Élections européennes : l’Europe face au défi migratoire

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Élections européennes : l’Europe face au défi migratoire

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1,2 millions de migrants sont arrivés en Europe en 2016 selon l'Union européenne.
1,2 millions de migrants sont arrivés en Europe en 2016 selon l'Union européenne.
© AFP - Lisa Gouliamaki

La question migratoire est au cœur de la campagne avant l’élection des eurodéputés prévue du 23 au 26 mai prochain. Les États membres n’arrivent pas à se mettre d’accord et l’Union européenne est vivement critiquée sur sa gestion des frontières.

L’ Union européenne n’a pas de politique commune sur la question et chaque pays veut garder la main, comme le prouvent les résistances après la signature du Pacte de Marrakech qui n’est pourtant qu’un regroupement de recommandations. 1,2 millions de migrants sont arrivés en Europe en 2016, moitié moins qu'en 2015 selon l'Union européenne. En 2017, environ 170 000 personnes auraient tenté la traversée de la Méditerranée. Elle reste la voie maritime la plus meurtrière pour les migrants selon le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) avec 2 260 morts ou portés disparus en 2018.

L’immigration, thème de campagne pour les Européennes

Le nombre de personnes qui périssent pendant ces traversées périlleuses est en baisse en 2018 par rapport à 2017 selon le HCR mais la probabilité de mourir en prenant ces embarcations, elle, a augmenté. Le ministre de l’Intérieur français a créé la polémique sur ce sujet. Christophe Castaner a déclaré que “les ONG ont pu se faire complice des passeurs” lors de la réunion des ministres de l’Intérieur du G7. Il évoque “une réalité documentée”.

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Des propos immédiatement condamnés par plusieurs associations et jugés _“déplorables”_par Marine de Haas, responsable des questions européennes à la Cimade. Marine de Haas rappelle qu’Emmanuel Macron avait tenu des propos semblables en juin 2018. Ces paroles font “beaucoup de tort au travail fait sur le terrain aux associations qui viennent en aide aux personnes exilées”, explique la responsable de la Cimade. 

Coordination Sud a répondu au ministre par un communiqué tout comme l’ONG SOS Méditerranée France. Dans sa lettre ouverte, elle écrit notamment que ces accusations ne sont pas fondées et ne sont “que des rumeurs”. SOS Méditerranée en appelle à la responsabilité du ministre de “faire appliquer le droit alors que l’Union européenne a progressivement abdiqué son devoir d’assistance en Méditerranée centrale”. C’est bien à l’Union européenne de porter assistance en mer, et non aux ONG, affirme Shoshana Fine, docteure en science politique et spécialiste des questions migratoires, car les ONG pallient un manque de l’Union européenne qui a “une obligation de porter assistance, inscrite dans le droit maritime”

En Italie, les autorités s’en prennent directement aux ONG qui viennent au secours des migrants. Le 19 mars dernier, un navire humanitaire avec à son bord 48 migrants a été saisi et escorté dans le port de l’île de Lampedusa. En juin 2018 déjà, l’Italie avait refusé l’accostage de l’Aquarius, le navire de SOS Méditerranée. 

En Italie, comme en Hongrie, les partis au pouvoir font campagne contre l’accueil des migrants avant les élections européennes. Selon un sondage de la société YouGov, commandé par le think tank ECFR, le conseil européen des relations internationales, l’immigration est le sujet de préoccupation principale en Europe. Cependant, lorsque l’on regarde les résultats des 16 pays sondés, ils diffèrent nettement d’un pays à l’autre. En France, les personnes interrogées se soucient plus du pouvoir d’achat. En Espagne, c’est le chômage qui inquiète. L’immigration arrive en tête en Allemagne, en Autriche ou encore au Pays-Bas. En Hongrie, la santé est la principale préoccupation.

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François Gemenne dénonce sur France Culture dans l'émission du Grain à Moudre, l’emploi de certains termes comme “ruée” pour parler des migrants. Pour le chercheur en science politique à l’Université de Liège, “agiter le spectre d’une ruée sur l’Europe ne pourra conduire qu’au renforcement de la politique de fermeture des frontières et des logiques identitaires et nationalistes en Europe”. Une stratégie politique dénoncée par Shoshana Fine pour qui les leaders politiques veulent “se montrer comme les protecteurs de la souveraineté des Nations”. Un phénomène qui ressort notamment à l’approche des élections européennes selon la spécialiste. Le terme de “crise migratoire” est souvent employé mais pour Shoshana Fine “il n’y jamais eu de crise migratoire, il y a toujours eu des flux que l’on pouvait gérer”. Elle affirme que tout est "une question de volonté politique”.

L’Union européenne peut-elle accueillir tous les réfugiés ? Oui répond sans hésiter le directeur de l’ONG Human Right Watch dans Affaires étrangères sur France Culture, en janvier dernier. Ken Roth estime que l’Europe a les capacités financières pour le faire “sans même s'en rendre compte”. Selon lui, le flux de réfugiés est estimé à “quelques centaines de milliers par an” sur une population globale de l’Union européenne de plus de 500 millions d’habitants.

Du Grain à moudre
41 min

La difficile réforme du règlement de Dublin

Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales à l’OCDE, estime dans Enjeux Internationaux sur France Culture que “tous les gens qui changent de pays durablement peuvent être considérés comme des migrants”. Selon lui, on ne peut pas résumer la migration à deux catégories : réfugiés et migrants économiques. Il rappelle que “la majorité des migrants qui viennent en Europe ont des des titres de séjours”. Pour lui, “la question migratoire ne se résume pas à l’asile et à ce que l’on voit à Calais”. 

Concernant les demandeurs d’asile, l’Union européenne se réfère au Règlement de Dublin. Ce texte controversé devait être réformé avant les élections européennes mais cette réforme a été finalement repoussée car la question est très difficile à régler. Le règlement de Dublin, signé en 1990, oblige les demandeurs d’asile à déposer une demande d’asile dans le premier pays par lequel ils sont entrés en Europe et dans lequel “ils ont été enregistrés” explique Hélène Thiollet, chargée de recherches au CNRS_._ Loin d’une remise en cause de ce règlement, la professeur à Sciences Po rappelle que ce règlement a été “renforcé en 2003 avec Dublin II, puis en 2013 avec Dublin III”.  Le règlement de Dublin est contesté à cause de “l’inégalité entre les pays frontaliers de l’Europe qui ont accueilli des centaines de milliers de migrants et qui se retrouvent seuls à porter le fardeau de cette gestion”

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Selon Hélène Thiollet, l’Union européenne envisage plusieurs pistes de réformes. Il s’agirait notamment “d’organiser la relocalisation” et de “prendre un certains nombres de ces demandeurs d’asiles qui arrivent dans les pays frontaliers et de faire examiner leurs demandes dans d’autres pays”. Autre piste évoquée, “obliger les pays de l’Union qui refuse la relocalisation des candidats à l’asile à payer une contribution financière”. Le directeur exécutif de Human Rights Wacht, Ken Roth, estime qu’il faut effectivement “remettre à plat” le règlement de Dublin pour aider certains pays. Ken Roth pense notamment à la Grèce "encore en pleine crise économique” et qui doit “accueillir 50 000 demandeurs d’asile”.

Plus qu’une remise à plat ou une réforme, il faut “en finir” avec le règlement de Dublin selon Shoshana Fine, docteure en science politique, car “on ne peut pas avoir une Union solidaire avec ce règlement”. Une position partagée du côté des associations, par la Cimade. Elle demande la fin du règlement Dublin dans un manifeste. Un texte publié le 11 avril dernier, avant les élections européennes, avec quatre autres organismes grec, italien, allemand et espagnol. Marine de Haas explique que ce système “extrêmement lourd pour les Etats” ne respecte pas les droits des personnes exilées qui ne parviennent pas à déposer des demandes d'asile_. _

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En savoir plus : Les Réfugiés
Affaires étrangères
58 min

Une surveillance aux frontières renforcée depuis 2004

L’Union européenne mène une politique sécuritaire de l’immigration estime Marine de Haas. Shoshana Fine, docteure en science politique, dénonce une politique européenne qui “ne veut pas prendre ses responsabilités” et qui cherche à endiguer les flux dès “la Libye ou la Turquie”. Cette politique sécuritaire s’est même, selon elle, “banalisée” avec le temps pour devenir “une norme”

Depuis 2004, l’Union européenne a mis en place une agence européenne de contrôle aux frontières, appelée Frontex. Elle est devenue en 2016 une agence de garde-frontières et de garde-côtes. Frontex regroupe 1 400 personnes chargées d’aider les Etats membres pour surveiller leurs frontières. La plupart des effectifs sont déployés en Grèce, en Italie et en Bulgarie. Le budget de l’agence a été presque doublé entre 2015 et 2017 pour atteindre 280 millions d’euros. Ce sera même 322 millions d’euros de budget pour l’année 2020. Les migrants sont regroupés à leur arrivée dans des centres d’accueil, appelés “Hotspots”. Cinq existent en Italie, autant en Grèce. 

La Cimade demande la fin de ces centres d’accueil. Ils ne permettent pas pour Shoshana Fine d’avoir un accueil “digne” des personnes exilées. La spécialiste des questions migratoires estime qu’il faut désormais “enfreindre la loi et embarquer pour un voyage dangereux pour pouvoir déposer une demande d’asile en Europe”

Le développement d’une politique d’accueil basée sur la solidarité est nécessaire selon la docteure en science politique. Il faut que cette politique prenne en compte d’autres critères comme les choix des personnes estime Shoshana Fine, avis partagé également par Marine de Haas de la Cimade. “À aucun moment, on ne demande aux personnes si elles ont un projet dans un pays spécifique, si elles ont des attaches, si elles ont des facilités avec la langue et après on s’étonne que les gens bougent” explique la responsable des questions européennes à la Cimade. L’Union européenne doit développer plus de voies légales pour pouvoir venir travailler ou étudier dans ses pays membres analyse Shoshana Fine mais il y a un “manque de courage politique”

Une crise de l'Union européenne ?

Hélène Thiollet, chargée de recherche au CNRS et professeure à Sciences Po, estime dans l’émission Affaires étrangères sur France Culture que “ce n’est pas une crise des migrants mais beaucoup plus une crise de l’Union européenne et de la construction européenne”. L’Europe ne s’est pas préparée à l’arrivée de réfugiés. C’est le constat aussi de François Gemenne, chercheur en sciences politique à l’Université de Liège (CEDEM). Il pointe “le défaut d’anticipation et d’organisation” de l’Europe face à ces migrations. Pour François Gemenne, “tout le monde aurait à y gagner si l’on essayait d’organiser davantage les migrations notamment au niveau international”.  

En décembre dernier, 152 pays, membres des Nations unies, ont signé le Pacte de Marrakech. Un texte avec 23 objectifs qui doit permettre d'inciter les pays à renforcer leur coopération sur la question migratoire. Il est écrit en préambule “le présent Pacte mondial établit un cadre de coopération juridiquement non contraignant”. Ce pacte rassemble des recommandations et n’impose aucune obligation sur les États qui gardent leur souveraineté sur ce sujet. Le Pacte de Marrakech a suscité de nombreuses critiques et des levées de boucliers. 

Le directeur exécutif de Human Rights Watch, Ken Roth, considère que si l’arrivée de migrants pose un problème à certains en Europe c’est parce que la question principale qu’ils se posent est “qui sont ces gens ? et l’inconfort que ces gens soient musulmans ou arabes”. Le directeur exécutif estime que la résistance de l’Europe n’est pas tant économique et financière que “culturelle”. Si l’Union européenne ne parvient pas à se mettre d’accord sur la question migratoire “c’est à cause des mentalités, des traditions et des paysages politiques nationaux qui sont très différents”, explique sur France Culture, Eric Maurice, responsable du bureau à Bruxelles de la Fondation Robert Schuman.

Marine de Haas dénonce pour la Cimade l’attitude de certains pays qui veulent “une Europe à la carte” qui “veulent bien de l’argent de l’Europe pour l’agriculture mais qui ne veulent pas jouer le jeu” pour le reste. Certains pays ont passé des accords entre eux et ont mis en pause l’application du règlement de Dublin, ce que dénonce la Cimade. Selon Marine de Haas, les textes européens peuvent être critiqués mais leur importance est fondamentale car ils fournissent “un cadre légal sur le droit des personnes”.