Le Green New Deal d'Ursula von der Leyen : réaliste ?

Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a présenté son Pacte vert le 11 décembre 2019 ©Getty - Thierry Monasse/picture alliance
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a présenté son Pacte vert le 11 décembre 2019 ©Getty - Thierry Monasse/picture alliance
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a présenté son Pacte vert le 11 décembre 2019 ©Getty - Thierry Monasse/picture alliance
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La vertueuse Union européenne est-elle sur le point de se fixer des objectifs inatteignables ?

-        Le Green Deal est le grand projet de l’Union européenne pour la décennie qui s’ouvre. Comment le définir ?

A la suite des élections européennes de l’an dernier, le groupe des Verts au Parlement européen dispose de 74 sièges sur 751. Soit 10 % de l’effectif global. Mais on peut estimer à 62 % les eurodéputés qui ont été élus sur un programme comportant des promesses en matière d’écologie. Et 56 % d’entre eux estiment que l’Union européenne devrait organiser une transition rapide vers une économie faiblement émettrice de gaz à effets de serre. 

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La Commission européenne a entendu cet appel. Sa présidente, Ursula von der Leyen a proposé un Green Deal – ou Pacte vert – d’un montant colossal : mille milliards d’euros sur la décennie 2020, soit 100 milliards par an. L’idée de la présidente est de transformer la Banque européenne d’investissement en une véritable banque du climat. A charge pour celle-ci d’orienter ces sommes faramineuses vers les projets susceptibles d’aider l’Union européenne à atteindre le but qu’elle s’est fixée : ramener à zéro d’ici à 2050, ou même avant, les émissions européennes de gaz à effet de serre. 

Ce noble objectif pose des problèmes qui risquent fort d’en démontrer le caractère irréaliste, selon de nombreux observateurs. Ainsi Jean Pisani-Ferry doute de l’efficacité de la vertu européenne, si celle-ci devait demeurer isolée dans un monde qui, globalement, continue à polluer un peu plus chaque année. Certes, l’UE va probablement introduire une taxe carbone à ses frontières. Mais cela suffira-t-il à ne pas trop défavoriser nos propres producteurs dans un monde hyper-compétitif ? Un monde où certains Etats, comme les Etats-Unis, la Chine ou l’Inde, sont loin de faire les efforts nécessaires à la préservation du climat de la planète ?

En outre, fait observer Pisani-Ferry, si l’UE « décide des permis d’émissions pour les industries intensives en énergie et des normes pour les émissions de gaz des voitures, elle n’est pas directement décisionnaire en ce qui concerne le _mix énergétique de chaque pays__. Car celui-ci demeure à la discrétion des Etats-membres._ » Comme, d’ailleurs, les incitations fiscales, ou les normes concernant l’isolation thermique. 

D’où un risque élevé de clivage politique entre l’Ouest et l’Est de l’Union européenne. 

Oui, parce que mix énergétique de certains pays d’Europe centrale repose encore massivement sur le charbon. Ainsi, en Pologne, les centrales thermiques au charbon représentent près de 80 % de la production d’électricité. Pas étonnant que le ministre polonais de l’énergie ait récemment traité de « fantaisiste » l’idée que son pays puisse parvenir à la neutralité carbonée en 2050. L'Allemagne elle-même dépend dans une large mesure du charbon pour sa production d'électricité...

Plus largement, beaucoup d’observateurs redoutent qu’à l’intérieur même des vertueux Etats-membres de l’Ouest européen, le renchérissement incitatif des énergies polluantes ne provoque des révoltes telles que celles des Gilets Jaunes en France. Les « Gilets jaunes ne sont pas un phénomène isolé », remarque ainsi le directeur de l’European Council on Foreign Relations, Mark Leonard. Qui recommande : « les leaders européens doivent moins écouter les moralistes tels que la militante Greta Thunberg et d’avantage les réalistes pragmatiques. » 

Si la participation de l’Europe au sauvetage de la planète devait s’avérer un facteur de réduction des niveaux de vie pour les classes moyennes et populaires, il existe un fort risque de contestation et de rébellion. C’est pourquoi un objectif aussi ambitieux que le Green Deal européen ne sera réaliste que s’il demeure compatible avec la croissance de l’UE. S’il la soutient au lieu de la bloquer. C’est possible.

Le marché ne suffira pas à réorienter les investissements vers des énergies et des activités non polluantes

Une note sur le Green Deal, publiée par la Fondation Jean-Jaurès en prend acte. Ses auteurs recommandent une articulation public/privé qui dépasse la simple taxation « incitative » du carbone. Le marché ne suffira pas à réorienter les investissements vers des énergies et des activités non polluantes, écrivent ses auteurs. Les sommes mises sur la table par la Commission européenne doivent servir à financer des solutions innovantes, intégrant notamment les découvertes encore à venir de l’intelligence artificielle. 

Financé par l'emprunt..

Un certain nombre d’économistes allemands, comme Hans-Werner Sinn, s’inquiètent du financement par l’emprunt d’une grande partie de ce Green Deal. « L’UE va faire exactement ce qu’on fait les grandes banques à la veille de la crise de 2008, prévient Sinn. Contourner la réglementation en transférant une partie de leurs activités vers des systèmes hors-bilan et des entités ad hoc. » 

En effet, la future Banque du climat sera autorisée à emprunter massivement sur les marchés pour financer le Green Deal. De son côté, la BCE sera incitée à acheter ces Bons du Trésor européen, afin d’en faire baisser les taux d’intérêt. Ainsi, écrit-il, « la BCE, après s’être transformée en une autorité publique de sauvetage des banques et des gouvernements proches de la faillite, se mue à présent, et sans aucun mandat pour le faire, en une sorte de gouvernement économique qui peut imprimer de l’argent à sa guise

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