La Russie oblige l’Europe à revoir sa stratégie en Ukraine et à l’Est

« L’Union européenne est toujours en mode ‘pilotage automatique’ avec les pays du partenariat oriental »

Andrew Wilson, expert au European council on foreign relations (ECFR)

Mardi 29 juillet, dans un rapport mis en ligne mardi 29 juillet

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L’Union européenne doit changer sa politique à l’égard de la Russie et des États situés à leur périphérie commune – ceux concernés par le Partenariat oriental (Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie et Ukraine). C’est en tout cas ce que prônent Mark Leonard, directeur du European council on foreign relations (ECFR), et Andrew Wilson, expert de ce même institut (photo).

Ils affirment que la guerre qui se déroule à l’Est de l’Ukraine a rendu caduque la stratégie européenne suivie depuis 2009. Leur avis s’appuie sur quatre études portant spécifiquement sur l’Ukraine (rédigée par Andrew Wilson), la Moldavie, la Géorgie et l’Arménie, rendues publiques mardi 29 juillet.

« L’idée de coopération avec la Russie est morte »

Avec la Russie, « l’idée de coopération dans la région est morte – au moins dans un avenir prévisible », assurent Mark Leonard et Andrew Wilson. « Dès sa conception, le Partenariat oriental était un exercice ambigu : il n’offrait aux pays concernés ni un substitut, ni un prélude à l’appartenance à l’UE ». Aujourd’hui, « le premier objectif doit être de développer de nouveaux instruments pour aider les pays concernés à faire face à de nouvelles pressions ».

« La politique de voisinage était fondée sur une erreur »

« Zbigniew Brzezinski a dit un jour que la politique de voisinage était fondée sur une erreur », signalent les deux auteurs. « Les Européens pensaient que son but était de changer des pays comme l’Ukraine, alors que sa fonction réelle était de changer la Russie. L’un n’était pas possible sans l’autre. Or l’approche russe a entièrement évolué depuis le soulèvement à Kiev en février 2014 et l’annexion de la Crimée : Moscou a utilisé la force militaire pour modifier les frontières ».

« La Russie ne cherchera plus à rivaliser selon les termes posées par l’UE »

« Les deux dimensions du Partenariat se sont donc effondrées. Dans ce nouvel environnement, les pays tels que l’Ukraine auront beaucoup de difficultés à se transformer », estiment Mark Leonard et Andrew Wilson. « Quant à la Russie, elle ne cherchera plus à rivaliser selon les termes posées par l’UE. Cela signifie que l’Union européenne doit développer une nouvelle stratégie, double, vis-à-vis de la Russie et de la périphérie ».

« La méthode Monnet ne fonctionne pas dans cette région »

« D’abord, il faut reconnaitre que la méthode Monnet – commencer avec l’intégration économique et l’intégration politique suivra – ne fonctionne pas en Europe orientale », affirment-ils. « En fait, il faut inverser la méthode. La sécurité et la construction de l’État doivent venir en premier, puis l’économie. Les principaux problèmes des sociétés locales sont politiques : manque de démocratie, droits de l’homme, élites rentières. La nouvelle stratégie doit partir du constat que le défi n’est pas de construire de potentiels États membres de l’UE, mais des États ».

« Envisager une nouvelle architecture de sécurité »

« Des aspects de cette mission – comme la réforme du secteur de la sécurité et des services de renseignements – devraient d’ailleurs mieux convenir aux États membres agissant sur une base bilatérale ou en groupes, qu’à la Commission européenne », jugent les deux experts.  » Mais l’UE doit envisager une nouvelle architecture de sécurité dans la région. Étant donné la sévérité de la crise en Ukraine, c’est la tâche immédiate la plus difficile, d’autant qu’elle implique l’Occident, la Russie et les pays locaux. L’Otan a réaffirmé ses engagements de sécurité collective mais cela ne fait que souligner le vide dans lequel se trouvent les pays qui sont en-dehors de l’Alliance atlantique« .

« L’Union doit montrer qu’elle croit à son propre rêve »

« La capacité de l’Union à réformer sa politique de voisinage et à affronter les menaces de sécurité pourraient bien être le défi clé de sa politique étrangère dans la décennie à venir », concluent Mark Leonard et Andrew Wilson. « Les manifestants de Maidan ont risqué leurs vies pour les réformes et pour le rêve européen; l’Union doit maintenant montrer qu’elle aussi croit en son propre rêve et qu’elle peut trouver la volonté et les moyens pour soutenir et protéger les peuples et les gouvernements qui ont choisi le chemin européen ».

« Éviter de pousser l’Ukraine à des cessez-le-feu malheureux »

L’étude d’Andrew Wilson sur l’Ukraine contient une quinzaine de pages d’analyse. Cet expert, qui parle à la fois russe et ukrainien, affirme que « l’Europe devrait éviter de pousser l’Ukraine à des cessez-le-feu malheureux. L’actuel imbroglio ne sera jamais transcendé sans une politique claire et ferme pour contenir la Russie ».

« L’argent russe peut se gagner de nouveaux appuis à Kiev »

Analysant les résultats de l’élection présidentielle du 25 mai, Andrew Wilson constate que le nouveau chef de l’État, Petro Porochenko, ne dispose pas d’une majorité solide au parlement, que de puissants oligarques monnayent leur soutien, que les forces de sécurité et l’armée sont encore en voie de reconstitution, et que Moscou reste influent dans le pays… « La faiblesse institutionnelle de l’Ukraine explique en grande partie pourquoi un lobby russe puissant peut s’y maintenir. Beaucoup de ses membres ont fui mais beaucoup sont restés et l’argent russe peut toujours se gagner de nouveaux appuis ».

« La famille Ianoukovitch finance les séparatistes »

« La famille Ianoukovitch est toujours influente », précise-t-il. « C’est elle qui finance en grande partie les séparatistes du Donbass et ses fonds ne viennent pas nécessairement de l’étranger. La plupart du cash provient de derrière les portes d’entreprises ukrainiennes, comme le holding MAKO et la banque VBR, toujours contrôlés par le plus âgé des fils du président en exil, Oleksandr. La famille contrôlait les structures administratives locales depuis longtemps et détient des informations compromettantes sur les élites locales. Celui lui permet de tordre les bras pour s’assurer que le soutien aux séparatistes reste fort ».

« Les cardinaux gris qui représentent les intérêts russes »

« Il y a toujours un soi disant Groupe de la Russie d’une vingtaine de députés au parlement », ajoute Andrew Wilson. « Bien plus, il y a dans plusieurs partis ceux qu’on appelle les cardinaux gris, qui représentent les intérêts des oligarques et souvent les intérêts russes, dans l’arrière scène. L’un d’eux est Vitaly Kovalchuk, leader adjoint du parti UDAR, membre de la coalition gouvernementale. Il y aussi le chef de l’administration présidentielle, Serhiy Pashynsky, qui a des liens avec Andrey Portnov, l’un des conseillers juridiques de Ianoukovitch pendant la crise de l’Euromaïdan. Beaucoup de personnages liés à Ianoukovitch et Portnov sont toujours à des postes clés dans la magistrature, comme Iaroslav Romanyuk, qui président le Haut conseil judiciaire.

« Une coupure énergétique peut survenir l’hiver prochain »

« Moscou garde aussi ses vieux instruments de pression sur l’Ukraine », poursuit-il, notamment l’approvisionnement en gaz. « Une coupure énergétique peut survenir l’hiver prochain. Si la Russie enregistre des revers dans le Donbass, elle pourrait se tourner vers le front économique et frapper les milieux d’affaires de l’Est de l’Ukraine, soit pour affaiblir les effets de l’accord d’association avec l’Union européenne signé le 27 juin, soit pour retrancher le Donbass de son application ».

« La guerre hybride menée par la Russie »

De son côté, l’Union a soutenu des négociations en juin entre factions dans le Donbass « sans pleinement en saisir les implications », s’inquiète Andrew Jones. « Elle a trop souvent appelé ‘les deux parties’ à s’engager dans des négociations de paix et a montré peu de soutien au droit de l’Ukraine à rétablir l’ordre sur son territoire souverain.Elle devrait plutôt réfléchir aux moyens concrets qui aideraient l’Ukraine à faire face à la guerre hybride menée par la Russie. Elle devrait aussi prendre en compte les coûts de la reconstruction ».

« Fournir une aide militaire non létale à l’Ukraine »

« Les États membres devraient suivre les États-Unis en fournissant de l’aide militaire non létale et une assistance aux forces de sécurité dans l’Est de l’Ukraine. Celles-ci sont par exemple à court de casques et de boucliers. L’Union doit aussi maintenir la pression des sanctions contre la Russie, notamment celles qui amplifient les effets indirects comme la fuite des capitaux et les difficultés d’accès au crédit ».

« L’UE a promis 11 milliards d’euros sur 7 ans »

« L’aide financière occidentale a déjà aidé à stabiliser la situation de l’Ukraine », poursuit l’expert. « L’UE a promis 11 milliards d’euros sur 7 ans. Cela inclut 1,6 milliards d’euros d’assistance macroéconomique, dont 610 millions qui seront apportés à court terme, et 1,4 milliard d’euros de subventions, dont 140 millions seront déboursés en 2014. Huit milliards viendront de la Banque européenne d’investissement et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, et peut-être 3,5 milliards de la Facilité d’investissement de la politique de voisinage ».

« Le paiement du gaz russe n’est un problème d’ordre financier »

Le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et les États-Unis ont également annoncé d’importants soutiens. « La menace de banqueroute a été évitée. Le paiement du gaz russe par l’Ukraine est un problème d’ordre politique et juridique, mais plus financier, en tout cas à court terme ».

« Créer un forum UE-société civile »

Dans ses efforts pour réformer les structures de l’État, « l’UE devrait bâtir de nouvelles structures de coopération avec les ONG locales », ajoute Andrew Wilson. « Elle pourrait peut-être créer un forum UE-société civile. Les ONG et les activistes de Maidan, qui exercent une vigilance critique, doivent être incités à  développer des actions plus productives ».

« Engager les réformes, même si le conflit se poursuit »

Finalement, « beaucoup se demandent si  le gouvernement ukrainien peut refaçonner le système dans les conditions actuelles ou s’il lui faut d’abord trouver un accord avec la Russie », conclut Andrew Wilson. « Sachant que la Russie veut qu’il échoue, repousser les réformes signifie que rien ne sera fait. L’UE doit soutenir ceux qui veulent réformer, même pendant que le conflit dans le Donbass se poursuit ».

 

Pour aller plus loin

Le dossier « Protecting the European Choice » sur le partenariat oriental de l’UE et quatre étude de cas (Ukraine, Moldavie, Géorgie, Arménie)  mis en ligne par l’ECFR le 29 juillet (en anglais);

le dossier Ukraine de La Croix;

– la page d’accueil de l‘Union européenne consacrée au Partenariat oriental;

– le blog Paris Planète du 4 juillet 2014 « La crise en Ukraine réduit les options de la Russie face à la Chine« ;

– le blog Paris Planète du 19 avril 2014 : Un combat en Ukraine pour l’État de droit ».

Jean-Christophe Ploquin

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  1. Rédigé par Leroy | Le

    D’abord l’UE politique n’existe pas. il s’agit d’un assemblage de positions toutes divergentes.
    Ensuite la Russie est un pays européen ; l’ignorer et la laisser de côté est une faute majeure commise par la France
    Enfin, concernant l’Ukraine qui n’est qu’un Etat et non pas une nation, on pourrait envisager un positionnement militaire pacifique en 5 zones (russe = Donbas, USA = Lvov, France = Ruthénie élargie, GB = Odessa, Ukraine = Kiev). Cela, comme en Bosnie Herzegovine, dans le but de stabiliser l’Etat, puis d’aider à la constitution d’une nation. L’ONU garantirait le paiement de l’énergie.

  2. Rédigé par Ben | Le

    Pouvez vous nous informer sur ce monsieur de l’ ECFR ? Qui est derrière cette organisation ? Merci

  3. Rédigé par Jean-Christophe Ploquin | Le

    @Ben Voici le lien vers le site de l’ECFR, un think tank basé dans plusieurs pays d’Europe et qui soutien la construction européenne. Il est présidé par l’ancien président finlandais Martti Ahtisaari, l’ancien ministre des affaires étrangères Joschka Fischer et Mabel van Oranje http://www.ecfr.eu/content/council/about

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