L'Ukraine avant les élections présidentielles

Campagne présidentielle en Ukraine, portraits de Yulia Tymoshenko (Partie Patrie, ancienne 1re ministre) et du President Petro Poroshenko qui se représente et, au centre, le comique et novice en politique, Volodymyr Zelenskiy  ©Getty - Pavlo Conchar, SOPA Images, LightRocket (1&3) /Brendan Hoffman (2)/Getty Images
Campagne présidentielle en Ukraine, portraits de Yulia Tymoshenko (Partie Patrie, ancienne 1re ministre) et du President Petro Poroshenko qui se représente et, au centre, le comique et novice en politique, Volodymyr Zelenskiy ©Getty - Pavlo Conchar, SOPA Images, LightRocket (1&3) /Brendan Hoffman (2)/Getty Images
Campagne présidentielle en Ukraine, portraits de Yulia Tymoshenko (Partie Patrie, ancienne 1re ministre) et du President Petro Poroshenko qui se représente et, au centre, le comique et novice en politique, Volodymyr Zelenskiy ©Getty - Pavlo Conchar, SOPA Images, LightRocket (1&3) /Brendan Hoffman (2)/Getty Images
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Le 31 mars prochain, les Ukrainiens se rendent aux urnes pour les élections présidentielles. Alors que la guerre se poursuit à l'Est du pays et que la Russie vient de fêter le cinquième anniversaire de l'annexion de la Crimée, quels sont les enjeux autour de ces élections ?

Avec
  • Konstantin Von Eggert Journaliste russe, ancien rédacteur en chef du bureau de Moscou à la BBC
  • Nicu Popescu Chercheur en politique, Directeur du Programme Europe Elargie (Wider Europe) au European Counsil on Foreign Relations (ECFR).
  • Ioulia Shukan Spécialiste de l'Ukraine, maîtresse de conférences en études slaves à l'Université Paris Nanterre et chercheuse à l’Institut des Sciences sociales du Politique et associée au Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen
  • Constantin Sigov Directeur du Centre Européen à l'université de Kiev et Directeur des éditions « L'esprit et la lettre »
  • Jean-Sylvestre Mongrenier Docteur en géopolitique, directeur de recherche à l'Institut Thomas-More et chercheur à l'Institut français de géopolitique

Autour de Christine Ockrent :

Ioulia Shukan, spécialiste de l'Ukraine, maîtresse de conférences en études slaves à l'Université Paris Nanterre et chercheuse à l’Institut des Sciences sociales du Politique. Elle a publié Génération Maïdan. Vivre la crise ukrainienne aux Editions de l’Aube 2016, et elle a coordonné avec Anna Colin-Lebedev la publication de la Revue Comparative Est-Ouest “ S'engager dans la guerre du Donbass (2014-2018) paru aux PUF en 2018.

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Les Ukrainiens ne sont pas contre la petite corruption, les petits cadeaux du quotidien qui peuvent faciliter la vie, les Ukrainiens protestent contre la corruption des élites. Cette thématique est au cœur des attentes aujourd’hui, et donc de la campagne électorale.

le succès de Volodymyr Zelensky, c’est qu’il n’exploite pas toutes les questions identitaires qui divisent souvent en Ukraine et qui l’ont encore divisée jusque-là entre centre-ouest et sud-est. Son soutien est fort partout en Ukraine, on a un effacement du clivage électoral régional.

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur à l'Institut Français de Géopolitique et chercheur associé à l'Institut Thomas More. Il a publié avec Françoise Thom Géopolitique de la Russie dans la collection Que sais-je? aux PUF en 2018

Si d’un seul coup la Russie ferme le robinet du gaz, l’avantage va plutôt au fournisseur qu’à l’acheteur. Et si on jette la focale sur l’Ukraine, cela revient à mettre en cause le rôle de passerelle énergétique que joue l’Ukraine. D’une part cela la prive de ressources, et d’autre part, ce qui est attendu du point de vue du Kremlin, c’est une dévalorisation du rôle géopolitique de l’Ukraine ; ils sont persuadés que si les Occidentaux soutiennent l’Ukraine, c’est avant tout à cause de son rôle énergétique.

Du côté des dirigeants russes, on est persuadés qu’un jour où l’autre l’Ukraine doit retourner à la Russie, que c’est quelque chose qui est inscrit dans les lois de l’histoire. Il s’agit de préparer les choses.

par téléphone, Nicu Popescu, directeur du programme “Europe élargie” au Conseil européen des relations internationales (ECFR) et enseignant à Sciences Po Paris. Il a co-dirigé la publication de Democratization in EU Foreign Policy chez Routledge en 2015.

Ces derniers mois la situation autour de la Crimée et de l’Ukraine est devenue encore plus intense et risquée et c’est à cause de l’incident dans le détroit militaire de Kertch. Les récentes sanctions occidentales sont une réponse à ce que les Russes ont fait dans le détroit de Kertch en ouvrant le feu sur des navires Ukrainiens qui avaient le droit de passer dans le détroit.

Il est naturel qu’un pays, agressé par son voisin, dans ce cas l’Ukraine, veuille rejoindre l’OTAN. Mais du coté de l’Otan (…) on ne discute pas vraiment de ça, il n’y aucune perspective à moyen terme. La plupart des Etats membres de l’OTAN, même s’ils ne le disent pas ouvertement, sont tout à fait sceptiques à l’idée d’ouvrir les portes de l’OTAN à l’Ukraine.

Konstantin von Eggert, politologue et journaliste russe, chroniqueur à Deutsche Welle.

Il est très important pour Poutine d'observer le développement politique de l’Ukraine – en ce qui concerne le rapprochement avec l’Occident, la réforme de la police et de Naftogaz. Pour Poutine il est très important de voir ces réformes prendre fin. Pour lui, l’idée d'une Ukraine qui continue à se rapprocher de l’Occident est une idée fixe. Ces élections sont une chance de renverser le mouvement de l’Ukraine vers l’Occident.

[En Russie] L’opinion publique commence à changer : la crise économique, l’effet des sanctions occidentales sur l’économie russe et d’une manière générale les problèmes sociaux commencent à occuper une place plus importante dans les mentalités.

Depuis Kiev par téléphone, Constantin Sigov, directeur du Centre Européen à l'université de Kiev et Directeur des éditions « L'esprit et la lettre ». Il a publié “ Le méridien Celan-Levinas dans la revue Les Temps Modernes en 2016.

En Ukraine une partie de la population ne veut pas regarder en face l’agression russe – dirigée non pas seulement contre l’Ukraine mais contre toute l’Europe. C’est à cause de la révolution orange et ensuite de la révolution de la dignité [autre nom de la révolution de Maïdan] que la Russie ne considère pas l’Ukraine comme un Etat séparé de l’Occident – attaquer l’Ukraine, c’est attaquer l’Occident, car la Russie pense que l’Occident approche jusqu’à ses propres frontières.

Le trublion, Zelensky et les deux  rivaux, Porochenko et Iulia Timochenko

La chronique d'Eric Chol, Directeur de la rédaction de Courrier International

Un comique, une sorte de Coluche, s’est invité dans la campagne électorale ukrainienne, et ses concurrents tremblent car il semble en mesure de faire un hold-up sur l’élection…

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Il s’agit de Volodymyr Zelensky, qui, depuis qu’il est entré dans la course à la présidence, ne cesse de bousculer tous les pronostics : il est actuellement crédité de 24% des intentions de vote dans les sondages, ce qui lui permettrait de virer en tête au premier tour. Un sondage réalisé au début du mois le donne également vainqueur au 2ème tour, et ceci quel que soit son rival.

Qui est Volodymyr Zelensky ?

C'est un comique professionnel, qui a joué dans une série télévisée à succès, baptisée Serviteur du peuple. «  Toute coïncidence n’est pas fortuite ! prévient le journal croate Vecernji List. 

Dans cette série très populaire, l’acteur Volodymyr Zelensky devient président de l’Ukraine par un concours de circonstances. Après une série de présidents hypocrites, les Ukrainiens, le 31 mars prochain, ont enfin l’occasion d’élire un chef d’État qui a au moins joué ce rôle sur le petit écran. ».

Ce n’est donc pas un hasard si Volodymyr Zelensky a baptisé son parti le Serviteur du peuple. C’est vrai, reconnaît le  journal Oukraïnsky Tyjden , « il est talentueux et charismatique». Ce qui explique sa popularité, en particulier auprès des jeunes.

Mais à 41 ans, Volodimyr Zelenski n’arrive pas tout à fait de nulle part. Coté coulisses, il bénéficie du soutien d’Ihor Kolomoïsky, un oligarque ukrainien puissant à la tête de la chaîne de télévision qui a précisément diffusé cette série dans laquelle joue Zelensky. Et Kolomoïsky a un compte à régler avec le président Porochenko, qui l’a dépossédé de plusieurs de ses actifs, dont sa banque, Privatbank.

Coté programme politique, c’est assez simple : Zelesnky, classé plutôt comme un pro-occidental, se présente comme le candidat anti-élite, une étiquette qui fait mouche auprès des Ukrainiens : beaucoup imaginent que ce “Serviteur du peuple” va régler la question de la corruption. 

« Le désir d’un “nouveau visage” l’emporte sur le reste », regrette le journal Oukraïnsky Tyjden, qui poursuit : « Avant de dénoncer la menace populiste en provenance des politiques, c’est le populisme de la foule, elle-même, qu’il faut surmonter. Peut-être faudrait-il renvoyer tout le monde en cours de perfectionnement sur les bancs de l’école ? ».

Parmi les autres candidats, figure une revenante,  Ioulia Timochenko...

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C'est celle que les Ukrainiens surnomment « la marraine » de la politique. Elle a déjà tout expérimenté: la gloire, le pouvoir - elle a été deux fois Première ministre -  mais aussi les intrigues, les défaites électorales,  

« elle n’a d’ailleurs jamais été meilleure que dans l’opposition », raconte le journal _Oukrainska Pravda__._ L’humiliation : accusée de malversation elle s’est retrouvée en prison pendant trois ans.

Née politiquement avec la Révolution orange de 2004, Ioulia Timoshenko, à 58 ans, a déjà connu plusieurs vies, n’hésitant pas à  se métamorphoser : on se souvient de « son  visage de “Jeanne d’Arc ukrainienne” , avec sa tresse blonde, raconte Oukrainska Pravda pour effacer sa  réputation sulfureuse de  "princesse du gaz". En 2014, Ioulia, comme l’appelle les Urkrainiens, qui, lors de la révolution de Maïdan,  était déjà perçue comme un fantôme du passé, « n’a rien perdu de ses remarquables capacités à renaître de ses cendres», estime le journal de Kiev.

«Elle a renouvelé son image, son équipe, la stratégie de son parti », détaille le journal ; elle a aussi changé son image, abandonnant sa tresse. Quant à son programme politique, « il ressemble à une collection de promesses floues et banales: l’arrêt de la guerre, des réformes radicales, la liquidation de l’oligarchie. » 

Avec surtout l’espoir de battre son rival de toujours, Poroshenko.

Poroshenko qui  n’est pas dans une situation très enviable

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Le président sortant doit faire face à des accusations de corruption et des mouvements de protestations qui ont rassemblé plusieurs milliers de personnes dans la rue. Et ces manifestations illustrent bien « le paradoxe » de Pétro Poroshenko, exposé par la revue Foreign Policy

« L’Ukraine a plus changé plus dans le bon sens  au cours des 5 années du mandat de Petro Poroshenko que lors du quart de siècle précédent», écrit la revue américaine. « En toute logique, poursuit l’auteur, il devrait être réélu dans un fauteuil le 31 mars. Mais au lieu de cela, la moitié des Ukrainiens le détestent. Et un quart d’entre eux préfèrent élire un comédien inexpérimenté pour gouverner le pays »

Pour prolonger :

Vu de Russie. La péninsule ukrainienne de Crimée est devenue une île russe - ROUSSKI REPORTER - Courrier International, 18/03/2019 - extraits :

Jeunes bachelières du lycée de la ville d’Armiansk en Crimée. "ROUSSKI REPORTER" - "Courrier International", 18/03/2019
Jeunes bachelières du lycée de la ville d’Armiansk en Crimée. "ROUSSKI REPORTER" - "Courrier International", 18/03/2019
- Stanislava Novgorodtseva/ROUSSKI REPORTER - Courrier International

La Russie célèbre aujourd’hui le cinquième anniversaire du “rattachement” de la Crimée à la Fédération, considéré comme une annexion par l’Ukraine et la quasi-totalité de la communauté internationale. Ils jugent illégal le référendum organisé à ce sujet par Moscou en 2014 et approuvé par 90 % des habitants de Crimée. Nous publions ici le texte et deux photographies issues d’un reportage réalisé en Crimée par une photographe russe, dans le magazine moscovite Rousski Reporter.

‘’Hélas, l’individu est si faible face aux lois implacables de l’histoire’’, écrivait Vassili Axionov dans son roman L’Île de Crimée [Gallimard, 1982]. Dans l’enfance, la Crimée m’apparaissait comme un lieu apolitique et sacré. Une île à la mythologie unique ayant conservé les traces de civilisations antiques. Nous y allions chaque année, comme si nous partions en vacances chez une grand-mère bien aimée – un temps libre de tout souci. (...)

Après la chute de l’URSS, elle s’est trouvée à l’intérieur des frontières de l’Ukraine, et en mars 2014, elle a été incluse à la Fédération de Russie.

Depuis ce moment, la Crimée se trouve au centre des principaux conflits politiques de ces cinq dernières années. Ces nouvelles réalités ont aussi provoqué des changements dans mon rapport à cet endroit. Dans le monde de l’enfance et de la mythologie locale s’est glissée une dimension politique.

Et la politique a frappé sévèrement les familles : combien de querelles, de liens rompus avec des proches par-delà la frontière russo-ukrainienne.

  • Back Home (Retour à la maison), documentaire par la réalisatrice Inna Denisova, née à Simféropol, qui a vécu à Moscou avant de venir à Paris. Après l’annexion de la Crimée, le film montre comment la vie quotidienne, culturelle, tout le climat ont pu être modifiés et se sont détériorés.  Prix et mentions spéciales, Filmfestival Cottbus, Brussels One World Festival

Inna Denisova, née à Simféropol, revient personnellement dans sa ville natale à la recherche de réponses. Certains restent, beaucoup partent. Les sentiments sont mêlés :  dans certains quartiers règne l’euphorie, ailleurs un sentiment de regret demeure. La vie a changé depuis que la Russie a annexé la Crimée en 2014, mais comment exactement?

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