux élites et aux intellectuels, aux partis politiques, au monde de la finance et des médias, aux syndicats et autres corps intermédiaires.

Crise économique et crise migratoire

Ce vote ne se résume pas à une contestation contre les élites, les immigrés, les traités de libre-échange. Portés en 700 mots dans les discours, ou des textes de 140 caractères sur les réseaux sociaux par des personnalités qui parlent clair et cru, les programmes de repli protectionniste sur l’économie, de fermeture sur les frontières, de conservatisme sur les valeurs deviennent des refuges pour désabusés de la politique et déboussolés de la mondialisation. Le ralentissement économique depuis 2007, combiné à la montée des inégalités, crée un ressentiment violent contre ceux qui gouvernent.

La terreur répandue par les islamistes radicaux, les vagues migratoires des continents pauvres vers les pays riches, qu’amplifient et accélèrent les guerres, et les traités de libre-échange renforcent la peur du déclassement, du dumping social, de destruction des systèmes de santé et d’éducation et développent le sentiment de perte d’identité. Ils touchent désormais la classe moyenne. L’artisan anglais vote contre le plombier polonais, l’employé français contre la voisine voilée. « C’est une histoire de peur du changement, peur de l’autre, peur de la contamination culturelle » , commente Jeremy Shapiro, directeur au European Council on Foreign Relations.

Sociétés fracturées

La mondialisation des échanges et le développement du numérique ont fracturé les sociétés et les territoires. La rupture est la même dans tous les pays, entre des citoyens qui ont intégré les codes, les mutations, les enjeux de ce monde nouveau, et des populations qui n’ont pu monter dans ce TGV de la croissance. Les filets sociaux ne retiennent plus les colères. Pour le sociologue britannique Mattew Goodwin, spécialiste de ces questions, « nous avons échoué à mesurer l’ampleur de la frustration chez les électeurs blancs, moins bien éduqués et qui se sentent coupés des courants politiques dominants, menacés par les marchés mondiaux et très mal à l’aise face aux évolutions ethniques rapides. Les partis classiques répondent trop tard, trop mollement ».

Le président de l’UE, Donald Tusk, s’était inquiété de cette déconnexion entre le peuple et les dirigeants : il avait averti que le Brexit pourrait conduire à la « destruction non seulement de l’Union européenne, mais aussi de la civilisation politique occidentale ». Le trumpisme a gagné en 2016 et pas seulement aux USA. Et en 2017 ?

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